Nutrition
La recherche publique au service de l’amélioration de l’offre
L’Inra a dressé un bilan des recherches pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments, le 5 novembre. Si les progrès sont salués, les moyens techniques et l’acceptation sensorielle des consommateurs peuvent être des freins.
À l’occasion du colloque des Carrefours de l’innovation agronomique, l’Inra a dressé mardi 5 novembre à Paris un état des lieux des évolutions engagées en matière d’amélioration de la qualité nutritionnelle des aliments transformés, des contraintes rencontrées et des solutions envisageables pour y remédier.
La demande des consommateurs français pour des produits alimentaires de meilleure qualité nutritionnelle augmente (voir graphique ci-contre), tout comme le nombre de politiques publiques visant à faire évoluer l’offre de produits.
De nombreux industriels ont réalisé des reformulations de leurs gammes de produits afin d’atteindre des objectifs en matière de réduction de la teneur en sel, sucre et matière grasse ou d’augmentation de la part de certains composés comme les fibres. Ces démarches ont permis une amélioration de la qualité nutritionnelle. Mais ces processus de reformulation restent à ce jour de très faible ampleur et peuvent aller dans le sens d’une amélioration, voire d’une dégradation selon les groupes d’aliments considérés, d’après l’Inra.
« Les conséquences des changements de composition nutritionnelle sur les apports moyens des consommateurs en sucre, sodium, fibres et acides gras saturés restent faibles avec une amplitude presque toujours inférieure à 1 % », a déclaré Ghislaine Narayanane, chercheuse à l’Inra.
Des reformulations variées, mais difficilement généralisables
Une multitude de stratégies de reformulation existe en jouant sur les procédés de transformation. Ces méthodes sont souvent basées sur la diminution ou l’augmentation des composés ou sur l’utilisation de substituts, « mais plus rarement sur une démarche “procédé” ou sur une structuration des matrices alimentaires avec une modulation spatiale », selon Guénaelle Diler, chercheuse à Oniris Nantes.
Or, le programme européen Pleasure, auquel elle a participé, a montré qu’il était possible de réduire la teneur en sel de 25 à 30 % d’un produit. Ici la pizza, sans modification de la perception salée grâce à une maîtrise de la gestion spatiale du sel.
Cependant, ces reformulations ne sont pas si simples, car des contraintes technologiques et des coûts associés demeurent. Si l’existence d’une large variabilité de composition nutritionnelle au sein de familles de produits suggère un fort potentiel de reformulation, elle induit également des spécificités propres à chaque produit.
Par exemple, dans le secteur de la boulangerie-viennoiserie-pâtisserie, le sel a un rôle primordial dans le pain pour assurer une bonne texture et structure du produit alors que son rôle sera très limité dans les biscuits.
Ainsi, il est nécessaire de bien comprendre toute la structure d’un produit et de maîtriser les procédés associés. « Il est aujourd’hui très difficile de généraliser les processus. Les reformulations se font souvent au cas par cas », précise Virginie Herbreteau, responsable projet à Actalia Sensoriel.
Les reformulations se font souvent au cas par cas
D’autres travaux de recherche ont permis de présenter des résultats prometteurs de la reformulation de la charcuterie pour modérer le risque de cancer du côlon lié à sa consommation. Mais « les preuves de l’efficacité de cette démarche doivent être apportées d’ici à 2021 », a précisé le chercheur Fabrice Pierre.
Enfin, le réseau mixte technologique Actia Nutriprevius a développé un programme d’accompagnement des entreprises pour les aider à réaliser leurs reformulations en tenant compte de leurs contraintes technico-économiques. Un diagnostic nutritionnel des produits est effectué pour identifier les atouts et faiblesses nutritionnelles de l’aliment et les quantifier. À l’aide d’une modélisation sous contraintes (nutritionnelles, techniques, prix…), des recettes optimisées sont proposées.
L’acceptabilité du consommateur : une limite majeure
« S’il est couramment admis que les ingrédients reformulés sont meilleurs pour la santé, ils sont souvent moins appétents pour les consommateurs », selon le chercheur Thierry Thomas-Danguin. Ces produits se heurtent à la réponse sensorielle des individus, liée aux changements de caractéristiques induits et à sa disposition à payer pour cette innovation technologique. L’enjeu clé est donc de déterminer le seuil d’acceptabilité sensoriel des individus pour éviter qu’ils se détournent du produit.
En ce sens, de récentes études ont démontré que certains arômes peuvent renforcer la perception des saveurs salée, sucrée et de la matière grasse comme l’éthyl-2 éthyl butanoate qui accentue la perception sucrée dans un jus de fruit. Ces arômes permettent de compenser jusqu’à 30 % les pertes organoleptiques associées à la réduction des teneurs de ces composés.
Des réductions plus importantes peuvent être compensées en combinant cette stratégie avec d’autres méthodes (substitution partielle, distribution optimisée des composés gustatifs).
Les critères d’acceptabilité du consommateur sont intimement liés aux caractéristiques produits. Un pain plus riche en fibres, mais moins croustillant ne satisfera pas le consommateur. « Il n’y a pas de descripteurs spécifiques associés au phénomène d’acceptation ou de rejet du produit par le consommateur, car ces critères sont produits-dépendants », selon Guénaelle Diler.
Les comportements d’achats dépendent de facteurs divers
En parallèle, l’Inra essaye de caractériser les arbitrages entre qualité organoleptique et bénéfice santé des consommateurs, et leurs traductions en consentement à payer. Il faudra regarder sur le long terme comment ce consentement évolue en fonction de l’affichage et de la segmentation des individus. Cette dernière catégorie est primordiale à analyser, car « les comportements d’achats et les habitudes alimentaires dépendent de facteurs divers tels que la culture, le genre…, entraînant des trajectoires consommateurs très différentes », rappelle Monique Axelos de l’Inra.
Par ailleurs, l’Inra appelle à davantage de démarches multi-acteurs pour construire l’offre produit, et souligne que c’est sur le long terme que les effets sur la santé seront quantifiables.
PNNS 4 et objectifs de reformulation
À la suite du lancement du plan national de l’alimentation et de la nutrition (PNNS) 4, les objectifs de reformulation des produits se précisent. Pour le pain, « les professionnels de la filière devraient stipuler les mesures prises d’ici à la fin de l’année tandis qu’en 2020 un accord-cadre sera signé entre les représentants des IAA et les ministères », a déclaré Carole Foulon, cheffe du bureau de pilotage de la politique alimentaire à la DGAL, au colloque le 5 novembre.