La France est lancée dans la course aux marchés mondiaux laitiers
Partie tardivement sur les marchés mondiaux, la France regagne en compétitivité et s'engage depuis peu dans la bataille. La production laitière augmente et les industriels investissent pour conquérir des parts de marché en particulier sur le marché chinois, très porteur. Les accords de libre-échange avec le Canada et les États-Unis pourraient aussi offrir de nouvelles opportunités.
D'une situation de pénurie au premier semestre 2013, la production laitière mondiale a retrouvé un dynamisme sur le second semestre 2013. La collecte laitière dans les cinq grands bassins laitiers mondiaux (Europe, Nouvelle-Zélande, États-Unis, Australie, Argentine) a de nouveau augmenté, même si la croissance reste modérée (+1 % par rapport à 2012), et les échanges internationaux se sont relancés. Les cours mondiaux ont d'ailleurs rebondi en 2013, donnant des perspectives positives aux producteurs de lait. Les prix du lait dans les principaux bassins laitiers mondiaux ont augmenté, confirmant une convergence des coûts de production observée déjà il y a plus d'un an. La Nouvelle-Zélande a même connu en 2013 un prix du lait supérieur au prix français, en dépassant l'équivalent de 400 euros pour 1 000 litres.
” Sous ces bons auspices, l'Europe est entrée dans la course à la production. À partir de l'été 2013, la collecte laitière de l'UE à 28 a bondi de 2,8 % au 3e trimestre et de 4,5 % au 4e trimestre. La dynamique s'est accélérée au début de l'année 2014, la collecte ayant augmenté de 4,7 % en février 2014 et de 6 % en mars. « Une augmentation de volume inédite en Europe », commente Baptiste Lelyon, de l'Institut de l'élevage. Cette progression des volumes vient de tous les pays producteurs européens (Allemagne, Irlande, Pays-Bas…). En France, la dynamique de production s'est intensifiée au printemps, à tel point que l'Hexagone devrait réaliser pour la première fois depuis leur instauration le niveau de quota qui lui est alloué. Sur le 1er trimestre 2014, la France a connu une production en hausse impressionnante de 7,7 % (+10 % au mois de mars). Et ces volumes supplémentaires en provenance de l'Europe vont se retrouver sur le marché mondial, seul relais de croissance face à des marchés européens matures. Les exportations de poudres (maigres et grasses) ont d'ailleurs fortement augmenté en février 2014, celles de fromages (prioritaires en 2013 compte tenu de la baisse de la collecte) sont restées stables.
“ Une production laitière en hausse de 7,7 % en France
Face à cette situation quelque peu inédite, les Européens restructurent leurs outils et dynamisent leurs investissements pour répondre à une demande internationale en hausse sur les marchés déficitaires que sont l'Asie, l'Extrême-Orient ou le bassin méditerranéen. « Depuis la fin des années 2000, les grands leaders laitiers européens se sont fortement développés. S'il y a dix ans, investir pour être présent sur les marchés mondiaux était un pari osé, il l'est beaucoup moins désormais. La France regagne en compétitivité, les prix convergent au niveau mondial. Aujourd'hui, la dynamiqueest là et la France peut se positionner durablement sur le marché mondial », estime Benoît Rouyer, directeur économie et territoire au Cniel, l'interprofession laitière. La Nouvelle-Zélande reste devant l'UE le premier fournisseur du marché mondial laitier, donc de l'Asie. Mais la part du gâteau grandit avec l'occidentalisation des pays émergents et le développement des classes moyennes, laissant des opportunités à de multiples fournisseurs, estime Benoît Rouyer. « Dans son pays, Fon-terra, première coopérative néozélandaise, a vu sa position quasi-monopolistique s'effriter quelque peu avec l'arrivée de nouveaux acteurs. Et les groupes asiatiques viennent en Europe. Il n'y a pas ce type d'investissement ailleurs », relate-t-il avec optimisme. En tout cas, les opérateurs français veulent satisfaire la demande asiatique, chinoise en particulier, et multiplient les investissements dans des outils de production dédiés aux poudres de lait.
“ Les entreprises font le pari d'une dynamique durable des débouchés internationaux
Dans cet environnement optimiste, la fin de campagne 20142015 reste néanmoins incertaine. Il est probable que l'équilibre retrouvé entre l'offre et la demande laitière entraîne au minimum un tassement des prix du lait dès le second semestre 2014, selon Gé-” rard You, chef du service économie des filières à l'Institut de l'élevage. Il se montre d'ailleurs très prudent sur les perspectives, notant que les enchères passées sur la plateforme de Fonterra (Global Dairy Trade) ont déjà vu les prix baisser d'environ 25 % entre février et mars. Selon lui, « l'équilibre des marchés sur le second semestre dépendra du rythme de croissance de la production dans les bassins d'exportation et d'importation, de la demande dans les pays émergents, de la croissance mondiale et d'évènements climatiques ou géopolitiques qui pourraient venir alourdir les marchés ». Néanmoins, quels que soient les prix, bon nombre d'acteurs français du secteur font désormais le pari, risqué ou non, d'une dynamique durable des débouchés internationaux dans les années à venir.
Les Marchés Hebdo : Quelles opportunités les entreprises françaises peuvent-elles attendre de la ratification de l'accord de libre-échange avec le Canada ?
Gérard Calbrix : Les opportunités sont évidentes. Le prix du lait canadien est le double de celui français. Donc la France, voire même l'Europe, est très compétitive sur le marché canadien. Les droits de douane actuellement y sont prohibitifs, aux alentours de 300 % pour tous les produits laitiers. Si ces droits de douane sautent, même encadrés par un contingent, les importations pourraient ainsi être plus intéressantes pour les Français. Toute la négociation porte sur la gestion de ces contingents. Le contingent actuel est détenu par 99 entreprises canadiennes auprès de qui les Français doivent être agréés. Avec le nouvel accord de libre-échange, le contingent est doublé. Il restera favorable aux grands groupes qui ont déjà conclu des accords. Nous demandons un système mixte avec une partie du contingent historique et une autre partie pour de nouveaux entrants. L'autre système possible est le premier arrivé, premier servi. Mais nous n'y sommes pas favorables, car cela empêche toute politique commerciale sur le long terme.
LMH : Et du côté du traité transatlantique ? Peut-on imaginer une discussion favorable aux entreprises françaises ?
G. C. : Avec les États-Unis, la levée des barrières non tarifaires est très importante, tout autant que la réduction des droits de douane, dans l'accord de libre-échange en cours de discussion. Mais la situation est différente de celle du Canada, car le prix du lait y est au même niveau qu'en France, donc l'Europe n'a pas davantage concurrentiel à ce niveau-là. Il y a encore des droits de douane sur les fromages (aux alentours des 10 %). Nous souhaiterions mettre à zéro ces droits de douane et acceptons la réciproque pour les importations américaines en Europe, sachant qu'il n'y a pas trop de risques pour les Français. C'est d'ailleurs un désavantage dans la négociation, car les Américains ne voient pas ce qu'ils auraient à gagner à ouvrir leurs frontières aux fromages français. Second point important : les barrières non tarifaires, notamment sanitaires. Les États-Unis sont en train de mettre en place un nouveau système sanitaire : le FSMA (Food safety mordernization act). L'idée serait de reconnaître que les deux systèmes sanitaires européens et américains sont équivalents pour qu'il n'y ait pas de futures barrières sanitaires. Les négociations se poursuivent et les autorités américaines vont venir vérifier notre système sanitaire au cours du mois d'août a priori. Ils iront aussi aux Pays-Bas et en Irlande.