Influenza aviaire : Comment les filières volailles se remettent
Comment la production française de volailles de chair, adaptée jusqu’alors à chaque moment de consommation, reflet des terroirs et traditions culinaires, est remise en question depuis la pandémie de coronavirus. Et ce que l’influenza aviaire a mis en lumière.
La grippe aviaire, après avoir lourdement touché le Sud-Ouest à partir de l’automne 2021, s’est attaquée aux Pays de la Loire à la fin février 2022, et à nouveau entre la fin 2022 et le début 2023. C’est la deuxième Région productrice de volailles de chair après la Bretagne. Une Région particulièrement diversifiée en matière d’espèces élevées et de formes d’élevages, et aussi stratégique en matière de reproduction de canards, de dindes et de pintades.
En effet, les Pays de la Loire concentrent le plus d’entreprises de sélection génétique, de couvoirs (où l’on fait éclore les œufs), d’éleveurs d’animaux reproducteurs. Des couvoirs de canards gras d’importance nationale, mais aussi de canards de chair s’y trouvent.
L’entreprise internationale Hendrix Genetics y a un centre de sélection de dindes d’importance européenne. Le seul sélectionneur national de pintades est dans les Pays de la Loire, et il a été touché en 2022. Près du quart de la production nationale de poulets et de dindes est originaire des Pays de la Loire, 60 % de la production de canards de chair (espèce Barbarie) et 63 % de la production de pintades.
En juillet 2023, la production subit encore les conséquences des retards de peuplement des élevages au niveau national. Les statistiques du premier trimestre (celles du 2e trimestre sont encore méconnues à l’heure où nous écrivons) montrent un retard de 7,7 % pour l’ensemble des volailles, de 22,5 % pour la dinde, de 20,2 % pour le canard, de 15,2 % pour la pintade et 6,3 % pour le poulet.
Les retards s’expliquent. Tous les éleveurs ne peuvent reprendre simultanément la production d’une espèce. Il faut que les poussins soient disponibles, et l’abattoir ne pourrait abattre d’un coup tous les animaux arrivés en même temps à terme. Cela demande une organisation de la production qui ne peut se faire que grâce aux groupements de producteurs. Ceux-ci jouent l’interface entre les abatteurs et les éleveurs.
Filières chamboulées
La société Arrivé (marque Maître Coq), dans le groupe LDC depuis 2009, est essentiellement vendéenne ; six de ses sept sites sont dans le département sinistré par la grippe aviaire. Les sites de Saint-Fulgent et des Essarts ont été fermés plusieurs semaines en 2022. La production d’Arrivé a baissé de près de moitié lors de la première crise.
La chute des approvisionnements en vif a été partiellement compensée par des apports d’autres abattoirs du groupe LDC. Le directeur Roland Tonarelli confiait début juin : « Il va falloir jouer des coudes dans les rayons pour récupérer nos volumes pris pas d’autres marques. Nous avons perdu 20 000 tonnes sur 160 000 tonnes » ; la forte réduction des promotions aidant. Le résultat d’Arrivé est réduit de moitié.
Galliance, la filiale de la coopérative Terrena, a vu son principal bassin de production ravagé. Son abattoir neuf d’Ancenis n’a fonctionné qu’un à deux jours par semaine en mars-avril 2023. Il devrait tourner normalement au second semestre 2023. Selon le directeur général Arnaud Poupart-Lafarge, en Pays de la Loire, la grippe aviaire a fait perdre à Galliance trois mois d’activité à la première vague (fin février 2022) et autant à la seconde (mi-octobre 2022). Les industriels de la volaille ont été bousculés par le coronavirus, par le retour de la restauration et l’influenza aviaire.
Les producteurs, même s’ils sont sous contrat, et assez indemnisés par l’État, peinent à garder courage. Louis-Marie Pasquier, éleveur spécialisé de poulets, dindes, pintades et canards standard dans les Deux-Sèvres, a neuf bâtiments d’élevage, dont huit exclusivement en lumière naturelle, et deux récents, construits il y a cinq ans pour 1 million d’euros.
L’un de ces bâtiments neufs, relativement vaste à l’échelle française – 1 800 m2 – s’ouvre par treize trappes sur un jardin d’hiver de 600 m2. « Il faudrait que ça s’arrête, souhaite l’éleveur, histoire de nous redonner envie de produire. » Un peu moins du quart des éleveurs de volailles de la Région sont comme lui, spécialisés, soit en volailles standard, soit en volailles fermières.
Quelle offre pour quelle consommation ?
Le poulet et la pintade sont peu sensibles à l’influenza ; le canard et la dinde y sont très sensibles, avec une particularité du canard : il résiste ou tombe malade plusieurs jours après avoir été atteint. Le poulet, parce qu’il est peu sensible à la grippe aviaire, et qu’il est majoritairement produit en Bretagne, a vu sa production diminuer de 1 % en 2022. Celle de pintade a reculé de 7,6 %, essentiellement en raison de sa concentration en Pays de la Loire et parce que la Région est essentielle à la reproduction.
Les productions de dindes et de canards de chair, également dépendantes des Pays de la Loire pour leur reproduction, ont respectivement reculé de 16,9 % et 33,7 %. Par effet mécanique, le poulet a augmenté sa part dans la production nationale, passant de 70 % en 2021 à 75 % en 2022 ; ainsi que la pintade, à son échelle, ayant augmenté sa part de 1 à 2 %.
L’influenza aviaire, conjuguée à la hausse de la consommation de volaille – en fait de poulet standard – a fait un appel d’air aux importations. En tonne équivalent carcasse, la part de la viande de poulet importée est passée de 47,3 % au premier trimestre 2022 à 50,4 % au premier trimestre 2023. C’est ce qui fait dire à l’interprofession des volailles de chair (Anvol) que la France « importe plus d’un poulet sur deux ».
Des importations de poulets viennent de Pologne essentiellement, de Belgique et des Pays-Bas qui sont la plaque tournante des importations des pays tiers. Les importations de Pologne et de Belgique ont augmenté respectivement de 26 % et 12,7 %. Les importations des Pays-Bas, au contraire, ont reculé de 2,3 %, alors que celles d’Ukraine, du Brésil et Thaïlande ont respectivement progressé de 114 %, 57 % et 6 %.
La crise de 2022 remet en question l’offre au regard de la consommation. L’influenza conduit les filières des différentes espèces autres que le poulet à repenser la répartition géographique des différents maillons, de l’amont sélection-accouvage jusqu’à l’aval abattage-transformation.
Les importations, actuelles ou à venir, et les tendances de consommation en faveur des produits élaborés de poulet standard lui font souhaiter d’augmenter la compétitivité de l’élevage de poulets standard, au nom de l’enjeu de souveraineté alimentaire. Dans le cadre de cette réflexion, l’interprofession ne remettra pas en cause les exportations qui participent, selon elle, à l’équilibre économique de la filière.
L’Association de promotion de la volaille française (APVF) met en avant les exportations de génétique et d’œufs à couver, ainsi que les morceaux mieux valorisés dans les pays tiers, comme les pattes de poulet.
« Plus la volaille est transformée, moins le consommateur se préoccupe de l’origine », Roland Tonarelli, directeur d’Arrivé
Les deux tendances de consommation à l’œuvre sont la montée du poulet et du snacking. La consommation de poulet progresse aux dépens des deux autres espèces les plus consommées que sont la dinde et le canard. Elle a progressé de 4,8 % en 2022 dans un contexte de maintien de la consommation globale (tous circuits toutes espèces).
Au premier trimestre 2023, alors que la consommation de volaille est 2 % au-dessus de celle du premier trimestre 2022, sur un marché global en recul de 1,6 %. Schématiquement, sur cinq volailles consommées en France, quatre volailles sont du poulet. Selon l’Institut technique de la filière avicole (Itavi) qui fait parler les statistiques publiques SSP, la part du poulet dans la consommation globale est passée de 76,1 % en 2021 à 79,6 % en 2022. La dinde, qui est la deuxième espèce la plus consommée, est passée de 14,4 % de la consommation globale à 12,8 %. Le canard (gras ou à rôtir), qui est la troisième espèce consommée, est passé de 8,3 % à 6 %.
Est-ce uniquement à cause de la grippe aviaire et de la baisse du pouvoir d’achat ou de l’importation de viandes de poulet à bas prix ? On le saura quand la production sera revenue à la normale et quand l’inflation se sera calmée.
Dans le contexte actuel, le maintien des espèces mineures est remarquable : la pintade est passée de 1,1 à 1 % de la consommation et pour l’ensemble cailles et pigeonneaux de 0,5 à 0,6 %.
Quant au snacking, « plus la volaille est transformée, moins le consommateur se préoccupe de l’origine », regrette Roland Tonarelli, directeur d’Arrivé, qui ne commercialise que de la volaille française. Mais un point fort est reconnu de tous : l’organisation de la filière. Par exemple, Arrivé et sa cinquantaine de contrats Egalim, et le groupement Ciab comme approvisionneur privilégié.
L’élevage à la française mis à mal
La tendance de consommation est aussi défavorable à l’élevage en plein air, une spécificité du paysage avicole français. C’est le cas de près de 20 % des volailles élevées en France contre 5 % au maximum dans les pays où il est le plus pratiqué, comme l’Italie. Ces élevages en plein air donnent notamment les volailles label Rouge, très souvent porteuses d’une indication géographique protégée (IGP) et bio, selon les normes françaises AB.
Les éleveurs ont mis en place beaucoup moins de volailles destinées à être labellisées en 2022 : dans l’espèce poulet, les mises en place pour le label Rouge ont reculé de 9 % et les mises en place en élevage bio de 25 %. Le recul de la consommation de ces labels en est la principale cause. Déjà chères lorsqu’elles sont vendues entières, les volailles label Rouge et bio le sont encore davantage sous forme de découpes.
Des acteurs économiques expriment leur pragmatisme. Quant au snacking, le directeur d’Arrivé confirme que les viandes labellisées et bio n’y ont pas trouvé leur place. Du côté de la production, Éric Baldo, depuis longtemps dans la coopérative des Pays de la Loire Ciab, fournissant Arrivé, dénonce « un vrai manque de réalisme politique sur le bio et la montée en gamme ».
Augmenter la compétitivité du poulet standard face aux importations demanderait d’agrandir la taille moyenne d’un élevage standard français élevant en moyenne 40 000 volailles par an, contre plutôt 60 000 dans les pays de l’Union européenne, et encore davantage en Ukraine ou en Thaïlande.
Un motif supplémentaire d’augmenter les chargements pourrait être le projet de directive européenne sur les émissions industrielles de carbone. Le Parlement européen devait se prononcer le 10 juillet sur l’éventuel abaissement du seuil de chargement imposant à des élevages modestes d’investir 55 000 et 85 000 euros, de verser 10 000 euros de frais de dossier et de dépenser chaque année 2000 à 2 500 euros par an en suivi de classement. C’est ce que détaille la directrice de la Confédération française de l’aviculture, Nathalie Feugeas, en redoutant « un vrai risque de perte d’élevages en très grand nombre ».
Parts des espèces en 2022
Production versus consommation
Poulet : 75 % vs 79,6 %
Dinde : 16 % vs 12,8 %
Canard gras ou à rôtir : 7 % vs 6 %
Pintade : 2 % vs 1 %
Source : Itavi d’après Agreste, Cicar, CIPC, Cidef, CIP
L’étiquetage en restauration ne prend pas
L’étiquetage de l’origine de la viande de volaille en restauration est une demande insistante des filières de volailles de chair. L’Association de promotion de la volaille française (APVF) affirme que les consommateurs sont attachés à l’origine française puisqu’en GMS neuf personnes sur dix considèrent que le logo Volaille française garantit des volailles nées, élevées, abattues et transformées en France (selon une enquête Opinion Way pour l’APVF en 2022). Depuis un an, les restaurants en France ont l’obligation d’afficher l’origine des viandes qu’ils ont achetées crues. À ce jour, seule 15 % de la restauration chaînée ou indépendante affiche l’origine, selon une nouvelle étude Roamler commandée par l’APVF au printemps 2023 auprès de 380 établissements – 80 points des 55 principales chaînes de vente à emporter et 25 points de restauration à table et 300 indépendants.
Industrie : des investissements et acquisitions majeurs
L’industrie de transformation des viandes de volaille a mis en sommeil son innovation, mais pas ses réalisations de moyens ni ses acquisitions stratégiques. Quatre investissements majeurs sont à retenir.
Galliance a inauguré son nouvel abattoir à Ancenis en avril 2023
La filiale du groupe coopératif Terrena, spécialisée dans la volaille, a inauguré en avril 2023 son abattoir d’Ancenis-Saint-Géréon, en Loire-Atlantique. Ce nouvel outil a une capacité de 550 000 poulets par semaine et est fortement robotisé. Il remplace l’ancien site d’Ancenis dédié aux volailles bio et label Rouge, pour un coût de 43 millions d’euros. Galliance détient quatre sites d’abattage-découpe en Pays de la Loire et Bretagne, un en Ardenne et un dans la Drôme.
Fermiers du Sud-Ouest a restructuré son abattoir de Condom
La filiale (à 100 % depuis juillet 2022, Terrena s’étant retiré) du groupe coopératif Maïsadour a terminé cet automne la rénovation de son abattoir de Condom, dans le Gers, d’une capacité de 250 000 poulets par semaine (contre 200 000 auparavant). Ce site produit la marque Le Poulet d’Ici et a augmenté sa capacité de découpes, pour un coût de 15 millions d’euros. Maïsadour pilote un autre abattoir dans le Gers, deux dans les Landes et un dans le Périgord.
Duc-Plukon a repensé son abattoir de Saint-Bauzély
La filiale française du groupe néerlandais Plukon a restructuré en 2022 son abattoir de Saint-Bauzély, dans le Gard. Celui-ci a une capacité de 300 000 poulets par semaine. Cet abattoir doit encore être adapté pour intégrer l’étourdissement au CO2, comme l’a été en 2021 celui de Chailley, dans l’Yonne, d’une capacité 700 000 poulets par semaine.
Savel a acquis La Toque bretonne ce printemps 2023
Le spécialiste des petites volailles Savel a acquis en mai 2023 La Toque bretonne, qui découpe de la dinde standard. Savel a deux abattoirs dans le Finistère et un dans le Maine-et-Loire.