Écomouv' : tentative de privatiser le recouvrement de l'impôt
Huit mois après « la suspension » de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault à la suite du mouvement social des bonnets rouges en Bretagne, le gouvernement a décidé d'appliquer une nouvelle mouture, panachée pour la rendre acceptable socialement. Les portiques de la colère sont voués aux oubliettes, la Bretagne largement épargnée, tout comme les véhicules et matériels agricoles qui sont exonérés.
Il reste que la décision exceptionnelle dans l'histoire de la République française de confier à un intervenant privé la mission régalienne du recouvrement d'un impôt oblige l'État à négocier ce remaniement avec la société prestataire en tenant compte du contrat qui lie les deux parties, comme l'avait souligné le rapport de la commission d'enquête.
Au temps des 28 fermiers généraux...La France a déjà connu et résolu cette situation en d'autres temps : au crépuscule de l'Ancien Régime, l'impôt était perçu par vingt-huit fermiers généraux, personnes privées rémunérées au pourcentage de leur collecte. Cette délégation fut supprimée à la Révolution et les fermiers généraux reçurent pour toute indemnisation un ticket pour la guillotine. Aujourd'hui, le gouvernement s'aperçoit qu'on ne perçoit pas un impôt comme on gère une entreprise commerciale. Mais aussi qu'il n'est plus de mise de convoquer les collecteurs d'impôts (en l'occurrence les dirigeants d'Autostrade per l'Italia) sur la Place de la Concorde…
La commission sénatoriale s'était donné pour objectif principal de vérifier la légitimité juridique du choix du partenariat public privé, et d'examiner l'équilibre général du contrat. Rappelons que la perception de cette taxe perçue sur les poids lourds empruntant le réseau routier français non concédé a été confiée à la société Écomouv' créée pour l'occasion et détenue majoritairement par la société italienne Autostrade per l'Italia dans le cadre d'un contrat de partenariat passé après un dialogue compétitif.
Risque financier et socialCe montage avait fait grincer des dents, mais le Conseil d'État avait considéré qu'aucune norme constitutionnelle n'obligeait l'État à percevoir lui-même l'impôt. Il avait estimé que le recouvrement en lui-même n'était pas à classer dans les « missions de souveraineté » qui ne sont pas délégables, seuls le recouvrement forcé et l'utilisation de la force publique ressortissant de la souveraineté de l'État.
L'option du contrat de partenariat avait été choisie en raison de la complexité technique présente dans toutes les phases du dossier et à laquelle les douanes ne s'estimaient pas en mesure de répondre dans un contexte de révision générale des politiques publiques, et donc de baisse drastique des budgets. Il avait été jugé de même opportun de transférer le risque financier vers le secteur privé puisque, aux termes du contrat, Écomouv' était redevable des sommes « facturées » au contribuable, à charge pour lui de les recouvrer effectivement, tandis que l'État ne prenait en charge que le « risque social ». Les évè-nements permettent à présent de juger lequel des deux risques était le plus grand.
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L'explosion sociale qui a suivi a prouvé s'il en était besoin, que le droit des obligations n'était pas adapté à la gestion d'un impôt, l'État se retrouvant forcé de gérer une situation de « suspension » qui n'était absolument pas prévue au contrat, lequel prévoyait une exploitation par la société Écomouv' devant durer treize ans.
L'échec total de ce choix du partenariat public-privé se traduit avant tout par le fait que l'État ne cherche plus aujourd'hui à savoir si le maintien de cet impôt est opportun socialement ou économiquement, mais si sa suppression est possible au vu du coût de l'indemnisation d'Écomouv' et de ses sous-traitants. Autrement dit, l'appréciation de l'utilité de l'impôt ne se fait plus à la mesure de l'intérêt général mais à l'aune d'intérêts privés.