Droit de la concurrence et regroupement des coopératives
L’Autorité de la concurrence a affirmé appeler de ses vœux les regroupements de coopératives pour remédier au déséquilibre dans le pouvoir de négociation des petits producteurs avec leur aval 1. De fait, elle ne s’est pas contentée, à travers ses avis et décisions, de promouvoir le regroupement des producteurs dans le modèle coopératif pour assurer la concentration de l’offre avec transfert de propriété, mais depuis 2009, date à laquelle elle a hérité du contrôle des concentrations, toutes les opérations concernant des coopératives agricoles ont été autorisées (quarante-huit au total, deux opérations étant en outre en cours d’examen).
Des modifications de statuts demandées par l’Autorité
Dans trois cas cependant (Tereos/Quartier Français, Agrial/Elle-et-Vire et Champagne Céréales/Nouricia), ces autorisations ont été assorties de réserves. Certaines sont tout à fait classiques : l’Autorité a ainsi exigé d’Agrial la cession de deux cidreries afin que soit conservé un niveau suffisant de concurrence dans le secteur. Mais d’autres portaient non plus sur l’aval mais sur l’amont, visant à un aménagement des obligations des adhérents.
En 1999, la Commission européenne avait déjà considéré 2 que l’opération de concentration de deux grandes coopératives pouvait entraîner une situation de position dominante sur le marché concerné, et avait exigé que les coopérateurs puissent effectuer jusqu’à 15 % de leurs livraisons hebdomadaires à des abattoirs indépendants. C’est l’obligation d’apport total qui se trouvait ainsi remise en cause. L’Autorité, dans les trois cas précités, va plus loin en demandant des modifications de statuts des coopératives concernées pour ce qui touche à leur activité d’approvisionnement de leurs adhérents.
Ainsi, elle n’a autorisé le rapprochement entre Agrial et Elle-et-Vire que sous réserve que l’obligation statutaire de se fournir à 80 % minimum en produits d’agrofourniture auprès de la coopérative soit réduite à 50 %, et elle a confirmé cette jurisprudence lors de la fusion entre Champagne Céréales et Nouricia. Elle considère en effet nécessaire de « prévenir les risques de verrouillage du marché de la distribution des produits d’agrofourniture auprès des producteurs » en obligeant les coopératives à « ne pas conditionner la collecte des produits de [leurs] adhérents à une obligation d’achat préalable des produits d’agrofournitures qu’elle[s] distribue[nt] ».
Ces considérations sont reprises dans le projet révisé des lignes directrices de l’Autorité relatives au contrôle des concentrations, publié le 22 février 2013, après quatre ans d’expérience. Une grande consultation publique, lancée à cette occasion, est en cours afin de prendre en compte les recommandations des acteurs concernés.
Une ingérence dans la relation contractuelle
Philippe Mangin, président de Coop de France, considère ces mesures comme inopportunes : « Certaines décisions portent carrément atteinte au droit coopératif car elles remettent en cause les relations statutaires des coopératives avec leurs membres ». Il bénéficie du soutien de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann : « S’ingérer de la sorte dans la relation contractuelle entre les coopérateurs et leur coopérative est non seulement discutable du point de vue des principes mais introduit aussi une menace pour le modèle économique coopératif agricole, puisque l’existence d’un lien entre l’obligation d’approvisionnement et l’obligation de collecte contribue à la compétitivité de ce modèle » 3.
Et c’est bien tout un modèle d’organisation des producteurs, reposant sur la réunion de la collecte et de l’approvisionnement qui se trouve ainsi remis en cause : le dogme libéral est décidément incompatible avec les traditions de solidarité de l’agriculture.
1. Voir son communiqué du 6 mars 2012.
2. Arrêt Danish Crown/Vestjyske Slagterier du 9 mars 1999.
3. Rapport d’information sur les entreprises coopératives, rédigé le 25 juillet 2012 au nom de la Commission des affaires économiques.