Contentieux de la concurrence et droits de la défense : comment les concilier ?
Le contentieux de la concurrence, qui se déroule devant l’Autorité de la concurrence, comporte de nombreuses particularités, au premier rang desquelles la procédure suivie devant cette autorité administrative indépendante, cette procédure n’étant contentieuse que plusieurs mois, voire plusieurs années après sa saisine, lorsque sont notifiés les griefs.
Rédaction Réussir
La procédure engagée devant l’Autorité de la concurrence commence par la nomination d’un rapporteur qui conduit une enquête administrative. Cette enquête se déroule le plus souvent sur plusieurs années, jusqu’à la clôture de l’enquête administrative par un rapport qui servira de base à la notification de griefs. Celle-ci, communiquée aux entreprises, entame la phase contentieuse de la procédure.
C’est à partir de cette notification de griefs que les parties mises en cause savent, après plusieurs années d’enquête, quels reproches leur sont faits et, plus basiquement, qu’elles vont devoir y répondre et organiser leur défense en conséquence. Cette défense consiste à contrecarrer les conclusions de l’enquête administrative.
Mais précisément, face à une enquête administrative qui a commencé plusieurs années auparavant et s’est étalée sur de nombreux mois, organiser une défense peut être une gageure si, dans l’intervalle, les personnels ont changé, les systèmes informatiques ne sont plus les mêmes et, plus généralement, les éléments de preuve destinés à contrer les éléments du rapport d’enquête n’ont pas été systématiquement conservés par les entreprises, à partir du moment où elles ne savaient pas qu’elles auraient à répondre de griefs.
L’impossibilité d’organiser sa défense
C’est une question épineuse sur laquelle la Cour de justice des Communautés européennes (devenue aujourd’hui Cour de justice de l’Union européenne) s’était déjà prononcée par un arrêt du 21 septembre 2006. D’une part, elle distinguait clairement la phase d’enquête administrative et la phase contentieuse. D’autre part, elle posait en principe que l’impossibilité pour une partie de se défendre durant la phase contentieuse pouvait parfaitement avoir pour origine une phase d’enquête trop longue. Car si durant cette période l’Administration peut rassembler des éléments de preuve des griefs qui seront formulés ultérieurement, les entreprises ne collectent pas systématiquement des contre-preuves pour préparer leur défense. À ce stade, elles ne savent pas en effet qu’elles auront à répondre de griefs.
En revanche, pour la Cour de justice, l’impossibilité de se défendre en raison de la longueur de la phase d’enquête administrative doit être établie dans chaque cas, vis-à-vis de chaque entreprise.
Une simple critique générale de la longueur de la phase d’enquête, dont la Cour de justice dit clairement qu’elle peut être justifiée par la complexité de l’affaire, ne peut suffire.
En France, ce débat avait rebondi en novembre 2009, quand la cour d’appel de Paris, statuant déjà sur renvoi de cassation, avait annulé une ancienne procédure dans laquelle la phase d’enquête avait duré 8 ans, ce qui, pour elle, rendait difficile voire impossible la constitution à rebours des preuves nécessaires pour contrer la notification de griefs. Par un arrêt du 23 novembre 2010, la Cour de cassation reprocha à la cour d’appel de ne pas avoir dit en quoi, pour chaque entreprise, la durée de la phase d’enquête avait entraîné une impossibilité d’organiser sa défense. Ce faisant, la Cour de cassation française s’aligne sur la Cour de justice. Il en résulte, pour les entreprises, que l’argument d’une atteinte aux droits de la défense sera peut-être plus communément invoqué, mais à charge pour elles de démontrer en quoi elles ont été dans l’impossibilité d’organiser leur défense.
On le voit, l’avantage est aussitôt compensé par un inconvénient.