Clauses de non-concurrence : attention aux abus
Depuis un demi-siècle, la jurisprudence, guidée par le droit du travail, regarde avec prudence et vigilance le développement des clauses de non-concurrence. De telles clauses conduisent une partie à un contrat à ne pas concurrencer son partenaire économique, situation évidemment très confortable dans un contexte de liberté de la concurrence. Leur développement a donc été rapide et souvent très ingénieux, de sorte que le panorama est aujourd'hui varié, sous des dénominations diverses, comme par exemple les clauses de non-rétablissement dans les cessions de fonds de commerce. Généralement, ces clauses visent à aménager l'après-contrat, lorsque ce contrat a pris fin. Ainsi, tel salarié va s'engager à ne pas concurrencer son précédent employeur en s'interdisant d'apporter au concurrent un savoir-faire particulier, acquis au titre du contrat rompu.
Ayant rapidement vu que ce type d'engagement pouvait aboutir à des blocages, la jurisprudence a défini une grille permettant d'en apprécier la validité : la clause de non-concurrence doit être limitée dans le temps et dans l'espace, ne pas excéder la protection des intérêts légitimes de son bénéficiaire, et, spécifiquement en droit du travail, être assortie d'une contrepartie financière. En cours de vie du contrat, de tels engagements sont souvent qualifiés d'engagements d'exclusivité, mais leur analyse juridique ne diffère pas de celle des clauses de non-concurrence post-contractuelles. Les licences de droits de propriété intellectuelle en sont l'illustration. Le titulaire d'un tel droit bénéficiant d'un mono-pole absolu et opposable à tous, durant la période de validité du droit, il est juridiquement impossible à un tiers d'exploiter un tel droit sans autorisation du titulaire. C'est donc la licence qui va définir le périmètre de l'autorisation.
S'il est logique que le licencié s'en-gage à exploiter effectivement le droit concédé en développant les ventes, cela n'implique pas automatiquement une interdiction de vendre des produits concurrents. Quant à lui interdire de développer des recherches alternatives aux droits concédés, cela ne peut que susciter la vigilance des juges.
Abus de droits à la propriété intellectuelle
Dans une affaire tranchée en 2015 par la cour d'appel d'Agen, une société avait bénéficié pendant plusieurs années de licences successives lui permettant de produire et vendre en France des variétés de peupliers protégées par un certificat d'obtention végétale (COV). Subitement, le titulaire insère dans son contrat une clause interdisant au licencié de produire ou commercialiser des produits susceptibles de concurrencer les siens, et également d'entreprendre toute recherche alternative.
La cour d'appel stigmatise cette clause qui excède la protection des intérêts légitimes du titulaire en cloisonnant l'accès au marché. Il est exact que la protection des intérêts légitimes d'un titulaire d'un COV est suffisamment assurée même en l'absence de clauses d'exclusivité, compte tenu du monopole dont dispose ce titulaire de décider qui va produire la variété végétale en question, et de poursuivre toute contrefaçon. Dès lors, interdire la recherche ne participe pas de la protection d'un intérêt légitime, mais vise clairement à étendre la portée du droit concédé bien au-delà de son champ que nous pourrions qualifier de « naturel ».
Il s'agit, en quelque sorte, d'un abus de droit, à l'instar de la clause de non-concurrence qui empêche un salarié de travailler sans protéger un intérêt légitime de l'employeur. Comme on peut le voir dans le déséquilibre significatif, le juge use de plus en plus souvent de son pouvoir régulateur pour équilibrer les conventions et fluidifier l'accès au marché. Dans le même esprit, la jurisprudence communautaire a développé la théorie de l'épuisement des droits de propriété intellectuelle pour en limiter la portée, de façon à décloisonner les échanges. La position de la cour d'appel d'Agen n'est pas nouvelle sur ce point. Elle l'est d'avantage en exigeant une contrepartie financière qui n'est requise qu'en droit du travail. Mais comme cela fait 50 ans que le droit du travail « tire » la jurisprudence en la matière, peut-être, la cour d'Agen n'est-elle que visionnaire.
Fort d'une expérience de plus de vingt-cinq années dont vingt ans au sein du cabinet LPLG Avocats, dont il fut associé, Maître Didier Le Goff a créé en 2016 une structure dédiée à l'entreprise et à l'écoute de ses besoins, pour lui proposer des services adaptés, en conseil ou contentieux. Titulaire d'une mention de spécialisation en droit de la propriété intellectuelle, Maître Didier Le Goff a développé une compétence générale en droit économique qu'il enseigne en mas-ter II Droit du marché de l'université de Nantes, avec une prédilection pour l'agroalimentaire tant en droit national qu'européen ou international. Contact : dlegoff.avocat@gmail.com