Chronique
Bientôt une action de groupe européenne ?
La Commission européenne a enfin réussi à faire adopter la directive (UE) 2020/1828 du 25 novembre 2020 (1), afin d’offrir aux consommateurs des voies de recours plus efficaces. Mais cette action de groupe européenne ne va probablement pas bouleverser la version française.
Les petits litiges de consommation sont rarement portés devant les juridictions par les consommateurs lésés, généralement découragés par le faible enjeu et les coûts de procédure. Pour y remédier, la France a ainsi adopté une réglementation sur l’action de groupe depuis la loi no 2014-344 du 17 mars 2014 (dite loi Hamon).
Cette procédure interne est strictement encadrée et relativement lourde, car elle nécessite trois phases distinctes. Aux termes de l’article L 623-1 du Code de la consommation, seules des associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national agréées peuvent l’entreprendre, afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs, placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un même professionnel à ses obligations légales. Le juge est d’abord appelé à se prononcer sur la responsabilité du professionnel et fixe, le cas échéant, les modalités de réparation des préjudices et le cadre de la suite de la procédure (comme les modalités de la publicité de la décision ou les conditions et délai d’adhésion). Ensuite, l’indemnisation des consommateurs et le règlement des différends se déroulent hors prétoire, entre les parties, conformément au cadre défini par le juge, et sous son contrôle, en cas de difficulté. Enfin, un second jugement clôture la procédure, soit en constatant l’extinction de l’instance, soit en liquidant les préjudices, lorsque le professionnel n’a pas indemnisé tous les consommateurs, conformément au premier jugement.
Plusieurs mécanismes en France
Il existe également une procédure simplifiée qui peut s’appliquer lorsque l’identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus et que leurs préjudices sont identiques. Dans cette hypothèse, le juge peut condamner le professionnel responsable à les indemniser directement et individuellement, dans un délai et suivant des modalités qu’il fixe.
L’action de groupe coexiste aux côtés d’autres procédures conjointes tendant à la même finalité, c’est-à-dire, l’indemnisation des consommateurs lésés. L’action conjointe (2) permet aux associations de consommateurs d’intervenir dans une instance pour la défense et la réparation de l’intérêt collectif des consommateurs, mais la décision est, dans ce cas, limitée aux consommateurs parties à l’instance. L’action en représentation conjointe (3) permet à plusieurs consommateurs de donner mandat à une association de consommateurs pour qu’elle agisse en réparation, mais l’association peine, en pratique, à réunir un nombre significatif de consommateurs, n’étant pas autorisée à les solliciter par voie d’affichage ou d’appel public télévisé ou radiophonique.
Seules quatorze actions de groupe engagées
En d’autres termes, la France s’est déjà dotée de nombreux mécanismes pour défendre l’intérêt collectif des consommateurs, bien qu’aucun ne semble véritablement efficace. Reste à voir si à partir du 25 décembre 2022 (fin du délai de transposition de la directive), la nouvelle action de groupe « transfrontalière » qui viendra s’ajouter au patchwork procédural existant, poussera davantage les consommateurs à agir. En juin 2020, seules quatorze actions de groupe en matière de consommation avaient été engagées depuis octobre 2014 (4). Il convient de préciser que ces nouvelles règles sont conçues pour mettre en œuvre une procédure plus efficace pour les recours collectifs de consommateurs, tant au niveau des États membres qu’au niveau européen, en cas de violation du droit européen, mais introduisent également des changements fondamentaux dans les systèmes juridiques des États membres, notamment par la création d’un système de « discovery » de type « common law » (c’est-à-dire, donnant la possibilité au juge d’ordonner la production de preuves), alors que ce système n’existe pas dans plusieurs pays de l’UE et notamment la France.
Cabinet Keller & Heckman
Keller & Heckman est un cabinet international de droits des affaires, spécialisé en droits agroalimentaires, matériaux en contact alimentaire, environnement et publicité, présent à Bruxelles, Paris, San Francisco, Shanghai et Washington. Katia Merten-Lentz est avocate associée au sein du cabinet Keller & Heckman. Elle est chargée de toutes les questions agroalimentaires, européennes et nationales, et ce, pour toutes les filières de la chaîne alimentaire. Elle intervient tant en conseil qu’en contentieux, auprès des industries de l’agroalimentaire pour la mise en œuvre de la réglementation agricole et alimentaire de l’Union européenne.