Modélisation à horizon 2030
Accords de libre-échange : un effet contrasté pour l’agroalimentaire européen
L’effet cumulé de douze accords de libre-échange serait globalement positif pour le secteur agroalimentaire européen d’ici à 2030, selon une modélisation réalisée par le Centre commun de recherche de la Commission européenne. Dans le détail, certains secteurs en souffriraient.
L’effet cumulé de douze accords de libre-échange serait globalement positif pour le secteur agroalimentaire européen d’ici à 2030, selon une modélisation réalisée par le Centre commun de recherche de la Commission européenne. Dans le détail, certains secteurs en souffriraient.
Le Centre commun de recherche de la Commission européenne (ou Joint Research Center, JRC) a publié le 26 janvier 2021 une étude actualisant celle de 2016 sur les effets cumulés de douze accords commerciaux pour le secteur agroalimentaire européen d’ici à 2030. Un exercice de modélisation technique qui tend à prouver une incidence globalement positive sur l’économie et le secteur agroalimentaire de l’Union européenne avec une croissance de la balance commerciale nette positive de ce dernier de 800 millions à 1 milliard d’euros, selon le scénario envisagé, par rapport à un scénario sans accords de libre-échange.
Nous avons été en mesure de trouver le juste équilibre
« Cette étude montre que nous avons été en mesure de trouver le juste équilibre entre offrir davantage de possibilités d’exportation aux agriculteurs de l’Union européenne, tout en les protégeant des effets potentiellement néfastes de l’augmentation des importations », s’est félicité Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif chargé du commerce. Un avis que ne partagent pas tous les opérateurs de l’agroalimentaire. La lecture en détail de l’étude montre en effet des disparités selon les secteurs, même si le bilan est globalement meilleur que celui de la précédente étude parue en 2016.
Douze accords commerciaux intégrés, deux scénarios étudiés
Cette étude se concentre sur douze accords commerciaux : certains sont déjà entrés en vigueur (Canada, Japon, Viet Nam), pour d’autres, les négociations ont déjà abouti (Mexique et Mercosur), tandis que d’autres sont encore en cours de négociation, mais font partie du programme commercial de l’Union européenne (Chili, Australie, Nouvelle-Zélande, Indonésie, Malaisie, Philippines et Thaïlande). L’étude prend en outre en compte la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Deux scénarios sont pris en considération : un scénario conservateur et un scénario ambitieux. Les deux prennent en compte les résultats des négociations conclues avec le Mercosur. Le scénario conservateur retient 97 % des lignes tarifaires entièrement libéralisées avec une réduction tarifaire de 25 % pour les produits sensibles pour les accords encore en discussion. Le scénario ambitieux retient 98,5 % des lignes tarifaires entièrement libéralisées avec une réduction tarifaire de 50 % pour les produits sensibles dans ces derniers accords. Les auteurs de l’étude précisent que leur modèle ne considère pas les effets de la pandémie de coronavirus, de la politique européenne de la Ferme à la table ni des politiques en faveur de l’environnement et du développement durable.
Produits laitiers et viande porcine favorisés
Dans les deux scénarios, l’évolution de la balance commerciale agroalimentaire de l’UE est positive d’ici à 2030. Les exportations agroalimentaires européennes vers les douze régions concernées devraient augmenter de 25 % (scénario conservateur), soit 4,7 milliards d’euros, à 29 % (scénario ambitieux), soit 5,5 milliards d’euros, tandis que les importations augmenteraient respectivement de 10 % et 13 %, soit 3,7 milliards d’euros et 4,7 milliards. Des secteurs ressortent clairement vainqueurs des accords, comme les produits laitiers européens, avec une progression des exportations de 7,3 % (soit +1,3 milliard d’euros) dans le scénario ambitieux. Le secteur de la viande porcine s’en sortirait également plutôt bien, selon l’exercice de modélisation, avec des exportations à +8,9 % (soit +914 millions d’euros) pour le scénario ambitieux. Les produits agricoles transformés verraient aussi leurs exportations croître de 3,1 % pour ce même scénario (+1,7 milliard d’euros) quand les exportations de vins et de boissons européennes pourraient s’apprécier de 2 % (834 millions d’euros).
La vulnérabilité de certains secteurs
Si le communiqué de presse de la Commission européenne l’évoque assez peu, l’étude du JRC confirme cependant la « vulnérabilité de certains secteurs » à ces accords. À savoir : la viande bovine, ovine, la volaille, le sucre et le riz. Ces douze accords de libre-échange devraient ainsi accroître les importations de viande bovine de 21 à 26 % selon les scénarios (soit 512 et 614 millions d’euros). Le Mercosur représenterait 82 et 69 % de cette croissance (422 millions d’euros dans les deux scénarios), l’Australie étant la deuxième région gagnante (avec 45 et 121 millions d’euros d’exportations vers l’UE en plus). L’étude modélise ainsi une hausse des importations de viande bovine de 85 000 à 100 000 tonnes équivalent carcasse.
Pour la volaille, les importations devraient croître de 22 à 29 %, la balance commerciale pour le secteur se situant d’ici à 2030 entre -308 millions d’euros et -377 millions euros, du fait des importations en provenance du Mercosur et de la Thaïlande.
L’étude prévoit aussi une hausse des importations de riz vers l’Union européenne de 2,2 à 3,2 %, qui se traduirait par une baisse de la production et des prix du riz dans l’Union européenne. En ce qui concerne le sucre, les importations totales augmenteraient de 12 à 13 % par rapport au scénario de référence.
Des filières françaises en colère
« Il y a un moment où l’Europe va devoir se poser la question de son modèle de production agricole », commente Anne Richard, directrice d’Anvol (interprofession avicole) à l’évocation des résultats de cette étude. « On casse des filières européennes au moment où on réalise un travail de fond hypercompliqué pour répondre aux demandes sociétales », poursuit-elle. « Les résultats de ces études sont souvent sous-estimés, on peut s’attendre à pire. Dans l’accord Mercosur, l’agriculture a été utilisée comme élément d’échange », déplore de son côté Emmanuel Bernard, président de la section bovine d’Interbev, qui devait rencontrer Franck Riester, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité, le 4 février sur le sujet. Il espère que le président de la République restera ferme par rapport à cet accord, alors qu'un document dévoilé par Mediapart laisse supposer le contraire.