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En élevage, le bout du tunnel semble loin

Avec l’effondrement des abattages lors du confinement, les éleveurs se sont retrouvés pendant quelques semaines avec leurs agneaux prêts à partir sur les bras.

La « semaine noire ». C’est ainsi que l’on pourrait appeler la deuxième semaine de confinement, avec une dégringolade des abattages de plus de 40 %. Conséquence directe de cette baisse d’activité des opérateurs, les collectes d’agneaux se sont arrêtées du jour au lendemain, laissant les éleveurs seuls face à leurs agneaux finis qui auraient dû être abattus dans les plus brefs délais. Les élevages de la France entière ont alors été collectés au compte-gouttes, avec une visibilité d’à peine quelques jours pour les éleveurs.

Des idées pour limiter la casse en élevage

La FNO, en collaboration avec le Ciirpo et l’Institut de l’élevage, a rapidement proposé des solutions aux producteurs pour limiter la casse. « Le rationnement, le sevrage précoce, la mise à l’herbe de lots pour libérer de la place en bergerie peuvent aider les éleveurs dans cette situation exceptionnelle, développe Michèle Boudoin. Nous conseillons vivement aux éleveurs de garder les femelles engraissées pour leur renouvellement. Cela permettrait d’écarter du circuit d’abattage pas moins de 50 000 animaux. » Le syndicat s’est mobilisé au niveau européen pour garantir que les éleveurs français ne seront pas impactés sur le montant de l’aide ovine qu’ils percevront l’année prochaine. En effet, les agnelles initialement destinées à l’abattage qui serviront à la reproduction risquent de faire baisser la productivité moyenne du troupeau, critère principal d’attribution de l’aide ovine. « J’ai gardé une trentaine d’agnelles parmi celles destinées à l’abattoir, témoigne Bruno Damiens, éleveur en Ardèche. Chaque année, j’en achète une soixantaine, je n’aurais à en trouver que 30 pour 2020. » Par contre, il dit ne pas procéder au rationnement, de peur d’avoir des pertes parmi ses agneaux. Bruno Damiens a recours à une autre astuce, qui est de distribuer quasiment à volonté du fourrage de bonne qualité (paille et foin). « Les agneaux se remplissent ainsi plus la panse et consomment de fait un peu moins de concentré, qui est tout de même distribué à volonté. Cette technique permet de limiter un peu les frais d’alimentation et ralentit un petit peu la croissance quotidienne. »

Les agneaux IGP trop vieux sont invendables

Bruno Damiens, qui élève ses agneaux selon le cahier des charges IGP Agneau de l’adret, s’inquiète des débouchés pour sa production. « Une fois passée la date optimale d’abattage, les agneaux qui suivent un cahier des charges deviennent invendables avec le signe de qualité et avec la situation actuelle, ne sont pas pris sur le marché conventionnel car trop lourds », s’inquiétait-t-il. Lui qui est aussi administrateur de sa coopérative, redécouvre à ses dépens les lois bien rigides du commerce. « Nos agneaux IGP ne sont référencés dans la grande distribution qu’en carcasse entière, normalement débitée sur place par les bouchers et vendue en rayon traditionnel, explique Bruno Damiens. Or, avec la fermeture de ces rayons, nous ne parvenons plus à écouler correctement nos agneaux, alors qu’il nous serait tout à fait possible de les envoyer déjà découpés et mis en barquette. Nos industriels savent parfaitement le faire, mais le référencement, qui ne change qu’une à deux fois par an, ne le permet pas. » Pour les éleveurs, passée la perte financière due à la non-vente des agneaux et à la surconsommation de concentrés et de fourrage, cette crise représentait la mise en danger de huit mois de travail, « d’un Noël passé en bergerie pour les agnelages », d’après les mots de Bruno Damiens et d’un trou dans la trésorerie qui sera dur à combler dans les mois à venir. Les banques et l’État ont tout de même permis aux petites et moyennes entreprises de souscrire à des prêts à taux zéro afin de renflouer un minimum les trésoreries les plus tendues.

Reprise des inséminations

Grosse frayeur chez les éleveurs de brebis laitières qui ont vu, lors de la deuxième semaine de confinement, les entreprises d’insémination arrêter les chantiers les uns après les autres. Face à la contagiosité du virus, celles-ci ont reconnu ne plus être en mesure d’assurer la sécurité de leurs techniciens. Heureusement, une semaine plus tard, les inséminations ont pu reprendre, du matériel de protection ayant été débloqué et des protocoles d’intervention mis en place par les neuf centres d’insémination. Soulagement pour les éleveurs et responsables professionnels. « L’arrêt prolongé des chantiers d’insémination aurait impacté durablement la filière lait puisqu’il y aurait eu une perte de progrès génétique, s’était alarmé Jérôme Redoules, éleveur de brebis laitières en Aveyron et administrateur de la FNO. Sans compter qu’une part non négligeable d’éleveurs ne dispose pas d’assez de béliers sur leurs exploitations pour assurer la reproduction de tout leur cheptel. »

La vente directe, une manne prometteuse avec la crise

Pour Christophe Guicheux, éleveur d’ovins allaitants dans l’Eure, la visibilité est très faible et il vit au jour le jour. Néanmoins, pour cet éleveur normand qui a basé sa commercialisation sur les circuits courts et la vente directe, la situation semble moins catastrophique. « Je réalise un peu moins de 30 % de mon chiffre d’affaires annuel sur la période de Pâques, mais je prévois une baisse d’au moins 60 % de mes ventes pour cette fête, à cause notamment de la fermeture des restaurants, clients importants d’habitude. » La fermeture des marchés ne lui permet plus d’écouler ses surplus comme il le faisait avant la crise. « Nous avons par contre enregistré des ventes records pendant les deux premières semaines du confinement, autant en agneau qu’en lapin, que ma compagne élève. » Il a déplacé une partie de son volume pour la vente en ligne mis en place par la coopérative Natup, il vend quelques agneaux à un autre magasin à la ferme. « Ma production fonctionne en flux tendu. Je peux donc plus facilement réguler les sorties d’agneaux, peut-être vais-je les sevrer plus tôt pour créer un petit stress et limiter la croissance dans un premier temps. »

Revoir notre mode de consommation

La vente à la ferme est toujours autorisée et bien que certains producteurs aient arrêté leur magasin sur l’exploitation par précaution sanitaire, les consommateurs apprécient ce mode d’approvisionnement à l’écart de la queue qui se forme jour après devant les supérettes et qui respecte plus facilement les règles de biosécurité que les supermarchés où les gens se croisent toujours. « Cette crise sera peut-être l’occasion de remettre les choses à plat et de se poser les bonnes questions, anticipe Michèle Boudoin. Veut-on de l’agneau qui a traversé la moitié de la planète alors que le producteur d’à côté fait une viande de grande qualité ? Notre rapport à la grande distribution et la place de la vente directe dans notre filière vont très certainement bouger dans l’après confinement. »

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