Vins désalcoolisés : « On peut se retrouver avec les mêmes problèmes que les produits alimentaires, avec des présences de « Salmonella », « Escherichia coli » ou « Listeria » »
Les vins désalcoolisés se rapprochent plus des boissons issues des industries agroalimentaires que du vin. Antoine Gruau, œnologue pour les Laboratoires Dujardin-Salleron, met en garde sur la stabilité de ces produits.
Les vins désalcoolisés se rapprochent plus des boissons issues des industries agroalimentaires que du vin. Antoine Gruau, œnologue pour les Laboratoires Dujardin-Salleron, met en garde sur la stabilité de ces produits.
Quels sont les écueils à éviter avec le vin désalcoolisé ?
A. G : Il y a beaucoup d’effervescence au sujet des vins désalcoolisés, leur montée en puissance est indéniable. Mais personnellement, je crois plus à la désalcoolisation partielle qu’à la totale, en termes de potentiel marché. Cela permet d’avoir des produits plus accessibles et plus digestes. Il y a une vraie carte à jouer sur les cépages aromatiques comme le gewurztraminer, le melon de Bourgogne, le sauvignon. Sur les effervescents également.
Avec la désalcoolisation totale, le principal risque est de leurrer les consommateurs. J’étais avant-hier à un événement autour de la bière et il y avait le logo interdit aux femmes enceintes sur une bière sans alcool. Cela fait bizarre. Je recommande de mesurer le taux d’alcool précisément. Et pour cela, la distillation par entraînement vapeur est le réel juge de paix.
Il faut également bien mettre en avant le vin ; qu’on ait encore l’impression de goûter un vin, sinon les produits seront noyés dans la masse des autres boissons sans alcool.
Quels sont les risques inhérents à ce nouveau type de produit ?
A. G : Je fais des hypothèses, qui sont à vérifier via des essais et des suivis dans le temps de la vie de ces produits en post-conditionnement. Mais a priori, dès lors que l’on supprime l’alcool, même si la matrice est différente notamment du fait de l’acidité, on se retrouve avec un produit similaire à un produit issu des industries agroalimentaires, avec tous les risques microbiologiques que cela suppose. Au-delà des levures et bactéries du vin, on peut se retrouver avec les mêmes agents pathogènes que les produits alimentaires, comme des Salmonella (salmonelles), des Escherichia coli, ou encore des Listeria, car ce sont des germes qui peuvent être apportés lors de la manipulation par les opérateurs. De plus, la présence de sucre favorise la prolifération des micro-organismes. Certains produits désalcoolisés en contiennent 5 %, soit 50 grammes par litre, ce qui n’est pas négligeable.
Comment se prémunir contre ces déviations ?
A. G : Il faut opter pour des process industriels, bien valider la procédure de nettoyage et de désinfection avec des mesures quotidiennes d’ATP-métrie, pour contrôler la présence ou l’absence de biofilm. Je recommande de mettre en place un véritable plan de contrôle d’hygiène, comme dans une industrie agroalimentaire, et de vérifier de manière inopinée les becs de tireuses, les robinets de dégustation, etc. C’est un enjeu crucial et de santé publique.
Par ailleurs, il faut mettre en place une traçabilité dans le temps, en conservant des lots témoins pour pouvoir effectuer des contrôles ponctuels. Il y a actuellement un vide juridique car ces produits sont nouveaux, mais je préconise d’indiquer une date limite de consommation sur les étiquettes, à l’instar des produits agroalimentaires. Ce ne sont pas des produits qui se conservent longtemps mais plutôt des boissons à rotation rapide.
Quelles mises en garde formulez-vous au niveau de l’embouteillage ?
A. G : Les bouteilles consignées sont un procédé très vertueux, avec un process de lavage, etc. Mais derrière, il faut pouvoir justifier que la bouteille est bien exempte de germes. Par ailleurs, s’il y a bien un nombre maximal de cycles de réutilisation à respecter, on n’est pas à l’abri que des microrayures se créent au fur et à mesure des cycles à l’intérieur de la bouteille. Or des micro-organismes peuvent y sporuler. Il faut donc vérifier le bon niveau sanitaire par des tests d’ATP-métrie, au même titre qu’on contrôle qu’une barrique usagée est saine. C’est une règle de bon sens mais à l’heure actuelle, les contrôles microbiologiques sont anecdotiques, voire inexistants.