Une diversification par la bière
Un vigneron bordelais, Thomas Le Grix de la Salle, a lancé un produit de diversification pour le moins décalé en terre girondine : une bière artisanale. Si la production est encore confidentielle, cela pourrait bien changer dans les années à venir.
Un vigneron bordelais, Thomas Le Grix de la Salle, a lancé un produit de diversification pour le moins décalé en terre girondine : une bière artisanale. Si la production est encore confidentielle, cela pourrait bien changer dans les années à venir.
Une dégustation de bière suisse à base de chasselas, du sang belge et une passion tant pour la bière que pour le vin. Il n’en fallait pas plus pour inspirer Thomas Le Grix de la Salle, du château le Grand Verdus, à Sadirac, en Gironde, et pour que naisse la bière des vendanges. Pourtant, rien ne destinait cette vieille famille vigneronne à se lancer dans le domaine de la bière ! Mais c’était sans compter sur la nouvelle génération. « C’est le bon moment pour lancer ce type de produit, je crois en l’idée, s’enthousiasme Thomas Le Grix de la Salle, trentenaire. Il est le fruit d’une dynamique générationnelle. Ni mon père, ni mon grand-père, n’auraient pu lancer une bière à base de vin. Elle est le produit de notre époque, de nos voyages, de notre liberté, et de nos inspirations. »
Mais qu’est-ce que cette boisson ? Une bière artisanale, à base d'« orge pilsen bio, d’orge ambré, de houblon et de sauvignon blanc », nous apprend l’étiquette. En somme, une bière classique, twistée d’un zeste de sauvignon. Ce dernier ajout est apparu comme une évidence. « Je me suis dit qu’il fallait élaborer une bière avec un cépage plus aromatique que le chasselas, comme le sauvignon, se remémore le vigneron. Un peu dans l’idée de ces bières belges aromatisées aux fruits : la Kriek, Kwak ou encore la Bécasse ». Peu de temps après, la bière des vendanges était née.
Un partenariat avec une brasserie artisanale
Mais pour passer du rêve à la réalité, le vigneron a dû trouver un partenaire, capable de brasser et conditionner le produit. « J’ai cherché des petites brasseries artisanales, témoigne Thomas Le Grix de la Salle. Et je me suis tourné vers la Brasserie Entre-deux-Bières. Avec sa gérante, Karine Forrer, nous avons mis au point une recette. Et lancé la bière pour le « millésime 2012 » ». Cette dernière n’est élaborée qu’avec un faible pourcentage de jus de sauvignon blanc. « Il ne faut pas en mettre trop, note le vigneron, car sinon, on perd toute l’amertume typique de la bière, et le taux d’alcool est trop important ».
Les raisins sont récoltés en même temps que ceux destinés à l’élaboration du vin blanc du domaine. Et ce, pour deux raisons : gustative et organisationnelle. « Je recherche les mêmes arômes pour les deux produits, indique Thomas Le Grix de la Salle. Et je n’ai besoin que d’un petit volume pour la bière, qui ne remplirait pas un pressoir. » Une fois débourbé, ce jus est ajouté à l’eau d’infusion de l’orge pilsen bio, de l’orge ambré et du houblon. Après un levurage, la fermentation se lance et dure une dizaine de jours. La bière est non filtrée, pour un aspect trouble rappelant les bières traditionnelles, et refermentée en bouteille, à l’instar des vinifications champenoises. Elle titre 7 % alc.
Mais au bout de trois millésimes, la brasserie Entre-Deux-Bières ferme ses portes. Le vigneron entame alors un nouveau « partenariat », avec la brasserie Mascaret, à Rions. « La recette a un peu évolué, note le viticulteur. On est notamment descendus à un taux de 5,5 % alc, pour davantage de fraîcheur, et une remontée salvatrice d’amertume. »
Au niveau aromatique, la présence de sauvignon ne saute pas aux papilles des non-initiés. « Nous ne sommes pas du tout sur le profil d’un vin de sauvignon, confirme en effet Thomas Le Grix de la Salle. Ceux qui s’attendent à ce type de produit trouvent d’autres choses que les arômes traditionnels de sauvignon. On est plutôt entre une bière blanche pour le côté désaltérant, léger, fruité et fleuri, et une bière belge d’abbaye, qui a un côté plus consistant, riche et épais. »
Un produit de niche vendu dans des bars à vins ou restaurants
Hormis la traditionnelle bouteille en verre de 33 cl, qui est ici marron pour le côté plus artisanal, le packaging sent le « home made ». « Je voulais quelque chose sans prétention, à la bonne franquette et qui fasse sourire les gens, explique l’exploitant. L’ouverture et la dégustation d’une bière sont un moment de détente. Je voulais que cela se ressente sur l’étiquette. » Ni une ni deux, il trouve un dessin sur internet, et rédige un petit texte de présentation. Le tour est joué. Sans oublier un petit clin d’œil au monde viticole : les bières sont millésimées.
Le vigneron, en charge de la commercialisation au domaine, ne consacre que peu de temps à la communication autour de ce produit de niche. Il cible essentiellement les bars à vins bordelais et parisiens, ainsi que les restaurants locaux, où la bière se retrouve à 2,50 ou 3 euros TTC. « Pour l’instant, c’est encore très confidentiel, reconnaît-il. Mais cela me fait une carte de visite et apporte un point de différenciation à ma gamme ; une valeur ajoutée au Grand Verdus. Les clients et prospects le perçoivent comme une marque d’originalité et de créativité. Les gens sont très curieux dès que je leur parle de ce produit. Ils veulent tout de suite goûter. Et ça fait mouche à tous les coups. Après, c’est à nous d’être bons et de convertir ce premier achat en second achat. » Si cette bière reste encore méconnue, elle a déjà servi de porte d’entrée pour le reste de la gamme du domaine, puisque « quelques clients du domaine sont arrivés par la bière », informe le viticulteur.
Peu rentable pour l’instant du fait des faibles volumes produits, cette bière intrigue et plaît chaque jour davantage. « J’ai commencé par un volume de 5 hl, évalue Thomas Le Grix de la Salle. J’en suis à présent à 10 hl. Et je devrais augmenter les quantités sous peu. » Un accroissement dû à l’intérêt de gros brasseurs pour ce produit. Une diversification de la gamme devrait accompagner ce changement d’échelle. Un succès pour ce produit si peu emblématique du bordelais…
Château le Grand Verdus
SURFACE 100 hectares en propriété et 30 en fermage
ENCÉPAGEMENT 70 % merlot, 20 % cabernet franc et 10 % cabernet sauvignon pour les rouges, 75 % sauvignon blanc et gris, et 25 % sémillon
DENSITÉ 3 300 et replantations à 5 000 pieds/hectare
AOC bordeaux supérieur, bordeaux blanc et bordeaux rosé
PRODUCTION 4 600 hectolitres de rouge, 900 de blanc et 400 de rosé
COMMERCIALISATION 800 000 à 900 000 cols par an
CIRCUITS DE COMMERCIALISATION 10 % négoce, 81 % export (une quarantaine de pays, la Belgique et la Chine figurant parmi les meilleures destinations),
PRIX DÉPART CAVEAU DU VIN entre 6,90 et 25 euros TTC
"Ne se lancer que lorsque l’activité primaire est mature"
"La diversification de secteur doit entrer dans une stratégie globale, et peut être une bonne idée, à trois conditions. La première est que l’activité primaire soit mature. J’entends par là que le vigneron doit déjà avoir puisé ou réfléchi à toutes les diversifications de gamme possibles dans son secteur, en fonction de sa clientèle cible et sans toutefois s’éparpiller. Il faut également que l’activité primaire qu’elle soit stable en gestion et dans l’organisation, avec un rythme de croisière, ou dans le meilleur des cas en croissance, au niveau commercial. Sinon, le risque est de changer de métier.
Le second critère est d’opérer une diversification proche, directement ou indirectement, du métier de base, pour éviter de se donner deux fois le même travail. C’est le cas pour la bière, mais aussi pour l’œnotourisme, ou l’ouverture d’une boutique fermière. Lorsque l’on communique sur l’activité de base, on peut facilement parler de la seconde, et les clients peuvent être les mêmes, d’où une synergie.
Enfin, il faut être à l’écoute. Il est important de se faire accompagner par un regard extérieur, que ce soit un consultant ou les principaux clients. Cela permet de prendre du recul par rapport à ses envies ou convictions. Il est ainsi possible de réaliser un genre d’étude de marché en live, pour voir comment les clients adhèrent au projet, les questions qu’ils se posent, etc. Parfois même, l’idée de diversification vient d’eux. Et s’il n’y a pas de réaction positive, il y a peu de chance pour que la diversification fonctionne."
((((Dhétine))))