Opter pour des vins en canette
Le marché du vin en canette affiche un fort dynamisme, boosté par l’essor de la demande aux États-Unis. Au niveau œnologique, le contenant présente des avantages pour la conservation des vins prêts à boire.
Le marché du vin en canette affiche un fort dynamisme, boosté par l’essor de la demande aux États-Unis. Au niveau œnologique, le contenant présente des avantages pour la conservation des vins prêts à boire.
Soixante-dix millions de dollars. C’est le chiffre d’affaires généré aux États-Unis sur les six premiers mois de l’année 2019 par les vins en canette, d’après l’institut américain WICResearch. Un dynamisme inégalé sur d'autres segments. « La demande est principalement concentrée aux États-Unis, mais le Royaume-Uni, le Japon et la Chine sont également des marchés clés », analyse Cédric Segal, fondateur de Wine Star, première marque de vins français en canette lancée en 2013. Il est également à la tête de la société de prestation d’encannage Star Beverages. Pour lui, ce format relativement récent dans le monde du vin est stratégique pour toucher la cible des millenials. « Ces jeunes ont une consommation nomade, hors domicile, en dehors du cadre traditionnel des repas. La canette n’est pas concurrente de la bouteille, elle est complémentaire » estime-t-il.
Une barrière psychologique plutôt que technique
Techniquement, tous les types de vins peuvent être mis en canette. « La canette est un contenant hermétique, au travers duquel il n’y a aucun transfert d’oxygène. Les vins que l’on y met doivent donc être prêts à boire », remarque Cédric Segal. Une étude menée par des chercheurs de l’université de Cornell, aux États-Unis, précise qu’en réalité les suivis de transfert d’oxygène à travers le petit contenant en aluminium n’ont jamais été réalisés sur des vins en canette. En revanche, ils l’ont été sur des bières en canette de 355 ml. « Il a été constaté des entrées d’air de l’ordre de 0,004 ml, ce qui équivaut à une hausse de 0,1 mg d’O2/l par an, comparable aux résultats avec des vins embouteillés à l’aide de capsules à vis », peut-on lire dans le rapport. En supposant que le vin soit consommé au plus tard dans l’année qui suit l’encannage, cet apport peut effectivement être considéré comme nul. Par ailleurs, l’opacité de l’aluminium est favorable à la conservation des vins blancs, rosés et effervescents. Et justement, ces vins se positionnent souvent en rupture avec les codes traditionnellement utilisés dans le monde du vin, surtout les rosés. C’est en partie pour cela que Star Beverages a récemment officialisé la création d’un partenariat avec la société Moncigale, spécialisée dans la prestation de conditionnement et basée dans le Gard. « Nous allons installer les machines de Star Beverages sur notre site, en plein cœur du bassin de production de vin rosé, et opérer la ligne pour eux », développe Laurent Rueff, directeur du site Moncigale. L’occasion pour la filiale vin du groupe Marie Brizard Wine & Spirits de se lancer sur ce créneau porteur.
Des migrations de molécules du liquide vers le contenant parfois constatées
La structure proposera la prestation d’encannage pour des formats de canettes de 18,7 et 25 cl. « La législation européenne impose un format qui soit une fraction de 75 cl », précise Cédric Segal. Quant à l’influence du contenant sur la qualité des vins, le secteur vitivinicole bénéficie de l’expérience des brasseurs en la matière. « L’intérieur des canettes contient un revêtement spécifique développé pour la bière et renforcé pour le vin », rapporte Cédric Segal. Sans ce revêtement, l’aluminium pur pourrait se corroder, en lien avec l’acidité des boissons. De là à dire qu’il n’y a aucune interaction, comme l’avancent certains fournisseurs, ce n’est pas tout à fait vrai. « Cela n’a pas été vérifié dans le vin, mais dans la bière, certains composés apolaires migrent du liquide vers le matériau. Parmi ceux-ci, il y a le TDN, responsable des arômes pétrolés des vieux rieslings, la rotundone, à l’origine des notes poivrées de la syrah ou encore le TCA. Mais ce dernier point n’est pas une préoccupation pour la filière vin », notent les chercheurs de l’université de Cornell. Les thiols volatiles ou les terpènes comme le linalol ou le géraniol ne sont en revanche pas concernés par ces mécanismes du fait de leur polarité. Les chercheurs de Cornell ont par ailleurs prouvé que le SO2 avait un rôle non négligeable dans la formation de H2S, composé responsable des odeurs de réduction type œuf pourri (voir encadré). Outre le suivi rigoureux des teneurs en sulfites, la préparation des vins à l’encannage ne diffère pas de celle préalable à la mise en bouteille.
Être vigilant lors des manipulations pour éviter les accrocs
L’inertage lors de l’encannage se fait à l’azote liquide, par le même processus que lors d’une mise classique. Moncigale prévoit de son côté de sensibiliser son personnel à la manipulation des canettes, plus fragiles que les bouteilles. « Il faut éviter les déformations et accrocs. » D’après les résultats d’une dégustation à l’aveugle réalisée en 2019 par l’institut américain WICResearch, 51,5 % des dégustateurs (1) ont préféré le vin en canette ou n’ont pas vu de différences. Quant à savoir quelles sont les références les plus qualitatives, il faudra attendre les résultats de la 2e édition du concours international des vins en canettes, qui aura lieu en Californie le 22 juillet 2020.
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Des acheteurs d’Europe du nord et de Russie nous ont sollicités
« En 2018, nous avons pris connaissance des données Kantar sur le marché de la canette via les études publiées par le CIVB. Il y était indiqué que les ventes de canettes aux États-Unis étaient en hausse de 69 %, alors que les ventes de BIB n’augmentaient que de 5 %. Sur place, nous avons constaté que l’offre française était uniquement sous forme de vin aromatisé, et que bien que ce soit un marché de niche, la consommation de vin en canettes est bien réelle. C’est pourquoi nous avons lancé en juin 2019 une gamme de vin en canette composée de deux références : une IGP atlantique rosé et une IGP atlantique blanc, conditionnées par un prestataire. Au total, cela représente 100 000 canettes. Nous avons choisi l’IGP car cela nous permettait de rentrer dans notre cible de prix, à savoir autour de 16 $ le pack de 4. Nous les commercialisons sous la marque Destination France. Par contre niveau marketing, nous avons fait le choix de la rupture, avec un design décalé à la lecture simple et directe et une mise en avant de la marque France. Et comme le BIB et la canette vont de pair en termes d’acceptation par le consommateur, nous avons décliné ce même design sur nos BIB. S’il est trop tôt pour tirer des conclusions puisque nos canettes viennent tout juste d’être mises en rayons, la demande est bien présente. Nous avons été sollicités par des acheteurs d’Europe du nord et de Russie. Quant au marché français, le lancement est timide. Nous avons proposé nos produits à la GD mais ils n’ont pas encore franchi le cap. Quoi qu’il en soit le jour où la GD décidera de se lancer, nous serons prêts. »
voir plus loin
Le rôle averé du SO2 dans la formation de H2S dans les vins en canette
Alertés par des professionnels ayant constaté à de multiples reprises le développement d’arômes de réduction dans leurs vins en canette, des chercheurs de l’université de Cornell, aux États-Unis, ont cherché à expliquer l’origine de ces défauts. Du fait du faible transfert d’oxygène à travers la canette, le milieu est déjà réducteur. « Mais cela ne peut expliquer que partiellement l’apparition de H2S », rapportent les Américains. En revanche, son apparition en réponse à diverses interactions entre les composés du breuvage et ceux du matériau est une hypothèse sérieuse. Les chercheurs ont donc mené une première expérience au cours de laquelle ils ont plongé pendant deux jours un bout d’aluminium pur dans une solution contenant 500 mg/l de SO2 libre, à température ambiante. « Nous avons relevé des teneurs en H2S supérieures à 10 ppb, quand le seuil de détection du composé est fixé à 1 ppb. Il y avait de plus des cloques sur le bout de métal », révèlent les chercheurs. Puis, ils ont mené une seconde expérimentation en laboratoire. Des solutions à pH 3,5, contenant 12 % vol d’alcool et des doses variables de SO2 libre ont été mises en canette ainsi qu’un vin contenant 50 mg/l de SO2 libre et un vin sans SO2. « En quelques semaines, nous avons pu détecter le H2S dans les vins, à des niveaux clairement dépendants de la dose en SO2 initiale. Dans le vin sulfité, nous l’avons détecté au bout de quelques jours, et nous n’en avons pas détecté dans le vin sans SO2 », notent les chercheurs. Ils ont par ailleurs constaté une formation plus rapide du H2S à température élevée, pointant l’importance de bien maîtriser les températures de stockage. Beaucoup de zones d’ombre persistent, notamment pour savoir si c’est davantage le bisulfite ou le SO2 moléculaire qui entraîne ces réactions. Les chercheurs américains recommandent de ne pas dépasser le seuil de 20 mg/l de SO2 libre à l’encannage. Ils poursuivent leurs travaux afin de mieux définir le rôle du SO2 et des molécules qui peuvent exacerber sa réactivité. Un axe prévoit également d’identifier d’autres précurseurs du H2S.