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Le vin de demain
Le vignoble français, entre adaptation et extension

Soumis à la pression du changement climatique, les vignobles français ont encore de la marge avant que la carte soit sérieusement bousculée. Reste l'inconnue des données économiques et politiques que les scientifiques ne peuvent pas prédire.

Si le changement climatique rend possible de développement de nouveaux vignobles, il n'implique pas pour autant un déplacement du vignoble actuel. Mais il faut aussi compter avec le contexte économique et politique.
© Mich

L’image fait partie des fantasmes qui agitent la France éternelle : dans cinquante ans, des grands crus en pays Bigoudin, des rosés mondialement reconnus produits en Picardie, des grands crus du Bordelais à 15 hectolitres/hectare et juste quelques oliviers vaillants sur les bords de la Méditerranée... Si la vigne est en première ligne du changement climatique, c’est bien entendu parce qu’elle est une culture pérenne et qu’elle est en plus fille de la chaleur et du soleil. Pour autant, Iñaki Garcia De Cortazar Atauri (Agroclim-Inrae), estime qu’on a le temps. Si l’apocalypse plaît aux médias, elle laisse la science de marbre. Ou presque. « Tout dépend dans quelles perspectives on se place pour regarder ce problème. Est-ce qu’on se projette à 2050, à partir des scénarios que l’on connaît ? Où est-ce qu’on regarde plus loin, en se basant sur les scénarios scientifiques mais sans rien connaître des choix de sociétés, des décisions politiques qui seront alors à l’œuvre », interroge-t-il en préambule. Si l’on reste sur le pas de 2050, alors il n’y aura pas grand changement, pas de révolution, essentiellement des adaptations. Même s’il y a des « opportunités de développer des vignobles dans de zones qui n’en comptent aujourd’hui pas. » Pour alimenter la réflexion, il s’appuie sur trois trajectoires. La première est basée sur une réduction drastique des émissions de gaz à effets de serre qui stabilise peu ou prou le climat d’aujourd’hui en 2050. « Par contre on sait que ce scénario n’est malheureusement pas réaliste. » Le deuxième scénario table une progression moins importante des émissions, mais une progression tout de même, « dans ces cas commence à se poser la question de la pérennité des systèmes agricoles ». Et enfin le scénario catastrophe, celui où rien ne change…

Des problématiques différentes au Nord et au Sud

« Là alors, dans nos contrées, le grand danger c’est que la viticulture, compte tenu du contexte, ne soit plus une priorité… ». Et ce qui préoccupe aujourd’hui, ce n’est pas tant l’élévation à venir de la température moyenne que la multiplication des épisodes hors norme, gel, grêle, canicules… Alors la carte va-t-elle changer radicalement ? Parce qu’elle a piloté le projet Laccave, Nathalie Ollat, ingénieure de recherche à L'Inrae, connaît bien cette problématique à l’horizon 2050. « Au Sud, la problématique majeure sera liée à l’eau, avec une baisse des rendements importante. Dans certaines zones l’adaptation pourra se faire peut-être en prenant de l’altitude, mais il y aura surtout un vrai choix stratégique à faire autour de l’irrigation ou non des vignes. Mais avant, il faudra que les filières se posent la question de la façon dont elles valorisent leurs produits. Au Nord, les problématiques sont différentes. Le réchauffement pourra paraître plutôt bénéfique dans un premier temps mais à moyen terme des problèmes surgiront. Cela pourra affecter la qualité des vins, en particulier pour les vins blancs dont la composante aromatique sera touchée par des températures élevées mais aussi sur le développement de maladies », détaille-t-elle dans un entretien à la revue Sesame en 2019. L’urgence ne réside donc pas tant dans l’augmentation des températures que dans la multiplication des accidents climatiques. Et plusieurs voies d’adaptation peuvent être retenues contre ces calamités. À l’échelle de la parcelle se développent des systèmes de protection ou des filets, pour se prémunir des effets de la grêle ou procurer de l’ombre. On voit aussi se développer l’irrigation, en théorie pour maintenir la qualité mais de plus en plus souvent pour maintenir la production. Avec les problèmes corollaires d’accès à l’eau. Le hic, c’est que ces solutions réclament des investissements parfois très, trop lourds.

Adapter le vignoble par le matériel végétal

Et puis il y a les cépages. Cette voie se décline en quatre axes différents. Le premier, c’est la valorisation de l’existant, à travers la recherche de clones mieux adaptés tout en maintenant la typicité. « Il y a un vrai réservoir en France pour cette voie », explique Iñaki Garcia de Cortazar Atauri. « Il faut garder à l’esprit que 90 % des clones que nous utilisons aujourd’hui ont été sélectionnés  dans les années 80, qui était une période froide et où l’on allait alors chercher du sucre… Alors qu’aujourd’hui, c’est le contraire. » Étienne Goulet (IFV Val de Loire) a mené des travaux avec ses équipes, sur les cépages typiques du Val de Loire, le chenin en particulier. « Nous avons mené ce travail parallèlement au déplacement de notre ancien conservatoire de chenin. Nous en avons profité pour réaliser de nouvelles prospections en France mais aussi jusqu’à en Afrique du Sud. Nous attendons que les individus recueillis sortent de quarantaine, et nous disposons aujourd’hui d’une collection d’environ 500 individus qui, à partir d’une même génétique, ont des comportements agronomiques différents, des décalages de floraison, de la précocité qui peuvent atteindre 10 à 15 jours, sur un même cépage. Tout cela, c’est en fait un réservoir dans lequel on peut piocher pour faire une sélection plus adaptée aux conditions qui nous sont promises », détaille-t-il.

Parmi les autres voies évoquées par Iñaki Garcia de Cortazar Atauri, la deuxième consiste à aller explorer les cépages autochtones, historiques, qui subsistent dans les collections mais qui avaient été délaissés en raison de piètre qualité ou de sensibilité aux maladies. Certains se trouvent remis en jeu aujourd’hui avec l’évolution climatique. Troisième voie, celle des cépages étrangers, avec l’écueil de typicités parfois éloignées des goûts actuels des consommateurs. Enfin, la quatrième voie citée par le chercheur s’appuie sur la sélection de nouveaux cépages, porteurs de résistances aux maladies, aux stress de différentes natures. « Mais là nous sommes sur un pas de temps de vingt à trente ans, et regardez le marselan, créé en 1965, il aura fallu cinquante ans pour qu’il soit pleinement intégré… ».

Les voies d'adaptation face aux contraintes économiques

Dans les vignobles les plus en tensions, tout le monde s’accorde à peu près sur le fait que ce n’est tant ce n’est pas tant le changement climatique qui va modifier la carte que les conditions économiques de production et de marché. Mais il reste encore des leviers à actionner explique l’œnologue perpignanais Jean-Michel Barcelo. « Il y a plusieurs chantiers sur lesquels nous avons à travailler pour rendre la vigne moins sensible aux événements climatiques, et en particulier aux coups de chaleurs comme nous en avons connu en 2009 ou aux épisodes de canicule. Nous pouvons certainement améliorer la gestion du feuillage, faire évoluer les parcours d’entretien des sols, raisonner aussi différemment la question phytosanitaire », indique-t-il. Nathalie Ollat confirme « La taille ? Oui, ce peut aussi être une des voies d’adaptation. En taillant tardivement par exemple au moment où la vigne redémarre au printemps, on peut différer significativement la date des vendanges. On pourrait aussi revenir à des méthodes plus traditionnelles de conduite. Le gobelet à densité peu élevée par exemple est plus résilient, il consomme moins d’eau et fournit plus d’ombre aux grappes… Mais ce type de conduite n’est pas facilement mécanisable et donc beaucoup plus consommateur de main-d’œuvre. » Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas, dans les trente ans à venir, de grandes modifications de la carte du vignoble français, mais plutôt des ajustements fins à l’intérieur des vignobles rendus possibles par une connaissance pédoclimatique plus fine des territoires. Et ce n’est pas parce que la France a connu la production viticole sur tout son territoire dans le passé qu’elle retrouvera cet état. « Oui, on peut, on pourra produire de la vigne partout, conclut Étienne Goulet, mais dans quelle condition et pour quelle qualité ? »

Dans les Pyrénées-Orientales, la quête de l'altitude

Dans ce département aux avant-postes du changement climatique, une des solutions sera de déplacer les vignobles pour leur faire prendre de… l’altitude. Une stratégie déjà mise en œuvre par certains vignerons qui lorgnent sur des territoires entre 300 et 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ces territoires avaient été peu ou prou délaissés ces dernières décennies. 

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