La France produit-elle trop de vin ?
Face à l’accumulation des difficultés, le vignoble a besoin de mesures urgentes mais aussi d’une vision à plus long terme. Cet horizon met la commercialisation en première ligne.
Face à l’accumulation des difficultés, le vignoble a besoin de mesures urgentes mais aussi d’une vision à plus long terme. Cet horizon met la commercialisation en première ligne.
La tendance à la déconsommation de vin se poursuit en France. Elle se mesure par exemple à travers les achats de vin tranquille des ménages, en moyenne de 44 cols de 75 cl en 2020, 11 cols de moins qu’en 2010 (données Kantar/FranceAgriMer). Mais au niveau mondial, la consommation de vin reste bien orientée. Ce constat incite Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et président de la European association of wine economists (EuAWE), à considérer que réduire notre production est « une erreur stratégique ; c’est dérouler le tapis rouge à nos concurrents ».
Un point de vue partagé par le conseiller Fabrice Chaudier, fondateur de Vins & Ventes. Pour lui, le vin n’étant pas un produit essentiel, la loi de l’offre et de la demande ne s’applique pas, en dehors de quelques pourcents de vins assimilables à des produits de luxe.
Imaginer des stratégies de conquête
Pour ces observateurs du marché, une stratégie de (re) conquête est à construire. Et de citer les exemples du cognac et du champagne, où les marchés sont étroitement reliés à la production par un pilotage des volumes et une structuration autour de grands acteurs ayant de forts moyens de commercialisation. « Dans les deux cas, il y a une volonté de l’interprofession de reconquérir des parts de marché ou de produire en fonction d’objectifs fixés par l’ensemble des acteurs », détaille Fabrice Chaudier. Il regrette que dans des vignobles comme le Bordelais, l’intermédiation ait coupé la production du marché. Il considère urgent d’aider collectivement les vignerons à vendre. « L’OCM vitivinicole flèche à 90 % des subventions sur l’amont et très peu sur l’aval. Il est plus facile d’obtenir 100 000 euros pour un pressoir que pour financer un commercial », estime le conseiller. Il regrette que dans les organismes de gestion des appellations, on se mobilise avant tout sur les cahiers des charges plutôt que sur « ce qui peut changer la commercialisation et la valorisation ».
Pour Michel Chapoutier, président de l’Union des maisons et marques de vin (UMVin), « ce serait plus positif d’aider des jeunes vignerons à s’installer, vendre et exporter que de faire de la destruction ».
Mettre les bouchées doubles sur l’exportation
Il déplore le manque chronique de moyens dédiés à la vente. « La France a un problème de commercialisation plutôt que de surproduction », martèle-t-il. « Dans les années 1990-2000, on a rechigné à mettre des capacités dans le développement des exportations. C’est un travers politique », assène-t-il. Il regrette le peu de poids réservé à ceux qui commercialisent dans l’organisation de la filière, qui aboutit à se poser la question de vendre après avoir produit. « On a trop pensé que le Graal c’était l’AOP et l’IGP, mais quelle est la demande du marché ? », s’interroge-t-il.
Joël Boueilh, président des Vignerons coopérateurs, regarde également au-delà de nos frontières. « On est trop centré sur le marché français. À l’exportation, la place existe pour nos vins mais il y a une façon de réfléchir au commerce du vin qu’il faut trouver », observe-t-il.
Un manque de structuration et de marques fortes
La résistance des Français envers les marques est un problème, selon Robert Joseph, journaliste et auteur spécialisé britannique, notamment éditorialiste du média Meininger’s Wine Business International. Il pense que l’on ajoute de la valeur à du raisin en créant des produits qui ont une qualité reconnue, et que cela passe par des marques et pas uniquement par une appellation. Pour preuve, dans les appellations à faible notoriété, des vignerons arrivent à vendre des bouteilles à 10-20 euros grâce à leur renommée, qui joue le rôle d’une marque, plus que grâce à l’AOP.
Dans ce contexte de faiblesse commerciale, il pense que, oui, la France produit trop de vin. Il cite les grands groupes comme Gallo ou The Wine Group capables de créer des dizaines de marques par an, pour cibler un marché. Il constate une image décalée des AOP : « un monopole nordique ou canadien va rechercher du chablis ou du chateauneuf du pape à tant d’euros la bouteille comme s’il achetait un produit de base ». Il regrette d’ailleurs le peu d’intérêt que suscite le World Bulk Wine Exhibition (WBWE) ou salon international des vins en vrac, pour lui un lieu absolument majeur pour la commercialisation du vin.
Jean-Marie Cardebat pointe également le manque de marques en France en observant des pays comme l’Australie « où ils ont de belles entrées de gamme et des milliers d’hectares autour d’une marque ». Pour lui comme pour Robert Joseph, suivre cette logique devrait amener le vignoble à se concentrer en nombre de domaines, pour un marché mieux structuré. « De mon point de vue, il y aura toujours une diversité de modèles dans la filière mais on explore mal celui de l’entrée de gamme avec des vins efficaces économiquement », précise l’économiste.
Sortir du dogme absolu de l’appellation d’origine
« On est dans une forme de dogmatisme comme quoi c’est l’AOP qui fait vendre. C’est vrai mais pas pour tout le monde », abonde Jean-Marie Cardebat. Robert Joseph tacle la supposée hiérarchie d’appellations toujours plus nombreuses au risque de perdre le consommateur. Il a cofondé l’entreprise viticole Le Grand Noir dans le Minervois (3,5 à 3,8 millions de bouteilles par an à 97 % en IGP) et raconte que lorsqu’il a lancé un vin AOP, ses amis français lui ont conseillé de choisir l’AOP minervois parce que « l’AOP languedoc, c’était plus bas ». Il ne les a pas écoutés vu qu’il vend essentiellement ses vins à l’export où la notoriété de l'AOP languedoc est plus évidente. « Les vins sans IG sont-ils vraiment à la base de la pyramide ? », s’interroge de son côté Michel Chapoutier.
« Je crois aux appellations, elles reflètent quelque chose d’unique mais je ne ferme aucune porte. Il faut écouter toutes les solutions. Les appellations doivent sans doute aussi évoluer plus vite », estime pour sa part Joël Boueilh.
Les consommateurs en mouvement perpétuel
La commercialisation exige d’être à l’écoute de l’évolution des consommateurs. Il y a déjà le climat qui les conduit à consommer différemment et donc réclame des produits adaptés. Il y a aussi leur rapport nouveau au vin. Aujourd’hui, on peut assumer de dire qu’on ne boit pas de vin, ce qui n’était pas le cas il y a encore vingt ans.
De fait, à l’apéritif comme à table, le vin est une option, pas un automatisme. Le fameux repas gastronomique à la française est un formidable vecteur d’image, mais il ne doit pas non plus fossiliser le vin. Robert Joseph s’insurge d’ailleurs contre l’idée du vin comme produit culturel. « Dans la réalité, le vin est toujours une boisson. Pour moi, le pinot griggio italien, le rosé de Provence, le sauvignon blanc néo-zélandais, le prosecco, ce sont des boissons », lance-t-il. La convivialité du vin a plusieurs visages.
La distribution doit s’adapter alors que les consommateurs, notamment anglais, sont toujours plus nombreux à acheter la bouteille quelques heures avant de la consommer. « Si l’intermédiation est un accélérateur pour être présent sur le marché, tant mieux. Mais si c’est une succession de strates qui freinent la logistique, c’est un problème », alerte Fabrice Chaudier. Ce n’est pas un hasard si des grands groupes rachètent des sites d’e-commerce, tel Castel qui s’est offert Vinatis. Jean-Marie Cardebat voit dans les technologies déployées dans l’e-commerce, les NFT, ou les sommeliers virtuels des pistes pour valoriser le vin auprès de cibles qui s’y intéressent peu.
Les comportements d’achats restent mal connus. En grande distribution, la consommation est tracée grâce aux instituts Kantar ou Iri. Mais ailleurs ? Quels vins s’achètent en vente directe, cavistes, différents types de restauration, web, magasins de producteurs, épiceries fines ou commerces de bouche ? Force est de constater qu’il y a un manque de données alors que la filière a un besoin criant d’indicateurs de pilotage.
Quatre tendances fortes sur le marché français
Moins d’achats de vin par les ménages : 88 % des ménages en achetaient en 2010, 83 % en 2020 (source Kantar-FranceAgriMer).
Désaffection pour les vins rouges : en 2021, ils ont perdu le tiers de leur volume vendu en GMS par rapport à 2010 (source IRI). La hausse des rosés et des blancs est loin de compenser cette perte.
Premiumisation : en GMS, le créneau des vins à moins de 4 euros souffre le plus, tandis que celui de 6-10 euros est en croissance.
Succès de la bière : elle représente désormais la moitié des volumes de boissons alcoolisées vendues en GMS. Panachés et sans alcool contribuent fortement à son dynamisme.