La filière vin prépare son accès au label bas-carbone
Mesurer son empreinte carbone est une chose. La réduire et vendre des crédits générés par sa diminution en est une autre. C’est l’enjeu du label bas-carbone mis en place par le gouvernement en 2018. La viticulture espère pouvoir y accéder en 2022.
Mesurer son empreinte carbone est une chose. La réduire et vendre des crédits générés par sa diminution en est une autre. C’est l’enjeu du label bas-carbone mis en place par le gouvernement en 2018. La viticulture espère pouvoir y accéder en 2022.
La France a pris des engagements sur la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) en signant l’Accord de Paris en décembre 2015. D’ici 2030, elle doit réduire ses émissions de 40 % par rapport à 1990. Un rapport du cabinet de conseil privé Boston Consulting Group paru le 10 février considérait qu’environ 50 % de l’objectif de réduction de gaz à effet de serre pour 2030 par rapport à 2018 (330 Mtéq. CO2) avait déjà été atteint. Il reste donc encore l’équivalent de 50 % de réduction à atteindre en seulement dix ans. Autant dire qu’un sacré coup d’accélérateur est nécessaire. Le label bas-carbone fait partie des dispositifs en place. Lancé en novembre 2018 par le ministère de la Transition écologique et solidaire, il a été élaboré avec l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE). Il vise à stimuler les efforts volontaires de diminution carbone en permettant de les financer par compensation à l’échelle nationale. Jusque-là cette possibilité était réservée à des acteurs contraints par des mesures réglementaires (voir repères). Ce label bas-carbone peut donc permettre à l’agriculture d’obtenir une rémunération pour ses efforts de réduction.
La viticulture doit établir un référentiel spécifique
Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un label mais une méthodologie qui vise à garantir l’impact réel des projets. Son cadre est fixé par un décret et un arrêté. « Le principe du label bas-carbone est que les méthodes soient validées par des scientifiques pour éviter que certains vendent des solutions miracles. C’est une boîte à outils », définit Olivier Dauger, élu de l’APCA en charge des dossiers Énergie-Climat. S’en saisir implique d’abord de définir une méthode adaptée à son activité et validée par le ministère. Tout acteur (entreprise, interprofession, association…) peut proposer la sienne. Au sein de l’agriculture, l’élevage, secteur le plus pointé du doigt sur ses émissions, a été précurseur.
Le référentiel n’existe pas encore pour la viticulture qui souhaite établir une méthode au niveau de la filière. C’est l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) qui pilote le projet. L’institut a déposé auprès du ministère le 18 janvier une « intention de méthode ». « Le projet était dans les cartons. Plusieurs interprofessions avaient initié une démarche de mesure de l’empreinte carbone et de réduction des gaz à effet de serre mais une accélération a eu lieu en 2020 », pointe Émilie Adoir, chargée de mission Environnement à l’IFV. Les travaux associent tous ceux qui dans la filière ont déjà acquis une certaine expertise du sujet via leurs engagements. « Vont s’y joindre d’autres experts identifiés comme l’ESA d’Angers qui a une équipe de recherche spécialisée sur l’analyse de cycle de vie (ACV) viticole », précise Émilie Adoir. De nombreux points sont à définir. Par exemple, ce qui va être considéré comme une pratique additionnelle, c’est-à-dire allant au-delà de ce qui est usuel ou réglementaire, et qui peut donc justifier d’être éligible à un financement par compensation. Ou encore, l’identification des cobénéfices des pistes de réduction, car elles doivent être vertueuses aussi sur d’autres plans (biodiversité, emploi, qualité de l’eau…). Il y a donc du pain sur la planche ! « L’élevage a mis un an et demi en tout », relate Émilie Adoir. Le terrain étant déjà un peu défriché, la filière se donne l’objectif de rédiger la méthode en un an. Sont à explorer les actions qui permettent d’éviter les émissions par des changements de pratique à la vigne. L’autre axe est celui de l’augmentation du stockage du carbone dans les sols. « Les 800 000 ha de vigne ne représentent que 2 à 3 % de la SAU mais le potentiel de séquestration est important car les taux de matières organiques sont relativement faibles », explique Jean-Yves Cahurel, ingénieur à l’IFV.
Établir un diagnostic pour déterminer des objectifs
Entrer dans la démarche label bas-carbone suppose de faire un état des lieux des émissions et d’évaluer le potentiel de réduction. C’est l’objet du diagnostic carbone. Le plan de relance veut encourager ces diagnostics avec un budget de 10 millions d’euros dédié à des « bons diagnostic carbone ». Mais ils sont réservés aux agriculteurs installés depuis moins de cinq ans. Les chambres d’agriculture se sont positionnées sur ce créneau du diagnostic en répondant à l’appel d’offre lancée par l’Ademe qui met en œuvre la mesure. « L’APCA s’engage sur la réalisation de 3 000 diagnostics sur deux ans. Le plan de relance ne prévoit que le financement de 5 000 diagnostics mais ça peut permettre de faire connaître la démarche », plaide Olivier Dauger. Le dispositif pourrait démarrer au 1er avril 2021 ce qui ne laissera pas le temps aux jeunes installés viticoles d’y avoir accès. Olivier Dauger espère d’autres encouragements par la suite, pour ne pas « arrêter le moteur ».
Faire émerger des projets à l’échelle locale ou régionale
Le label bas-carbone induit un marché dit "volontaire" où se rencontrent ceux qui réduisent leurs émissions et des financeurs qui cherchent à compenser les émissions irréductibles. Pour structurer ce marché émergent, des associations jouant le rôle de mandataire vont se développer. Elles allègent les tâches administratives, assurent la mise en contact et le suivi. Elle favorisent aussi l’émergence de projets locaux ou régionaux. « Le prix de la tonne de CO2 est négocié entre le vendeur et l’acheteur, de gré à gré. Actuellement l’Association France carbone agri (NDLR : active dans le secteur de l’élevage), propose une contractualisation à 30-35€/téq.CO2. L’agriculteur peut négocier avec l’acheteur de crédit carbone d’avoir une avance financière sur la somme de crédits attendus en début de projet », illustre Émilie Adoir.
La perspective d’un financement est-elle le seul attrait de la démarche ? Olivier Dauger, ne le pense pas : « Faire le diagnostic permet de savoir où on en est. On découvre que l’amélioration n’est pas forcément hors de portée. En élevage, certains se sont rendu compte qu’il y avait une amélioration économique de l’exploitation. C’est aussi bien en communication, c’est vendable ». Le carbone est aussi un enjeu du côté des consommateurs.
Combien émet une parcelle de vigne ?
Une évaluation des émissions directes et indirectes (via le transport, la production des intrants…) de 15 parcelles de Saint-Émilion, Pomerol et leurs satellites de 2016 à 2018 a été réalisée dans le cadre du projet européen Life-Adviclim. L’étude révèle que les émissions totales de GES sont en moyenne de 1 841 kg éq. CO2/ha/an mais très variables d’une parcelle à l’autre avec des écarts allant de 980 à 3 180 kg éq. CO2/ha/an.
Les émissions majoritaires sont générées par la gestion des maladies et nuisibles à hauteur de 30 % et par la gestion du sol, pour 20 %. Mais au sein même de ces deux pratiques viticoles motorisées, la variabilité des émissions entre les parcelles est très importante. « Les émissions des GES varient de 14 à 62 % des émissions totales par parcelle pour la gestion des maladies et des nuisibles, et de 8 à 42 % des émissions totales par parcelle pour la gestion du sol », indiquent les auteurs de l’étude. Les objectifs et solutions de réductions sont donc vraiment propres à chaque exploitation.
repères
L’empreinte carbone s’exprime en kg équivalent CO2 (CO2e ou éq. CO2). Elle cumule les émissions de CO2 (dioxyde de carbone) mais aussi d’autres gaz chauffants émis (protoxyde d’azote (N2O), méthane (CH4)) en prenant le CO2 comme étalon.
La part de l'agriculture dans les émissions de gaz à effets de serre en France est estimée à 20%.
Le marché réglementé ou de conformité est né du protocole de Kyoto. Il concerne uniquement les acteurs soumis à des quotas d’émission réglementés.
En juillet 2020, le Haut conseil pour le climat (HCC) jugeait les efforts de la France insuffisants au regard des ambitions affichées. « Les émissions de la France ont diminué de 0,9 % en 2019, ce qui est similaire aux années précédentes et loin des -3 % attendus dès 2025 », écrivait le rapport.