Ces vignerons qui stockent le carbone dans leurs sols
Des viticulteurs mettent en place des pratiques particulières en vue de favoriser le stockage du carbone dans leurs sols. Focus sur les trois principales.
Des viticulteurs mettent en place des pratiques particulières en vue de favoriser le stockage du carbone dans leurs sols. Focus sur les trois principales.
1 Apporter des amendements organiques
L’action la plus efficace pour stocker le carbone dans les sols en viticulture est « d’amener des amendements organiques », indique Jean-Yves Cahurel, de l’IFV pôle Bourgogne-Beaujolais-Jura-Savoie. L’intérêt de cette technique est qu’elle permet d’apporter beaucoup de carbone d’un coup et qu’il reste longtemps dans les sols. « Si on choisit un amendement avec un Ismo (Indice de stabilité des matières organiques) de 80 %, cela signifie que 80 % du carbone va rester dans le sol, et ce pour une durée comprise entre cinquante et cent ans, poursuit-il. Autre intérêt, cela fait d’une pierre deux coups, car les sols viticoles sont généralement très pauvres. Amender va dans le bon sens pour l’agronomie et la qualité du sol. » Attention toutefois à ne pas dépasser un certain seuil. « Au bout d’un moment, un équilibre se crée, prévient Jean-Yves Cahurel. Le taux de carbone dans le sol va croître durant environ vingt ans, puis on aura atteint le plafond. Et au-delà, on risquera de déséquilibrer les rendements. »
Apporter des amendements organiques est une option retenue par certains viticulteurs, à commencer par Julien Tarroux, vigneron à Mèze, dans l’Hérault. « L’hiver dernier, j’ai épandu 15 à 20 tonnes de fumier de vache provenant d’une ferme bio », témoigne-t-il. Il a opté pour ce type de matière organique, car il estime que c’est la plus équilibrée.
Cette décision de fertiliser participe de plusieurs raisons : « pour stocker le carbone dans mes sols, augmenter mes rendements et améliorer la structure de mon sol » énumère-t-il. Il compte poursuivre cet apport durant trois ans et suivre l’évolution de ses sols argilo-calcaires par le biais des plantes bio-indicatrices. Car il en est persuadé : « plus on aura de matière organique dans les sols, moins on aura de problèmes d’érosion, de rendement, de maladies ».
Ses actions en faveur du stockage du carbone et du sol ne s’arrêtent pas là. Comme de nombreux confrères, il couvre ses sols avec de l’enherbement naturel maîtrisé (ENM).
2 Implanter des couverts végétaux
La seconde action favorisant le stockage du carbone consiste en effet à établir des couverts végétaux, que ce soit de manière ponctuelle ou permanente. Selon la biomasse et le type de couvert, environ 30 à 35 % du carbone va rester dans le sol, évalue Jean-Yves Cahurel. Ce qui est beaucoup plus faible que dans le cas d’un amendement organique mais a un impact durable sur le temps.
C’est aussi la pratique choisie par Vincent Rapin, du domaine La Dame de Onze Heures à Saint-Émilion. Il sème des engrais verts dans sa vigne depuis une vingtaine d’années. « À l’époque, je ne savais pas l’importance que ces couverts pouvaient avoir, se remémore-t-il. Mais d’instinct, je me disais que ça ne pouvait faire que du bien à ma vigne. Petit à petit, j’ai compris l’importance du stockage du carbone pour la vie du sol, les micro-organismes, etc. » Il sème au printemps et à l’automne en semis direct sous couvert, après avoir couché ou broyé en surface le semis précédent, avec une alternance d’espèces.
Cette année, il compte implanter du colza, du trèfle, de la gesse et du seigle. L’année dernière, il avait opté pour de la navette, de l’avoine et du radis fourrager. Avant, il y avait de la féverole. Et en ce moment, il y a des tournesols. L’objectif est d’avoir des engrais verts qui soient hauts, rampants et de les semer à haute densité. « Après, je laisse le couvert le plus tranquille possible, souligne-t-il. Nous ne rognons plus, nous ne passons avec le tracteur que pour les traitements. » Il estime que grâce à ça, sa vigne a retrouvé un équilibre général, tant au niveau micro-organismes, que macro-faune. « Le taux de matière organique a augmenté, le sol stocke mieux l’eau et les nutriments, se félicite Vincent Rapin. C’est un cycle très vertueux, adapté à mon petit vignoble de seulement 1,20 ha. » Pour aller plus loin dans l’équilibre de sa parcelle et le stockage du carbone, il a planté 120 arbres…
3 Miser sur l’agroforesterie
L’agroforesterie est en effet un autre levier actionnable pour stocker du carbone même si « on n’a pas de références chiffrées, prévient Jean-Yves Cahurel. Il est difficile d’évaluer la quantité de carbone stockée par ce biais ». Cela n’empêche pas nombre de viticulteurs de s’y mettre, les bénéfices de la vitiforesterie étant nombreux.
L’un d’entre eux, Florent Grados, témoignait sur le sujet lors du webinaire organisé par Arbre et paysage en Champagne, dédié au stockage du carbone dans le sol. Ce Champenois, basé aux Riceys y explique avoir particulièrement réfléchi à cette thématique sur l’une de ses parcelles de 85 ares. « Nous avons planté trois rangées d’arbres de différentes espèces, comprenant 70 % d’érable champêtre, décrit-il. Cet arbre est en plus éparpillé sur différents points de la parcelle, de manière aléatoire. »
La parcelle compte également une dizaine de tilleuls à son extrémité basse, ainsi que quelques saules des vanniers, qui ont eu du mal à s’implanter. Un choix d’essences raisonné en fonction des conseils de l’agroforestier Alain Canet et qui semble judicieux, puisque selon Quentin Dida, cofondateur de Couverts végétaux service, les érables champêtres sont des arbres compagnes de la vigne, qui ont génétiquement coévolué, favorisant ainsi leur connexion. Afin de faciliter les travaux et notamment les passages de pulvé, les érables seront conduits en minitrognes et rognés en même temps que la vigne, pour un effet buissonnant.
voir plus loin
Bientôt un OAD
L’IFV planche sur un outil d’aide à la décision conçu sur la base du modèle AMG de l’Inrae, et permettant de simuler l’évolution du stock de carbone organique dans les sols viticoles. En entrant dans le modèle les caractéristiques du sol, la climatologie et les pratiques viticoles, il sera possible de définir le stockage potentiel en carbone. La finalisation de l’outil est prévue courant 2022.