Alsace : des liqueurs d’expédition élevées sous bois, pour des crémants haut de gamme
Alliance Alsace réalise un élevage sous bois pour les vins servant à élaborer les liqueurs d’expédition de ses cuvées de crémant haut de gamme. Un travail de longue haleine qui s’avère payant.
Alliance Alsace réalise un élevage sous bois pour les vins servant à élaborer les liqueurs d’expédition de ses cuvées de crémant haut de gamme. Un travail de longue haleine qui s’avère payant.
Dans le premier verre, le crémant est harmonieux, les arômes fondus. Dans le second, le vin est plus acide, avec des notes presque vertes, amères. La différence ? Il s’agit du même vin de base. Mais la liqueur d’expédition, qui ne représente pourtant que 6 ml sur les 750 de la bouteille, est distincte. « Dans la première, il s’agit d’une liqueur élaborée avec un chardonnay élevé en fûts de chêne, sans sucre, dévoile Lilian Andriuzzi, directeur vignes et vins d’Alliance Alsace. Dans le second, la liqueur est confectionnée avec du chardonnay vieilli en cuve béton et du MCR permettant de doser la bouteille à 4 g/l de sucre. » Le vin en bouteille, quant à lui, est un chardonnay 100 % cuvée de 2017, fin, tendu et acide. Ce qui explique que le sucre dénote. « Ce sont des vins sensibles, analyse le directeur vignes et vins. Il ne faut pas aller sur trop de sucrosité car cela les dénature, ils perdent leur finesse. »
Cette réflexion autour des liqueurs a débuté en 2014. « Cette année-là, nous avions décidé de garder une partie du crémant de l’année, afin de constituer un vin de réserve à utiliser pour réaliser la liqueur », se remémore Lilian Andriuzzi. Il conserve alors 500 hl en cuve béton. Un volume qu’il n’emploie que partiellement tous les ans, à raison de 200 à 300 hl. Le creux est complété avec du vin de l’année n-1. « Selon le principe de solera », observe le directeur.
Pour les qualités premium, cette technique est déclinée sous bois. Une dizaine de barriques sont destinées à l’élaboration de la liqueur de chardonnay. Sur le lot, une ou deux pièces contiennent du vin qui date de 2016. Les autres ont du 2019, 2021, 2023 et 2024. À chaque fois, le principe est le même. Le volume tiré est compensé par du plus jeune, ce qui crée des genres de soleras.
Différents fournisseurs de barriques et des fûts ayant contenu du whisky
Les fûts, pour leur part, proviennent de différentes tonnelleries : François Frères, Sylvain et Cadus à 80-90 % et Seguin Moreau pour le reste. Ils ont souvent connu plusieurs vins. Deux barriques ont par ailleurs contenu du whisky, ce qui confère au chardonnay des notes de caramel, de vanilline, de toasté, particulièrement marquées.
Ce travail sur les liqueurs permet de jouer sur le profil aromatique du crémant final, en apportant des arômes de vieillissement, exotiques ; une note différente et décalée. « Nous utilisons la liqueur d’expédition comme des épices, du sel ou du poivre, confirme Lilian Andriuzzi. C’est particulièrement intéressant cette année, car la demande pour le crémant d’Alsace est telle que nous n’arrivons pas à le conserver sur lattes aussi longtemps que ce que nous souhaiterions. Nous devons le commercialiser au bout de trois ans de vieillissement au lieu de quatre. » Or pour lui, le bien le plus précieux est le temps. Utiliser cette liqueur d’expédition permet d’y remédier et de « vieillir » le profil du vin.
Un choix qui peut prendre plusieurs mois
Mais faire le bon choix de liqueur n’est pas si évident. Après dégorgement, les œnologues de la cave goûtent le vin puis réalisent des essais avec différentes doses de sucre et divers assemblages de barriques. « La dernière fois, nous avons mis trois mois et eu besoin de trois séances de dégustation avant de tomber sur le bon assemblage », révèle le directeur. Car après chaque essai, il faut attendre que la liqueur se fonde dans le vin, s’y intègre, et ce d’autant plus si elle contient du sucre. Il faut également tenir compte du fait que le SO2 durcit le vin et que la bulle exacerbe les arômes. La plupart du temps, la liqueur est le produit de trois fûts. Au total, 120 litres sont prélevés pour les 20 000 cols tirés. Une quantité infinitésimale qui joue pourtant un rôle primordial.
Lilian Andriuzzi espère bien aller plus loin dans ce travail sur la liqueur d’expédition, car selon les confidences d’un œnologue champenois, les vins de réserve et les liqueurs d’expédition seraient les deux secrets d’un bon effervescent. « L’objectif serait de tester un chardonnay sous voile, afin d’apporter une complexité différente, explique-t-il. J’aime beaucoup les vins du Jura et je pense que cela pourrait, en assemblage, apporter une tension et une complexité particulières. » De même, acquérir une barrique ayant contenu du rhum l’intéresserait, « mais il faut la trouver », conclut-il.
repères
Alliance Alsace
Superficie d’approvisionnement : 1 400 ha dont 1 000 ha autour de Traenheim et 400 ha autour de Turckheim
Nombre d’apporteurs : 350 adhérents coopérateurs
Production annuelle : 99 000 hl en 2023
Dénominations : tous les génériques alsaciens, les grands crus, vendanges tardives, crémants blancs et rosés
Volume commercialisé annuellement : 7,5 millions de cols en vins tranquilles, 3 millions de bouteilles de crémant
Circuits de commercialisation : export 25 %, GD 60 %, CHR 10 %, particuliers 5 %
CA annuel : 42 millions d’euros
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