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Bien définir son activité de négoce de vin

Pour sécuriser son volume de vente en cas d’aléas climatiques ou pour conquérir de nouveaux marchés, la voie du négoce est une solution possible à condition de bien cadrer son projet.

Bien évaluer sa capacité de commercialisation de la gamme en négoce est un point clé.
Bien évaluer sa capacité de commercialisation de la gamme en négoce est un point clé.
© C. Gerbod

Se fixer ses objectifs précis

Comme dans tout projet stratégique, bien poser l’objectif est la première étape. Il peut s’agir de répondre à des volumes de marchés export ou de grandes surfaces tout en gardant ses vins mieux valorisés pour d’autres circuits ; de compléter sa gamme avec d’autres dénominations, couleurs ou niveaux de prix dont on ne dispose pas ; de parer aux aléas climatiques.

« C’est une solution si l’on souhaite augmenter ses volumes mais que le foncier est inaccessible ou indisponible », mentionne aussi Benoît Ab-der-Halden, président du cabinet de conseil viticole Saint-Vincent. Mais il invite à « être cohérent aussi dans les engagements environnementaux ». Vendre du conventionnel en négoce, si l’on est soi-même en bio lui paraît compliqué.

Loïc Perrin, fondateur de Terroir Conseil & Performance, juge que « le surcoût comptable et administratif peut être pénible ». Il insiste donc sur la nécessité de bien cerner son projet, quitte à avoir « des ambitions élevées » pour que ça vaille vraiment la peine. Ce qui implique d’avoir les marchés et la structure commerciale adéquate.

Anticiper l’approvisionnement et la logistique

Achat de raisins ou de moûts, élevage au domaine ou pas, autres dénominations ou pas… autant de choix qui découlent des objectifs et des possibilités d’approvisionnement. Bouche-à-oreille et réseau sont en général activés.  « Le courtier n’est pas obligatoire mais il va aider à sourcer les vins, sécuriser l’achat, gérer l’administratif : le contrat, la facture… », conseille Anaïs Laborde, présidente d’Alo-Viti.

Elle estime que les courtiers jouent aussi un rôle de lissage des prix.  « Si on vise des volumes importants, recourir à un courtier en vin avec un cahier des charges d’achat est souhaitable, abonde Benoît Ab-der-Halden. Payer 2 ou 3 % de commission, ça peut valoir le coup pour avoir des garanties sur le vin acheté ». Il préconise aussi de s’y prendre bien en amont dans les régions à forte tension sur les volumes qualitatifs, en dégustant le plus tôt possible et en bloquant les volumes désirés.

Établir un contrat pluriannuel paraît à Anaïs Laborde un moyen d’assurer les approvisionnements et aussi de rassurer la banque qui financera le développement de l’activité. Mais souvent le gré à gré sera préféré.

La cuverie et le chai de stockage doivent être adaptés à la formule choisie. Pour l'espace nécessaire à l'activité, il faut prévoir de pouvoir séparer physiquement les produits dans le chai et le stockage. La Douane requiert d'ailleurs un "plan de situation et plan détaillé du ou des locaux dont l'agrément est demandé". Il ne faut pas hésiter à organiser une visite préalable.

Organiser la gestion administrative

Se déclarer auprès de l’administration des douanes dont on dépend est la première étape administrative. Les négociants vinificateurs devront faire une déclaration de production.

Pour choisir sa structure juridique (voir tableau ci-après), « il n’y a pas de règles, c’est en fonction du projet », pose Claire Vidal, consultante chez Exco Languedoc. Elle souligne que les critères économiques passent avant l’optimisation fiscale. Il n’y a pas d’automatisme en fonction de la taille. Elle cite par exemple le cas d’un vigneron au microbénéfice agricole (BA), proche des seuils limites, qui a préféré créer une structure dédiée pour continuer à se développer en gardant les avantages de sa structure initiale, alors qu’à l’inverse, une grosse entreprise a trouvé plus simple de tout intégrer.

Dans les deux cas, il faut une double comptabilité matière et une DRM supplémentaire, indique la consultante. Au crédit de la structure unique, l’absence de refacturations et la possibilité de réinvestir la trésorerie dégagée par l’une ou l’autre des activités dans le cycle de production, sans fiscalité supplémentaire. Pour Claire Vidal, si l’on est prêt à assumer une charge administrative additionnelle, une structure dédiée ouvre plus de perspectives pour développer et créer une marque. S’associer à de nouveaux partenaires est possible tandis que la cohabitation de deux régimes fiscaux permet davantage d’optimisations fiscales et sociales. Chaque entité est autonome quant aux risques économiques et financiers inhérents à sa propre activité. Il importe de vérifier l’impact des choix de structure sur le statut Jeune agriculteur ou celui d’Agriculteur actif, pointe Claire Vidal. Elle signale également que l’activité de négoce n’a pas la même convention collective.

 

 
Bien définir son activité de négoce de vin

 

Mettre en place sa stratégie commerciale

Avant de se lancer Benoît Ab-der-Halden conseille d’analyser finement le marché et de bien penser sa politique tarifaire. « Il ne faut pas surévaluer sa capacité à commercialiser. Un vin de négoce se vend différemment de ses propres vins. On ne peut pas jouer sur les mêmes arguments », prévient-il. Avoir un nom déjà bien établi et pouvoir faire valoir son savoir-faire de vinificateur, cela fait évidemment gagner du temps. Claire Vidal invite elle aussi à bien réfléchir à comment on présentera l’activité à ses clients potentiels, sachant que sur l’étiquette, va apparaître le nom de la société commerciale. Ainsi qu’à intégrer le risque d’aléas climatiques, qui peut tout aussi bien toucher les volumes de négoce.

Marie Chartier-Luneau, vigneronne du domaine Luneau-Papin au Landreau, en Loire-Atlantique

« Nous avons pris soin de bien dissocier les vins de négoce »

« Lancée en 2018 après quatre années de gel, notre activité de négoce PM & M fait partie d’une réflexion menée pour redessiner le projet de notre domaine. En parallèle, nous avons réduit notre surface de vigne à une trentaine d’hectares, que nous cultivons en bio et biodynamie. Avec notre premier vigneron partenaire, nous avons travaillé dans un esprit de coaching. Cette année, deux autres jeunes vignerons nous ont appelés. Nous achetons des raisins bio ou en conversion. On se met d’accord sur des parcelles et sur les prix. La vendange est manuelle. Pour les quantités, on s’adapte : en 2021, notre partenaire a gelé comme nous.

Nous avons pris soin de bien dissocier les vins de négoce, en investissant dans un site internet dédié. C’est très important pour nous que ça soit clair. Le négoce ce n’est pas un gros mot. Nous, on vinifie, on met en bouteille, on commercialise, on explique, on met notre nom sur les étiquettes. Il y a un engagement.

Nous travaillons d’autres circuits de distribution : les grandes surfaces, des sites de vente en ligne, certains marchés export. Cette année, avec nos nouveaux partenaires, on sera autour de 40 000 bouteilles, soit beaucoup plus que les années passées. Mais on s’est fixé une limite parce qu’on ne veut pas dépendre d’un seul gros client.

Fabien Castaing, vigneron et dirigeant de Vignobles Castaing, à Cunèges en Dordogne

« Il faut bien budgétiser le projet »

« J’ai repris le domaine familial en 2008. Nous avons aujourd’hui deux propriétés sur 65 hectares. J’ai lancé une structure de négoce en 2011 pour faire des vins d’autres appellations, notamment des IGP, et assurer certains marchés avec plus de volume. Commercialement, le négoce nous permet d’être réactifs pour répondre à des besoins de nos clients. Depuis 2017, avec la succession d’aléas, il nous a aussi permis de pallier le manque de produits sur nos domaines. Au début, je vendais des produits finis et je répondais à toutes les demandes. Il faut savoir dire non. J’ai arrêté pour développer nos propres marques autour du concept « L’esprit du Sud-Ouest ». On perd du temps en se lançant sans réfléchir à quelle valeur ajoutée on apporte. Il faut aussi bien budgétiser le projet : l’achat du vrac, le stockage, les matières sèches.

Nous travaillons avec une dizaine de vignerons partenaires, dont des copains avec qui on peut orienter l’assemblage des cuvées. Nous avons des critères sur le profil produit et le respect de l’environnement. Les vins sont achetés en vrac et nous les conditionnons dans nos chais. La structure de négoce vend toute notre offre, mais nous séparons bien les gammes. Les clients veulent le moins d’interlocuteurs possibles.

Aujourd’hui le négoce représente la moitié de notre activité. Il n’empêche pas les gens de nous considérer comme des vignerons, avec un gage de sérieux et de qualité. »

Choisir le nom avec précaution

Choisir un nom proche de celui de son domaine est tentant mais à bien réfléchir. Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats chez JP Karsenty & Associés, soulignent que « reprendre le nom d’une exploitation connue dans une appellation pour un vin dans une autre appellation, sans spécifier qu’il s’agit d’un vin de négoce et avec une étiquette proche, expose à être poursuivi pour pratiques commerciales trompeuses ».

Et de rappeler le jugement du 30 juin 2022 de la cour d’appel de Bordeaux. Les juges ont confirmé que le nom d’étiquetage des vins « Le bordeaux de Maucaillou » pouvait laisser penser qu’il s’agissait des vins issus du château Maucaillou à Moulis en Médoc, ce qui n’était pas le cas. Le dirigeant et son entreprise ont écopé respectivement de 10 000 euros et 150 000 euros d’amende.

 

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