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Qu’a changé Egalim 2 dans la filière lait de brebis ?

L’entrée en vigueur de la loi Egalim 2 depuis le 1er octobre 2022 pour la filière ovin lait n’a pas révolutionné le mode de rémunération des éleveurs, ni les méthodes de négociations.

<em class="placeholder">Camion citerne laitier</em>
Le prix du lait de brebis est fixé annuellement, ce qui stabilise la filière qui craint la volatilité des prix vue dans d’autres productions agricoles.
© B. Morel

Si les interprofessions ont fait leur devoir de communication dans leur filière respective, les agriculteurs dans les campagnes et leurs syndicats s’en sont peu saisis, toutes filières ovines confondues, à l’exception de quelques organisations de producteurs (OP). Rappelons que la loi a vocation à « protéger la rémunération des agriculteurs », non pas grâce à un prix rémunérateur, mais grâce à une évolution de leur rémunération, en fonction de l’évolution de leurs coûts de production, sans pour autant que cette évolution soit proportionnelle.

Dans les trois bassins ovins lait, les principales laiteries pratiquaient déjà souvent une contractualisation volontaire. Avec leurs dix organisations de producteurs, elles se sont mises en conformité, couvrant ainsi environ 70 % de la collecte.

Une filière lait à deux vitesses

Deux OP, l’Organisation de Producteurs du Bassin de Roquefort et Les Bergeries laitières d’Aqui'Oc, ont même pris les devants, comme l’exigeait la loi, en proposant un contrat-cadre avec l’aide de conseil. La majorité des laiteries artisanales ont présenté elles-mêmes des contrats. Il reste encore des relations non contractualisées entre producteurs et petites laiteries.

« Très certainement parce qu’ils ne se sentent pas concernés puisqu'ils travaillent dans une relation de confiance et parfois à cause de la lourdeur administrative et/ou faute de
compétence juridique », »,
constate Sébastien Bouyssière, de France Brebis Laitière.

Un prix revu annuellement

Quand contrat il y a, il est rédigé de façon à coller aux anciennes pratiques de révision de prix. À savoir : une révision annuelle de prix, négociée, s’il y a un OP ou groupement de producteurs et en l’absence d’OP, plutôt proposée par la laiterie que réellement négociée.

<em class="placeholder">Brebis en salle de traite</em>
Comité de règlement des différends commerciaux agricoles : « La proportion dans laquelle les indicateurs « coûts de production » sont pris en compte doit être significative, même s’il n’est pas obligatoire qu’elle atteigne ou excède 50 %, et si elle est librement négociable. » © J. Chabanet
Pourtant la loi incite à faire référence dans les contrats à une révision basée sur la combinaison d’indicateurs objectifs à chaque échelon de la filière afin de partager à chaque niveau une partie de la valeur ajoutée.

À l’échelon de la production, il y a entre autres l’indicateur coûts de production du lait de l’année n-1 (1), basé sur 80 élevages ovins du réseau Inosys, et l’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (Ipampa lait de brebis), plus réactif, qui permet d’estimer la tendance en cours de campagne.

Des indicateurs de l’amont à l’aval

Au niveau des industriels, on trouve l’indicateur prix moyen payé en France mais aussi par bassin, en bio et conventionnel, en Espagne, en Grèce, en Sardaigne.

Enfin, à l’échelon des distributeurs, on peut se reporter au prix moyen des achats des consommateurs par typologie de produit : pur brebis, pâte persillée, pâte molle, fraîche, ultra-frais. Il manque à ce jour, l’indice de prix de vente des industriels (PVI), que France Brebis Laitière publiera à partir de 2025, précise Sébastien Bouyssière, son animateur.

Fournir des arguments de négociations

La plupart du temps, les contrats font effectivement référence à ces indicateurs, utilisés dans les négociations annuelles, sans pour autant que l’acheteur soit soumis à une quelconque obligation contractuelle d’indexation. « L’évolution des indicateurs est en revanche souvent inscrite dans les clauses de renégociation », constate Sébastien Bouyssière.

L’objectif du législateur était de fournir aux agriculteurs et à leurs organisations de producteurs des arguments de négociation. C’est d’ailleurs, par exemple, ce qu’a fait cet automne Les Bergeries laitières d’Aqui’Oc en demandant à leur laiterie une meilleure rémunération, en se basant sur le prix de revient Inosys.

« Passer de ce qui est considéré comme une contrainte légale à une opportunité commerciale » - Sébastien Rossi, éleveur fournisseur de Lactalis en Corse

<em class="placeholder">Sébastien Rossi</em>
Sébastien Rossi, éleveur en Corse et livreur à Lactalis : « Egalim doit passer de ce qui est considéré comme une contrainte légale à une opportunité commerciale. » © B. Morel
Lactalis AOP & Terroirs justifie l’augmentation 2024-2025 de 92,75 euros en Occitanie, 27 euros dans les Pyrénées et 19 euros pour la Corse, par l’évolution de ces indicateurs de France Brebis Laitière. Ce que confirme Sébastien Rossi, éleveur fournisseur de Lactalis en Corse : « Même si on n’est pas d’accord sur la façon de prendre en compte de ces indicateurs, on discute à partir d’éléments tangibles. »

La réponse des industriels est invariablement la même : le pouvoir d’achat du consommateur et par conséquent les négociations commerciales avec la grande distribution, n’accepteraient pas d’augmentation de prix proportionnelle à l’augmentation des charges.

Vers plus de transparence ?

La grande distribution dément en partie, affirmant qu’elle se conforme à la loi en acceptant les augmentations justifiées par l’augmentation de la matière première agricole, dite « la non-négociabilité du prix de la matière première agricole ». La grande distribution va davantage négocier sur les coûts de la transformation, sans volonté de rogner sa propre marge.

Les industriels couvrent à l’amont comme à l’aval, leurs marges, derrière l’option 3 (2) de la loi Egalim, par crainte d’être comparés les uns aux autres. Cette option est dénoncée par les distributeurs, de même que le syndicat des Jeunes Agriculteurs.

<em class="placeholder">Laiterie des Bergers du Larzac</em>
Mickaël Philippe, directeur commercial des Bergers du Larzac : « Egalim nous a permis de poser une meilleure base et un périmètre pour nos négociations avec la grande distribution. » © B. Morel
Les coopératives, qui elles ont opté pour la transparence en choisissant l’option 1 ou 2, l’affirment : « Egalim nous a permis de poser une meilleure base et un périmètre pour nos négociations avec la grande distribution. On y a même gagné une certaine considération et de la fluidité dans nos échanges », déclare Mickaël Philippe, directeur commercial des Bergers du Larzac.

La crainte de l’indexation automatique

D’après notre enquête, quasiment aucune laiterie ne s’est hasardée à une formule de prix, c’est-à-dire, à prévoir l’indexation automatique du prix d’achat du lait sur ces indicateurs, comme peuvent le faire les contrats en lait de vache. « Ce serait pourtant plus conforme à l’esprit de la loi », déclare Guillaume Favoreu d’Optimes, qui conseille les éleveurs dans leurs négociations.

<em class="placeholder">Plateau de fromages de brebis</em>
Des indicateurs de prix existent pour chaque maillon de la filière : prix du lait moyen en France et à l'étranger, consommation par type de produit laitier au lait de brebis par les Français, etc. © B. Morel
Les arguments avancés pour s’opposer à une formule de prix sont doubles. D’une part, la publication de ces indicateurs est trop tardive par rapport à l’évolution du marché. « Négocier à partir d’indicateurs qui font référence à des prix de l’année précédente, alors qu’on négocie pour la campagne laitière à venir, n’a aucun sens », constate Florence Pratlong de Le Fedou, fromagerie de Hyelzas.

Un tunnel de prix pour sécuriser le revenu

D’autre part, les éleveurs craignent qu’une formule de prix puisse aboutir, quand un indice baisse, à un recul du prix d’achat du lait. Pourtant, un tunnel de prix, fixant un prix minimum et prix maximum peut être prévu. Plusieurs éleveurs, notamment des Pyrénées-Atlantiques, rêvent d’un prix minimum égal au coût de production incluant une rémunération au Smic.

La loi Egalim impose aux parties de se mettre d’accord sur des quantités livrées. Ce point n’a posé aucun problème dans la filière, car les industriels ne sanctionnent pas les dépassements de volume. Toutefois, la baisse de la consommation des fromages de brebis pourrait réveiller des tensions sur ce point.

(1) Comprenant : aliments, énergie, lubrifiants, engrais, amendement, matériel
(2) L’industriel fait intervenir à ses frais un tiers indépendant (généralement son commissaire aux comptes) pour qu’il certifie, à l’issue de la négociation, que « la négociation n’a pas porté sur la part de matière première agricole ».

Guillaume Favoreu, cabinet Optimes, conseil aux entreprises du secteur agricole et agroalimentaire

Quels indicateurs choisir ?

« Privilégiez les indicateurs stables dont l’échantillon ne variera pas et publics, qui ne dépendent pas des rapports de force intrafilière : Smic, Ipampa, et dans l’attente de prix de vente des industriels plus spécifiques brebis, l’indice de prix de production de l’industrie française fromage de chèvre et brebis pour le marché français, conforme aux évolutions du prix du roquefort [malgré un échantillon critiqué].

Les indicateurs interprofessionnels sont certes plus précis, plus locaux, mais leur publication demeure soumise à un risque de suspension de publication en cas de mésentente sur la méthode au sein de l’interprofession (citons l’exemple de ce qui s’est passé en lait de vache avec l’interruption de la publication de la valorisation beurre-poudre). »

Sébastien Bouyssière, animateur de France Brebis Laitière

Il y a forcément un décalage entre l’augmentation des coûts de production et celle du prix du lait

« Du fait du rythme annuel de négociations entre OP et industriels, il est logique qu’il y ait un décalage de 12 mois entre le prix du lait et les coûts de production. Entre 2021 et 2023, le prix moyen du lait de brebis avait augmenté de 13,5 % alors que le coût de production avait bondi de 24,6 %. En 2025 par exemple, et c’était le cas en 2024, on va se retrouver avec une situation inverse. Le prix du lait a continué à augmenter alors que les coûts de production ont baissé. Sur quatre années, ntre 2021 et 2025, on assistera à un rééquilibrage économique des élevages. »

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