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La drôle d’estive de Sana, fille de bergère

Sana, 10 ans, partage le travail en montagne de Chloé, sa maman bergère. Elle raconte son quotidien sur les flancs du Chalvet et à l’école de Saint-Véran dans le Queyras. Même si elle apprécie sa vie actuelle, elle rêve d’un autre métier.

<em class="placeholder">Sana avec son bâton. </em>
Sana, 10 ans, aime accompagner sa maman durant l'estive, qui se déroule de mi-juin à mi-octobre, au lieu-dit le Chalvet dans le Queyras (Hautes-Alpes).
© G. Aresteanu

« Cette année, nous avions de bons gardiens et des brebis plutôt cool, alors c’était facile d’aider maman pour mener le troupeau. Chaque matin, j’essayais même de traire les deux chèvres. » Se placer correctement, envoyer les chiens…, Sana décrit avec des mots précis le travail en estive, qui se déroule de mi-juin à mi-octobre.

Cet été encore, elle a passé plusieurs semaines à 2 000 mètres d’altitude, au lieu-dit le Chalvet dans le Queyras (Hautes-Alpes), en compagnie de sa mère Chloé Neumuller, danseuse devenue bergère, et de Lucas, qui avait lui aussi signé un contrat de travail « berger d’alpage ». Il fallait bien un binôme pour organiser les soins, gérer les déplacements, et prévenir les attaques de loups contre un troupeau de 1 600 brebis mérinos, préalpes, rava et mourérous, toutes issues de la région.

Plus de 10 km et 700 m de dénivelé par jour

<em class="placeholder">Sana et le troupeau
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Chaque jour, Sana parcourt plus d'une dizaine de kilomètres avec le troupeau. Une vie en plein air, à 2000 mètres d'altitude. © G. Aresteanu
Longue chevelure brune retenue parfois en queue-de-cheval, veste polaire bien zippée, Sana s’aide à l’occasion d’un fin bâton pour suivre les animaux en journée, sur plus d’une dizaine de kilomètres et 700 mètres de dénivelé. Une vie active, au cœur de la montagne, qui laisse du temps pour le jeu et le rêve. « Souvent, je raconte des histoires à Una, mon chien, qui est comme ma sœur, et sait garder les secrets mieux qu’un humain ! »

La tête dans les nuages, et les pieds bien ancrés dans la réalité, même la plus sombre. Pour Sana, la fin de la vie n’est pas un sujet tabou : « Je sais que la plupart des brebis et des agneaux prendront la direction de l’abattoir. Ce n’est pas choquant, car ils ont bien grandi, profité de l’espace et mangé une bonne herbe. »

<em class="placeholder">Sana et le chapeau
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L'abattage des animaux n'est pas un sujet tabou. Pour Sana, « ce n'est pas choquant, car ils ont bien grandi, profité de l'espace et mangé une bonne herbe ». © G. Aresteanu
L’année dernière, dans le cadre du projet de la Terre à l’assiette, qui permet aux élèves d’avoir une vision des enjeux de l’alimentation de leur région, elle a visité avec sa classe de CM1 le site de Guillestre hors des horaires de fonctionnement. Si un enfant s’est évanoui, elle, a tenu bon : « Cela me convient quand l’abattage est respectueux. C’est le cas à Guillestre, où les éleveurs tuent et découpent leurs bêtes. » Et même à la cantine, elle apprécie de savoir que Nadine la cuisinière choisit une viande produite par un éleveur de Molines : « Je connais ses brebis et je sais qu’elles sont bien élevées. »

426 000 enfants d’agriculteurs selon la MSA

En période scolaire justement, elle suit les cours à l’école de Saint-Véran (Hautes-Alpes) avec dix camarades, et une maîtresse qui assure les quatre niveaux du primaire. Un enseignement et une ambiance en contraste avec l’établissement niçois où fut scolarisée Sana pendant une petite année : « Là-bas, les élèves me parlaient des jeux vidéo “Call of Duty” et “Fortnite”, que je ne connaissais pas. Je préfère Saint-Véran. »

Comme Sana, ils sont 426 000 enfants d’agriculteurs (élevage et culture confondus selon la MSA), à mener presque une double vie, à la fois proche de l’activité agricole et du monde contemporain.

Pour autant, les statistiques de l’éducation nationale révèlent que depuis les années 1990 le retard scolaire de cette population appartient au passé. L’époque des entrées tardives en maternelle, et des redoublements en primaire est révolue.

Davantage d’études pour les enfants de paysans

<em class="placeholder">Petit-déjeuner en alpage</em>
La vie en montagne comprend quelques tâches ménagères comme la préparation des repas. À l'occasion, Sana révise aussi ses devoirs bien au chaud dans le refuge. © G. Aresteanu
Alors qu’en 1980, seulement 35 % d’enfants de paysans entrés en sixième décrochaient le bac, ils sont 70 % à devenir bacheliers en 1995. Aujourd’hui, des parents eux-mêmes diplômés, des fratries moins nombreuses et la nécessité de se former pour conduire des exploitations plus vastes, favorisent une montée du niveau scolaire. S’ils sont encore peu nombreux à rejoindre la fac, ces jeunes sont désormais minoritaires (10 %) au sein des lycées agricoles.

Selon Samuel Pinaud, sociologue à l’université Paris-Dauphine, qui a mené avec des collègues une étude au sein d’un lycée agricole en 2023, « les adolescents issus de familles d’agriculteurs maîtrisent déjà les bases de leur métier, comme la conduite du tracteur. Ils sont quasi pros, et se comportent comme tel au lycée ». En revanche, les élèves non issus du milieu agricole, les Nima, aussi appelés néopaysans, – c’est le cas de Sana –, sont beaucoup moins aguerris. Ils doivent compter sur les maîtres de stage pour acquérir la pratique.

Retour en ville pour devenir comédienne

Transmettre les gestes, l’expérience de la nature et des animaux : cette tradition reste bien ancrée. Il existe même des dispositions du Code rural pour encadrer cette pratique.

<em class="placeholder">Sana et Chloé
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Sana adore le métier de bergère qu'a choisi Chloé, sa maman. Mais plus tard, elle souhaiterait devenir comédienne, car le théâtre est sa passion. © G. Aresteanu
Sana désire-t-elle suivre la voie de Chloé ? Pas vraiment. Certes, elle se réjouit que sa maman ait trouvé « un métier dynamique, qui lui convient. Elle est plus heureuse. La montagne lui fait du bien ». Sana comprend aussi qu’il est plus facile de s’occuper d’ovins que de bovins, « parce qu’ils sont plus légers ».

Pourtant, elle s’imagine un autre destin. Grande lectrice d’Harry Potter, et fan de l’actrice Emma Watson – Hermione Granger dans la saga du jeune sorcier –, Sana qui fut citadine montera un jour sur les planches : « Ma passion, c’est le théâtre. J’aimerais devenir comédienne, et retrouver les cafés, les parcs… Pour le métier que je veux faire, il faudra que j’habite la ville. »

Tout travail mérite rémunération

De nombreuses règles légales encadrent le travail des mineurs en fonction de leur âge :

  • Avant 14 ans, un enfant ne peut travailler et recevoir une rémunération que s’il est acteur, ou encore mannequin.
  • À partir de 14 ans, tout mineur peut effectuer des travaux « légers et sans risques » pendant les vacances scolaires. Sa rémunération doit être égale à 80 % du Smic. Le Code rural (articles 5-715-1 à R751-4) précise ces conditions d’emploi des mineurs dans le secteur agricole.
  • À 15 ans, certains adolescents choisissent de signer un contrat d’apprentissage.
  • À partir de 18 ans, un jeune qui participe activement à l’exploitation agricole comme aide familial peut demander une rémunération au titre du salaire différé. Cette exception assez complexe à mettre en œuvre est prévue par l’article L321-13 du code rural.

À voir et à lire

- Bergers en famille. La vie en face. Documentaire d’Éric Guirado (France, 2024, 58 min). Arte. On suit pendant l’estive dans le Valais en Suisse le quotidien de trois enfants âgés de 6 à 10 ans et de leurs parents bergers.

- Bergères guerrières. Cette BD, appréciée de Sana, raconte en quatre tomes l’odyssée de la jeune Molly qui doit protéger le village et les troupeaux. Jonathan Garnier. Amélie Fléchais. Glénat.

Rédaction Réussir

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