La révolution du pecorino romano
En cinq ans le marché du fromage de brebis italien a radicalement changé grâce au développement des exportations.


Ces dernières décennies, le fromage pecorino romano sous appellation d’origine contrôlée subissait une forte volatilité des prix, entraînant dans son sillage les prix du lait de brebis. Face à cette situation, le consortium de protection de l’appellation avait choisi d’adopter un plan de régulation de l’offre.
En Italie, les consortiums sont des organismes au sein desquels collaborent les principaux acteurs d’une appellation d’origine, dans le but de la protéger. Ils sont distincts des organismes de défense et de gestion. Au moins 60 % des droits de vote, au sein d’un consortium, doivent être détenus par le type d’opérateur clé de la filière.
Un consortium pour réguler l’offre
Pour les oranges ce sont les arboriculteurs, pour les jambons de Parme ce sont les charcutiers, pour le fromage ce sont les laiteries ou les affineurs. « D’autant plus que nos éleveurs de brebis ne destinent pas forcément tous leurs litrages au pecorino romano [70 % du lait produit dans les élevages est destiné au pecorino romano] », justifie Gianni Maoddi, le président du consortium.

Chaque laiterie, compte tenu de son historique de production (1), a reçu un quota de production. Ce quota est égal à sa quote-part du volume global que le marché peut acquérir au juste prix, selon les études de marchés et prospectives du consortium. Ce volume est dit « point d’équilibre ». En cas de dépassement supérieur à 20 % de ce quota individuel, la laiterie est redevable d’une pénalité.
« Le but est qu’en plafonnant un volume de production les prix de vente soient moins volatils et donc plus rémunérateurs », explique Gianni Maoddi. Le pecorino romano étant un fromage affiné, il est également possible pour une laiterie de conserver en stock les tommes qui dépasseraient son quota.
Une entente exceptionnelle entre les laiteries

Cependant cette entente sur la production est une exception prévue à condition d’être validée par le ministère, communiquée à l’Union européenne (règlement UE n° 261/2012) et réserve des quotas d’entrée pour de nouveaux opérateurs, en l’espèce à hauteur de 500 quintaux. En effet, tout nouvel opérateur doit pouvoir entrer sur le marché.
Diversifier pour ne pas dépasser

Les prix du lait et du fromage étant encore bas (0,60 euro le litre et 6 euros le kilo à cinq mois d’affinage), en 2019 le consortium a donc décidé de réadopter un plan de régulation triennal. « Mais la crise sanitaire est passée par là, révolutionnant les marchés internes et à l’exportation », raconte Gianni Maoddi, un sourire en coin.
Une crise sanitaire bénéfique
Le pecorino romano, fromage uniquement connu des Italiens, est devenu une star internationale. Si le marché interne s’est plutôt dégradé, en raison d’une baisse de pouvoir d’achat des consommateurs italiens, les marchés externes (États-Unis, France, Allemagne, Japon et Grande-Bretagne) l’ont découvert.
La promotion du fromage aux États-Unis où vit une importante diaspora italienne a produit ses effets : 40 % des tommes y sont consommées. « La crise de la Covid-19 et les mois qui ont suivi ont été propices à un retour en cuisine des consommateurs et à un retour à des recettes plus traditionnelles (carbonara, cacio e pepe) », pense Sara Panarelli, chargée de communication du consortium.
Le pecorino, le goût de l’authentique
Ce fromage qui est surtout consommé comme un ingrédient dans un plat de pâtes, constitue la touche authentique d’un plat simple. « Le consommateur n’hésite pas pour un plat économique comme des pâtes, à mettre une touche finale onéreuse, c’est l’atout de ce fromage, comme du parmigiano reggiano et du grana padano », constate-t-elle.
La contribution volontaire obligatoire (0,04 euro le kilo), les pénalités de dépassement et des fonds européens ont permis d’investir 1,5 million d’euros dans la promotion : publicité, participation à des salons, sponsoring. Certes, sur le marché américain, les imitations du fromage (« Romano Cheese » par exemple) concurrencent l’appellation mais, au final, les ventes ont décollé, au point qu’en 2023 les prix ont atteint 14 euros le kilo de fromage et 2 euros le litre de lait.Toutefois Gianni Maoddi reste prudent. « Les laiteries doivent absolument diversifier leur gamme pour pouvoir réorienter des volumes de lait de brebis vers d’autres produits, si le marché américain se réduisait. » Il craint en effet que l’élection de Donald Trump conduise à des droits de douane excessifs, restreignant ce marché. En attendant, depuis deux ans, la filière n’a plus besoin de plan de régulation de l’offre, les prix du fromage en 2024 oscillent entre 12,05 et 12,35 euros le kilo.
Plan de régulation de l’offre – l’exception des fromages AOP
L’article 166 bis du règlement UE 1308/2013, dit « règlement OCM », autorise les organisations de producteurs, les organisations interprofessionnelles ou les groupements d’opérateurs à réguler l’offre des produits ou matières premières agricoles sous AOP ou IGP, afin qu’elles adaptent la production à la demande.
La fixation du prix est interdite
En revanche, la fixation de prix, même à titre indicatif ou de recommandation est strictement interdite. Ces plans de régulation de l’offre ont une durée maximum de trois ans, renouvelable. Y sont assorties des conditions, dont le fait que le plan ne fasse pas obstacle à l’entrée de nouveaux venus sur le marché et ne porte pas préjudice aux petits producteurs. De plus, il faut que les deux tiers des producteurs, comptant pour au moins deux tiers de la production des matières premières utilisées dans le processus de transformation dans l’aire géographique considérée, soient signataires.