En Isère, des fromagers fermiers qui misent sur la productivité de leurs brebis
Une génétique surveillée de près, des rations calculées pour permettre aux brebis d’exprimer tout leur potentiel, des fromages de qualité, voilà en quelques mots la bergerie de la Lignarre, en Isère, et de ses 70 brebis laitières.
Au creux d’une étroite vallée, entre deux impressionnants sommets du massif de l’Oisans en Isère, se niche la bergerie de la Lignarre à 920 mètres d’altitude. Bâtisse traditionnelle alpine, en grande partie autoconstruite et bardée de bois, elle se trouve à quelques centaines de mètres de la route qui mène au col d’Ornon. Très passante en été, on imagine aisément le calme qu’il y règne en hiver. C’est dans ce cadre hors du commun qu’Émilie Salvi et Jimmy Haussler ont créé leur ferme de brebis laitières. Avec 25 000 à 30 000 litres de lait produits, le couple d’éleveurs estime être arrivé à son rythme de croisière, étant donné que l’ensemble de la production est transformé sur place et vendu en direct au magasin de la ferme et sur un marché local. Émilie et Jimmy, tous deux quarantenaires, ont créé leur gaec en 2012, lorsque Jimmy a rejoint Émilie, déjà en activité depuis trois ans.
Seuls éleveurs de brebis laitières de la vallée de l’Oisans (ils ne sont que 17 éleveurs ovins lait en Isère et 177 sur toute la région Auvergne Rhône-Alpes), le couple savait en s’installant qu’il ne pourrait compter, grosso modo, que sur lui-même.
En effet, les associés de la bergerie de la Lignarre doivent composer avec les contraintes de leur exploitation. « Nous n’avons quasiment pas de terrain, seuls neuf petits hectares attenants à la bergerie. Nous ne pouvons pas agrandir le bâtiment, faute de place au sol et de l’importance des travaux de terrassement que cela représenterait », souligne Jimmy Haussler, dans l’encadrure de son bâtiment à flanc de pente. Pas de fatalité pour lui, il faut simplement savoir s’adapter. Le couple met donc en place un troupeau de taille modeste, soit 70 brebis, dont 20 primipares et une soixantaine traites chaque campagne. Ils misent surtout sur la productivité et la qualité du lait de leurs animaux. Pour cela, ils n’hésitent pas à aller chercher le meilleur, avec le plus de garanties possibles de qualité. « Nos premières brebis, je suis allé les acheter directement à l’Upra Lacaune en Aveyron », se remémore Jimmy Haussler. « Et j’ai répété l’exercice pour chaque nouvel achat de reproducteurs, en dépit du temps de route conséquent que cela représente. » Il y a eu des hauts et des bas, mais Jimmy se félicite de s’être fourni auprès d’un centre de sélection, pour le suivi des besoins. « Nous travaillons en Lacaune pure, le choix de la race s’est fait sur la production laitière plutôt que sur la rusticité. » Les éleveurs achètent une vingtaine de brebis inséminées issues de sélection tous les deux ans environ pour améliorer la génétique de leur troupeau. « Nous avons atteint à peu près nos objectifs en termes de volume de lait, maintenant nous souhaiterions homogénéiser le troupeau, il y a encore trop de disparités entre nos brebis. »
La plus grande contrainte de l’exploitation est l’absence de surfaces cultivables et de parcelles de pâturage. La petite dizaine d’hectares accolée au bâtiment permet de faire pâturer les brebis à la belle saison mais la présence d’une population de loups importante oblige les éleveurs à rentrer le troupeau tous les soirs et complémenter les brebis toute l’année en fourrage. Les charges alimentaires sont de fait très élevées. « Je suis très technique sur la ration et je veux avant tout trouver le meilleur fourrage et le meilleur concentré pour mes brebis. Le prix est un critère secondaire », appuie Jimmy Haussler. Les brebis reçoivent 800 grammes de granulés de maïs, orge et soja expeller avec du CMV 3 %. La provenance des matières premières alimentaires de l’exploitation est primordiale. "Toute l’alimentation des brebis et des agneaux est garantie sans OGM et est issue d’une filière tracée Rhône-Alpes. C’est pour nous une condition sine qua none pour travailler avec un marchand d’aliments. Aujourd’hui cette démarche est de plus en plus demandée, notamment par les producteurs fermiers, alors l’offre est bien présente sur le marché" Côté fourrage, les brebis disposent de foin de luzerne à volonté. « La luzerne étant le seul fourrage qu’elles reçoivent, il y a le risque qu’il y ait beaucoup d’urée dans le lait, reconnaît Jimmy Haussler. C’est pourquoi je compense avec une ration importante de maïs grain qui apporte de l’énergie. » L’éleveur est vigilant sur la qualité des fourrages qu’il achète. « Avant la luzerne, je me fournissais tout en foin de Crau mais j’ai été déçu plusieurs années consécutives. Rien ne m’attache à tel ou tel aliment, je souhaite juste fournir une ration de qualité pour que mes brebis produisent autant qu’elles peuvent. » Jimmy Haussler voit tout de même du positif dans cette situation contrainte : « nous économisons sur le machinisme et tout le matériel nécessaire à la récolte du foin. »
Une stratégie valable et envisagée par les éleveurs pour juguler l’envolée des charges alimentaires serait de parvenir à diminuer la taille du troupeau tout en maintenant le même volume de production laitière, bouclant ainsi avec le besoin d’amélioration génétique du troupeau.
Malgré le désert ovin lait, le contrôle laitier répond présent
Le troupeau de la Bergerie de la Lignarre est suivi par le contrôle laitier, « le technicien essaie d’adapter au mieux les formules caprines à notre troupeau », sourit l’éleveur. La traite commence dès qu’une dizaine de brebis entrent en lactation, aux alentours de la mi-janvier. Elle a lieu deux fois par jour jusqu’au 10 septembre où les éleveurs passent en mono traite puis la production s’arrête mi-octobre. En moyenne, les brebis produisent 586 litres par lactation avec un TB à 66,9 g/kg et un TP à 51,2 g/kg. Sur 210 jours, une brebis produit le lait nécessaire à la fabrication de 143 kg de fromage.