Pratiques restrictives : le ministre peut-il agir seul ?
Après la notion de déséquilibre significatif, c’est au tour du droit d’action conféré au ministre par les dispositions de l’article L.442-6-III du code de commerce d’être passé au crible de la conformité à la Constitution. C’est là le dernier avatar d’une prérogative qui a suscité bien des interrogations.
Rédaction Réussir
Depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986, le ministre de l’Économie peut introduire devant la juridiction compétente une action aux fins de voir sanctionner l’une des pratiques interdites par les dispositions du même article. Cela pouvait se faire aux mêmes conditions que toute autre personne justifiant d’un intérêt, que le parquet ainsi que le président du Conseil de la concurrence.
La loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001 amorce une nouvelle approche : les dispositions législatives existantes sont complétées par un article prévoyant que « lors de cette action, le ministre chargé de l’Économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses au contrat illicite, demander la répétition de l’indu et le prononcé d’une amende civile (...) La réparation des préjudices subis peut également être demandée ».
Cela fait donc une décennie qu’au-delà de la simple faculté de porter un contentieux devant une juridiction compétente, le ministre peut, de son propre chef, s’immiscer au cœur même du dispositif contractuel convenu entre des commerçants, demander l’annulation de clauses contractuelles et même la répétition de l’indu, c’est-à-dire la restitution par une partie à son cocontractant des sommes que celui-ci n’aurait pas dû payer.
Une entorse légale
Or, ces prérogatives exorbitantes soulève plusieurs difficultés.
En permettant au ministre d’intervenir à l’intérieur même du dispositif contractuel convenu par les parties, la loi l’autorise à déroger aux dispositions pourtant impératives de l’article 1165 du code civil qui stipulent que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes, elles ne nuisent point aux tiers... », même si, de manière surprenante, cette entorse légale au profit des pouvoirs publics n’a pas retenu l’attention des plaideurs. La jurisprudence a quant à elle admis, depuis plusieurs années, que l’action ainsi accordée au ministre avait un caractère autonome, de sorte que le ministre pouvait parfaitement demander la répétition de l’indu au profit d’une partie qui n’était elle-même pas mise en cause ni parfois même pas informée de l’existence d’une action en ce sens.
Or que se passera-t-il si tel commerçant, qui pour rien au monde n’aurait assigné son partenaire commercial, refuse de recevoir les sommes qui lui reviennent du fait de l’annulation d’une clause ? Sera-t-il contraint d’accepter ? Que reste-t-il alors des principes directeurs du droit des contrats, et notamment de l’autonomie de la volonté ?
La Cour de cassation, par un arrêt du 8 mars 2011, a admis que la question de savoir si l’action du ministre lui permettant d’agir en l’absence du ou des fournisseurs concernés dans la procédure, voire sans leur accord, portait atteinte aux droits garantis par la Constitution, et notamment aux droits de la défense, était une question sérieuse au regard du principe de garantie des libertés individuelles édictées par la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Cela justifiait qu’une question préjudicielle de constitutionnalité soit posée au Conseil constitutionnel.
La réponse est attendue dans quelques semaines. Soit le juge constitutionnel retient l’anti-constitutionnalité et la disposition législative en cause sera purement et simplement anéantie, soit il ne la retient pas, et la question reste cependant entière de savoir quelle sera la nouvelle approche de la Cour de cassation, et notamment si elle reviendra sur sa jurisprudence précitée de 2008. Le suspense est définitivement insoutenable !