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Le lait cru, quels sont les avantages et inconvénients ?

Les bénéfices des fromages au lait cru sont de mieux en mieux documentés par la littérature scientifique, notamment par les épidémiologistes. Une fondation sur la biodiversité fromagère devrait être lancée à l’automne et confortera les connaissances.

Pendant longtemps, ce sont les risques des fromages au lait cru qui ont été les seuls à être mis en avant alors que leurs bénéfices, en particulier sur la construction du système immunitaire, exigent du temps pour être mieux appréhendés, notamment par les politiques publiques. Mais, Christophe Chassard, chercheur au sein de l’unité mixte de recherche « fromages du terroir » à l’Inrae d’Aurillac est optimiste : « De plus en plus de monde prend conscience de ces bénéfices. Un premier colloque sur le lait cru a d’ailleurs pu se tenir en janvier 2020 au ministère de l’Agriculture. Il a mobilisé toute une journée 200 personnes sur place et 600 à distance. Nous organisons le prochain les 16 et 17 novembre à Aurillac. »

Il note trois grands types de bénéfices liés à la consommation des fromages au lait cru. Les avantages santé portent sur la prévention d’infections respiratoires, la prévention ou la réduction des maladies atopiques, type eczéma, mais surtout asthme et, plus récemment documentée, la prévention des maladies neurodégénératives. Seconde catégorie, les avantages sur le goût sont liés à la biodiversité de leurs flores microbiennes et aux composés aromatiques qu’elles synthétisent : un fromage au lait cru contient entre 100 millions et 1 milliard de micro-organismes par gramme. « Le rôle de la microflore sur les qualités sensorielles des fromages au lait cru a fait l’objet de grosses études dans les années 1990 et 2000 », rappelle Éric Beuvier, directeur d’unité à l’Inrae.

Enfin, appartenant à l’histoire des territoires, les fromages au lait cru présentent un intérêt économique sur les filières (des exploitations agricoles qui valorisent mieux leur lait à la commercialisation des fromages), qu’ils soient sous AOP ou des fromages fermiers sans appellation.

« Un fromage au lait cru, c’est une part de notre histoire qui a un effet économique indéniable sur nombre de nos terroirs et qui, comme tout aliment, présente aussi des risques sanitaires dont les filières se sont saisies », résume Christophe Chassard. D’où les recommandations de déconseiller les fromages au lait cru aux jeunes enfants (moins de 5 ans), aux femmes enceintes et aux personnes immunodéprimées, à l’exception des fromages à pâtes pressées cuites.

Pasture a posé les bases

Pasture, le gros projet de recherche européen qui s’est étalé de 2006 à 2011 a posé la base de nombreux travaux qui confirment les bénéfices des fromages. « Un tel projet mobilise des financements importants, mais fournit des données encore aujourd’hui, puisque la cohorte Pasture est toujours suivie, alimentant ainsi des études épidémiologiques qui montrent l’intérêt d’une consommation précoce. Elle présente un effet protecteur sur les pathologies respiratoires », explique Christophe Chassard.

C’est aussi le constat d’autres travaux sur les pathologies pédiatriques. « Il existe désormais suffisamment d’études, sur des tailles suffisamment importantes de cohortes qui pointent les corrélations positives, que ce soit un effet protecteur vis-à-vis d’infections respiratoires ou d’asthme sévère, mais aussi de maladies neurodégénératives. Ce que nous travaillons désormais, c’est le pourquoi de cet effet protecteur, probablement lié à la biodiversité microbienne, les interactions au sein de cette flore et avec le tube digestif des consommateurs », développe le spécialiste.

L'équipe d’Aurillac explore ainsi, dans le projet Tandem, le flux des microbes tout au long de la chaîne alimentaire, du sol au brin d’herbe, de la vache au lait cru et à ses effets sur des rats qui en consomment. « Nous manquons encore de données consolidées sur les effets positifs sur l’asthme sévère et les maladies atopiques comme l’eczéma, même si des études montrent qu’une consommation précoce, entre 12 et 18 mois, aurait des effets bénéfiques. Des corrélations ne suffisent pas pour faire évoluer les politiques publiques, et nous devons encore travailler pour expliciter ces effets bénéfiques », estime-t-il.

Outre les micro-organismes, les matières grasses et les protéines sont probablement mobilisées. L’effet positif sur la santé de certains peptides bioactifs est également de mieux en mieux connu.

Traiter de grands jeux de données

« Nous devons faire parler de grands jeux de données et savoir réaliser des ruptures disciplinaires pour intégrer des sociologues, par exemple, ou des biostatisticiens », souligne le chercheur. C’est l’un des intérêts des projets, comme Amont Saint-Nectaire qui a comparé sur la période 2016-2021 des fermes avec ou sans problème sanitaire en explorant leurs différences en microbiologie, mais aussi d’organisation ou de structure. « Ce sont des études de temps long, nous sommes juste en train de terminer la rédaction d’articles scientifiques en vue de leur publication lors de colloques ou dans des revues », précise Christophe Chassard. Il souligne qu’à l’automne, un observatoire sur la biodiversité fromagère devrait être lancé.

Le fromage au lait cru en France

En 2022, 354 laiteries (200 252 t, soit +10 % depuis 2010) et environ 6 000 producteurs fermiers (25 000 t) ont produit des fromages au lait cru en France ; ce qui représente 16 % de la production nationale de fromages. Les quatre cinquièmes des volumes de fromages AOP et IGP ainsi que la quasi-totalité des fromages fermiers sont des fromages au lait cru. Trois Français sur quatre en mangent au moins une fois par mois et un Français sur deux toutes les semaines. Les chiffres des laiteries montrent que le lait de vache domine (chèvre : 9 500 t, brebis : 17 200 t). Dans cette catégorie, les pâtes pressées cuites se taillent la part du lion (94 000 t), suivies par les pâtes pressées non cuites (47 000 t), les pâtes molles (25 000 t), puis les pâtes persillées (1 500 t). Selon l’étude Ifop de novembre 2021, citée par le site www.fromagesaulaitcru.fr, centre de ressource pour le grand public, près de neuf Français sur dix ont une bonne image des fromages au lait cru. Plus de trois Français sur cinq pensent que le lait cru est un critère important pour l’achat d’un fromage, près de huit Français sur dix déclarent que ces produits inspirent confiance, même si près d’un Français sur deux pense qu’il faut être vigilant face aux risques sanitaires.

Trois questions à

Farrokh Choreh, directrice adjointe chargée de la sécurité sanitaire, science et technologie du lait au Cniel.

« Le lait cru est naturellement un produit sensible »

Quels sont les enjeux de sécurité sanitaire pour les fromages au lait cru ?

Choreh Farrokh - Le lait cru est naturellement un produit sensible en raison de sa richesse en nutriments. La fabrication de fromages au lait cru, qui interdit le chauffage du lait à plus de 40 °C, exige une attention particulière pour la maîtrise de l’hygiène à tous les niveaux de la chaîne, de l’élevage à la table du consommateur, au risque de faire exploser la contamination bactérienne. Certains fromages au lait cru à pâtes pressées cuites qui chauffent leur caillé à 53 °C durant 45 minutes sont un peu différents. Mais pour tous, la filière laitière conduit depuis longtemps de nombreuses études sur les risques sanitaires, les Stec, les Listeria et les salmonelles notamment, pour améliorer et partager la connaissance. La plateforme de surveillance de la chaîne alimentaire met aussi à la disposition des professionnels des documents d’aide méthodologique rédigés par des experts de différentes origines comme, en 2020, la fiche sur la surveillance des salmonelles et, en 2021, celle consacrée aux Stec.

Quelles sont les études les plus récentes ?

C. F. - Sur les Stec par exemple, l’Idele travaille beaucoup en élevage et a publié des documents sur les litières, l’alimentation des animaux et l’eau. Son nouveau projet, qui démarre cette année, s’intéresse à un axe de progrès majeur, la maîtrise de l’hygiène pour les veaux afin d’orienter le microbiote des jeunes animaux pour que les Stec ne s’y implantent pas. Plusieurs études s’intéressent, par ailleurs, aux sérotypes et aux gènes de virulences des Stec. Le récent guide de la DGAL, publié il y a deux mois, reprend cette approche par sérotypes. Du côté de la transformation, il existe désormais un outil d’appréciation du risque pour les laiteries, en fonction de leur fabrication, qui les aide aussi à établir leur plan d’échantillonnage. Le travail sur les filtres a abouti l’an dernier et celui sur l’identification d’un gène de virulence d’intérêt dans un bouillon devrait permettre de réduire le temps des analyses libératoires.

Les salmonelles sont-elles aussi un sujet ?

C. F. - Tout à fait, avec des questions spécifiques. Le projet SalmoVac explore, par exemple, l’intérêt d’une vaccination pour réduire la charge environnementale même si elle ne concerne que deux sérotypes. Autre recherche, dans le cadre de la plateforme de surveillance de la chaîne alimentaire, le premier travail sur le séquençage total du génome a été publié il y a un an. À noter aussi, le démarrage de l’UMT Fastypers, car la question de la persistance des micro-organismes dans l’environnement, notamment dans les biofilms, est un gros sujet scientifique. L’UMT a démarré avec les Listeria, mais réfléchit déjà aux salmonelles.

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