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L’ Afrique peut-elle se nourrir sans importer ?

Alors que la démographie continue de progresser en Afrique, le continent cherche à limiter sa dépendance aux importations. C’est possible, selon les intervenants d’une conférence au Salon de l’agriculture, mais peu probable, selon les prévisions de la FAO.

Plat de poulet frites dans un restaurant togolais, inspiré d'une cuisine étrangère, mais produit localement.
Plat de poulet frites dans un restaurant togolais, inspiré d'une cuisine étrangère, mais produit localement.
© Sheila Kolani

 

 

« Le continent africain ne dépend pas massivement des importations », s’est exclamé Rémy Rioux, directeur général à l’Agence française de développement (AFD), le 27 février 2023 à l’occasion de la conférence « L’Afrique nourrit les Africains », organisée par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), l’AFD, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest. Pour Nicolas Bricas, socioéconomiste, chercheur au Cirad à l’UMR MoISA et titulaire de la Chaire Unesco Alimentations du monde, le constat est clair : « 80 % des calories journalières par habitant sont produites localement. 

Défendre la souveraineté alimentaire africaine

La baisse des importations rime avec souveraineté alimentaire. Comme de nombreux pays, ceux d’Afrique subsaharienne souhaitent y parvenir, notamment pour améliorer la sécurité alimentaire. D’après les résultats de recherche menés par le Cirad, les politiques veulent donner plus de place au local et au régional. C’est le cas au Sénégal. Le pays importe 48 à 52 % de son riz.

Le ministre sénégalais de l’Agriculture Ngouille Ndiaye, également présent à la conférence, explique travailler à la réduction des importations de riz à partir de 2028 grâce à la hausse de la productivité nationale.

Cependant, la souveraineté alimentaire n’est pas uniquement aux mains des politiques. D’autres acteurs espèrent aussi en faire une composante primordiale. Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne comme le Nigeria et le Ghana ont montré que le secteur privé pouvait notamment connecter l’offre agricole au marché ou encore réduire la dépendance aux facteurs de production (semences, engrais, machinisme agricole…). Les entreprises du secteur privé contribuent donc « à inventer la cuisine africaine, [car] l’alimentation ne s’occidentalise pas. Elle s’inspire de plusieurs cuisines, locales, régionales, étrangères et innove », explique Nicolas Bricas. Ce sont les villes qui inventent principalement leur propre modernité alimentaire. Les divers plats à base de manioc transformé (gari, attiéké, foufou, bâtons), de maïs, d’igname… sont des exemples probants. Enfin, les plats d’inspirations occidentales comme le steak frites sont souvent issus de produits agricoles locaux ou régionaux.

 

 

 

 

 

« L’alimentation ne s’occidentalise pas. Elle s’inspire de plusieurs cuisines et innove », Nicolas Bricas, chercheur au Cirad

Pour défendre sa souveraineté alimentaire, Nicolas Bricas soutient que l’Afrique subsaharienne doit reconnaître et aussi valoriser ses propres entreprises. Elle doit aussi soutenir leur créativité et réguler les investissements privés ou les financements publics internationaux. « La coopération internationale ne doit pas être le moyen de prendre le contrôle des systèmes alimentaires au prétexte que l’Afrique ne peut pas s’en sortir. Elle doit plutôt être consacrée à limiter les instabilités issues des différents risques internationaux (chocs climatiques, sanitaire, économiques et politiques) », avance-t-il.

Le Nigeria, modèle ou exception ?

Pour Nicolas Bricas, croissance démographique ne va donc pas forcément de pair avec hausse des importations, qui illustre son propos avec le cas du Nigeria. La densité actuelle du pays correspond à celle de l’Afrique de l’Ouest dans trente ans. Le géant pétrolier apparaît donc comme une vitrine prévisionnelle. « Le pays est la preuve que les producteurs suivent l’accroissement démographique », précise-t-il. Le Nigeria a développé sa production locale, notamment en maïs, haricot niébé, racines, tubercules et plantain, huile de palme, produits laitiers, etc.

Des importations possibles en hausse

Les prévisions de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) vont à l’encontre de celles du chercheur. Selon elles, la région d’Afrique subsaharienne devrait accroître sa dépendance aux importations pour combler l’écart entre la production et la consommation intérieure. En céréales, viandes, produits halieutiques et aquacoles, en sucre et en huile, les importations « vont sensiblement augmenter et à un rythme plus rapide que la production ».

La FAO penche sur une hausse de la production agricole de 2 % par an en moyenne en valeur ajoutée nette. Cependant, « compte tenu de la croissance démographique rapide, cela signifie que ramenée au nombre d’habitants, la production va continuer de diminuer, une tendance apparue dès 2015 », relève la FAO.

La production végétale représenterait 75 % de la production totale en 2031. La part des produits d’origine animale devrait stagner à 18 %. Enfin, celle des produits halieutiques et aquacoles reculera légèrement pour s’établir à 7 %. La hausse de la production végétale (+25 %) sera le résultat combiné de l’extension des surfaces, de la modification du panachage des cultures et des gains de productivité.

Du côté de la production animale, la valeur nette devrait croître de 28 % au cours de la décennie à venir. La volaille et le lait enregistraient les augmentations les plus rapides. Au total, la région devrait produire 10,5 Mt de lait de plus et 2,9 Mt de viande supplémentaire en 2031. D’autre part, « la croissance économique par habitant devrait être moins vigoureuse que dans d’autres régions émergentes et en développement, avec une augmentation de 1,3 % par an », estime la FAO.

Le PIB par habitant a reculé de 5 % avec la pandémie de Covid-19. Il a repris 1,1 % en 2021 et un 1 % supplémentaire en 2022. En moyenne, le PIB par habitant ne retrouverait un niveau supérieur à celui d’avant la pandémie qu’en 2025. Pour la FAO, la démographie sera le principal moteur de la consommation alimentaire. Elle table sur une croissance démographique annuelle de 2,5 % en moyenne d’ici à 2031. L’Afrique subsaharienne comptera 334 millions d’habitants de plus qu’en 2019-2021.

Les exportations concernent majoritairement les produits de « rentes »

À l’export, l’Afrique subsaharienne fournit différents marchés mondiaux en produits issus des cultures de « rentes » par opposition aux cultures « vivrières ». Les exportations concernent majoritairement le cacao, le café et la banane. La Côte d’Ivoire est le premier exportateur mondial de cacao et détenait 43 % de la production mondiale pour la campagne 2021-2022. Elle est aussi le premier exportateur africain de bananes avec 322 000 tonnes en 2022, soit 5 % de moins qu’en 2021. Le Cameroun talonne la Côte d’Ivoire avec 216 000 tonnes en 2022, contre 188 000 tonnes en 2021, selon la FAO.

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