Loi Pacte
La coopération agricole se reconnaît dans la société à mission
Au congrès de Coop de France, la société à mission, créée par loi Pacte, s’est montrée compatible avec les engagements collectifs et sociétaux des coopératives agricoles. Ce cadre juridique en cours de construction peut attirer bien des entreprises.
Le chapitre III, intitulé Des entreprises plus justes, du projet de plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), interpelle le monde de la coopération agricole et alimentaire. Ce chapitre du projet de loi propose à toute société de se doter d’une « raison d’être » et de devenir une « société à mission » en inscrivant dans ses statuts la poursuite d’objectifs sociaux et environnementaux. Coop de France avait invité à son congrès, le 19 décembre, deux instigateurs de cette évolution statutaire : la députée Coralie Dubost (LREM de l’Hérault), rapporteur de la commission d’examen du projet de loi Pacte sur ce chapitre III, et l’avocat Errol Cohen, membre de la chaire de l’école des Mines Théorie de l’entreprise et du collège des Bernardins. Ces deux instituts sont pionniers du concept français d’entreprise « à objet social étendu » ayant inspiré la « société à mission » du projet de loi.
Mise en œuvre dès 2019
La loi Pacte a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018. Elle doit encore être examinée par le Sénat. Coralie Dubost a supposé qu’elle serait terminée autour de mars pour une mise en œuvre dès 2019. Cette loi inscrira dans le Code civil l’option juridique de « la raison d’être » des sociétés et dans le Code du commerce la « société à mission ». La députée a donné plusieurs précisions : une société définira sa mission en parallèle de son activité ou au cœur de celle-ci ; elle se dotera d’un comité des parties prenantes. Celui-ci sera constitué au minimum d’un salarié et suivra la bonne exécution des objectifs de la mission. Quant à la certification en tant que « société à mission », un décret en Conseil d’État doit préciser les modalités de vérification annuelle par un organisme tiers indépendant.
Les cas Nutriset et La Camif
Errol Cohen, qui a collaboré aux travaux de conception de la société à mission, a positionné celle-ci entre l’économie de marché et l’économie sociale et solidaire ; une forme hybride déjà répandue aux États-Unis (sous les statuts de benefit corporation et public benefit corporation), en Italie (sous le statut de società benefit) ainsi qu’en Grande-Bretagne. En France, deux entreprises se sont inspirées du modèle formalisé par le collège des Bernardins et l’école des Mines : Nutriset et la Camif.
Nutriset qui s’engage à « apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition et de malnutrition » et s’assigne neuf engagements collectifs quand la Camif s’engage à « proposer des produits et services pour la maison, conçus au bénéfice de l’homme et de la planète », « mobiliser son écosystème », « collaborer » et « agir » pour « inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ».
Invivo se voit en société à mission
L’union de coopératives Invivo se propose d’être une entreprise pionnière. Son avocat-conseil dans cette transformation est précisément Errol Cohen du cabinet Le Play. Dans le livret explicatif * qu’Invivo a distribué aux congressistes, il souligne que la loi Pacte donne la possibilité aux coopératives de devenir des sociétés à mission. Il attire l’attention sur la rigueur nécessaire dans la détermination de la mission, ses engagements, sa portée, sa formulation « précise, concrète et objective ». Il vante « la volonté de mettre l’innovation au premier rang » pour résoudre les enjeux identifiés, l’intérêt d’établir « une norme d’échange et de coconception de la stratégie » en matière de gouvernance et de partenariat, et « des normes de prévoyance face à l’inconnu », comme la prospective, les innovations de rupture. « La mission va aussi permettre aux entreprises de séduire la génération Z, en quête de sens et qui, de ce fait, se méfie d’elles », argumente-t-il.
La mission va aussi permettre aux entreprises de séduire la génération Z
La supracoopérative Invivo se voit en société à mission « à bien des égards ». Son livret invoque : l’intérêt collectif inhérent aux coopératives ; l’adaptation de son organisation et de sa gouvernance à la nouvelle donne des marchés mondialisés et du défi numérique ; son organisation avec ses filiales par métiers, dont les actionnaires sont des sociétés coopératives appartenant aux associés coopérateurs ; ou encore l’ambition, inscrite dans son plan stratégique de « relever le défi de la transformation de l’agriculture et de la qualité alimentaire grâce à des solutions innovantes, responsables et durables, au bénéfice des coopératives, des agriculteurs, des consommateurs et des territoires ». Invivo établira cette année « des indicateurs de progrès pertinents et suivis » de sa responsabilité sociétale et environnementale (RSE).
Le groupe compte transformer son comité technique RSE en comité stratégique auprès du conseil d’administration. Sa filiale Bioline, couvrant les métiers des semences, de la protection des plantes, des biosolutions, de l’agrodigital et du conseil agricole sera son « premier pivot de transformation globale ». Avec une proposition de raison d’être : « contribuer à construire une agriculture positive et innovante avec les coopératives et les producteurs afin de répondre aux besoins de tous les hommes grâce à une alimentation saine ».
* Vers la société à mission responsable et agile – un chemin de transformation pour Invivo.
Des avantages fonctionnels
Selon Prophil, société de recherche et de conseil en stratégie spécialisée dans les nouveaux modèles économiques au service du bien commun, la formalisation en société à mission va « beaucoup plus loin que la structuration d’une politique de RSE, souvent discrétionnaire, sans véritable adhésion des dirigeants et des actionnaires, et dépourvue de toute forme d’opposabilité en cas de changement de gouvernance ». Dans son livret explicatif *, Invivo donne aussi des avantages fonctionnels : libérer le travail du carcan des règles et des procédures. « La raison d’être restitue aux salariés du “pouvoir d’agir” au plus près du terrain et constitue un point d’ancrage pour le dialogue sur le travail », renforcer l’agilité de l’organisation en déconcentrant le pouvoir d’agir.