Kaoka fait de l’Équateur le nouvel eldorado du cacao
André Deberdt lui tend les ciseaux : c’est au tour de Don Vitaliano de couper le ruban. Dans la grande cour de terre battue, les habitants de Moradores se pressent aux abords du séchoir à gaz flambant neuf dont c’est aujourd’hui, samedi 11 septembre 2004, l’inauguration. Un séchoir qui va permettre d’abaisser le taux d’humidité des fèves de cacao à la norme internationale de 7 % même quand le temps est à la pluie. Une solution technique de poids puisqu’elle est la seule qui permette de garantir le débouché à l’exportation de l’intégralité de la récolte de cacao.
Don Vitaliano Sarabia Fajardo est le charismatique président d’Unocace, l’Union des coopératives de cacao d’Équateur. Grand orateur, il sait se faire entendre de tous les producteurs et véhiculer les messages forts sur la qualité. Quant à André Deberdt, il est l’homme par qui tout est arrivé. Bio-chimiste de formation, précurseur de l’agriculture biologique et l’un des concepteurs de la norme AB, il a fondé en 1993 la société Kaoka, dédiée à la production Bio Equitable de cacao. Avec son acolyte Gilles Roche, chercheur au Cirad (Centre international en recherche agronomique pour le développement) et expert technique de Kaoka, ils développent depuis cinq ans des programmes de filières cacao Bio Equitable au Vanuatu, à Sao Tome, à Madagascar et en Equateur. Systématiquement, ils incluent les producteurs locaux dans une optique de développement économique durable. Pour André Deberdt, en effet, le credo de la cause bio prévaut plus que jamais : « Nourrir la terre pour nourrir les hommes ».
Le meilleur cacao du monde ?
En 1999, le groupe Cémoi, premier producteur français de chocolat, a acquis 51 % des parts de la société Kaoka. Celle-ci approvisionne désormais l’intégralité de la filière Bio Equitable du groupe, pour la fabrication de toutes les tablettes de chocolat commercialisées sous marque Cémoi Biologique, pour la GSA, et sous marque Kaoka, en circuit spécialisé. « Nous sommes en phase-pilote d’un projet qui arrivera à maturité d’ici 5 à 10 ans,explique Vincent Bruart, responsable Marketing Produits Permanents chez Cémoi . Nous effectuons un travail de fond afin d’éduquer le consommateur à un chocolat « d’origine fève de cacao » et non uniquement à l’origine géographique.»
Retrouver les arbres les plus purs, répertorier et replanter des souches sélectionnées pour créer des champs ensemenciers, bouturer ou greffer pour conserver et démultiplier les arômes… Kaoka s’attache ainsi, depuis la première heure, à des recherches sur le patrimoine génétique des cacaoyers afin d’identifier les fèves les plus aromatiques. Aujourd’hui, Kaoka se targue de produire le meilleur cacao du monde. Il est issu de la variété équatorienne dite Nacional. Les débouchés en sont potentiellement énormes. Car outre la fabrication de tablettes de chocolat d’exception, ce cacao a le pouvoir de redonner de la saveur à un chocolat de médiocre qualité grâce à seulement 15 % de son poids, contre 20 à 25 % habituellement. Cémoi envisage donc de commercialiser ce cacao améliorateur auprès des artisans chocolatiers et – pourquoi pas – des autres géants de l’industrie chocolatière. Du pain béni pour l’entreprise au vu de la baisse de qualité générale du cacao, en particulier en Afrique, premier continent producteur.
1 000 pieds à l’hectare contre 600 actuellement
Pour l’heure, Kaoka, par le biais des 12 coopératives et des 400 familles de producteurs que regroupe l’Unocace, s’attache à améliorer sans cesse la qualité de ses fèves. Gilles Roche les goûte et les regoûte sans cesse, comme il le ferait avec un grand vin, pour identifier les arômes fruités ou floraux. Mais il convient aussi d’améliorer le rendement quantitatif. Les plantations seront petit à petit redensifiées : 1 000 pieds à l’hectare contre 600 actuellement. Quant à la surface totale de production, elle passera de 4 000 hectares en 2004 à 5 000 hectares en 2005. Cent nouveaux petits producteurs devraient en effet venir rejoindre le groupement, attirés par les conditions exceptionnelles proposées par Kaoka.
Il faut dire qu’ils ont tout à y gagner : non seulement l’intégralité de leur récolte leur est achetée mais elle leur est payée à un prix minimum garanti situé systématiquement au-dessus du prix de la bourse. « C’est là qu’intervient la notion de commerce équitable : non pas sur un plan social mais dans le cadre d’un rééquilibrage de l’échange commercial, précise André Deberdt. Pour autant, nous pensons développement économique durable. » En contrepartie, les producteurs s’engagent à produire de la qualité, ceci dans les termes de l’agriculture biologique. Ecocert ne manque d’ailleurs pas de les inspecter chaque année. Malgré ces avantages non négligeables, la filière Bio Equitable du pays ne représente à ce jour que 1 % de la production équatorienne de cacao.
Aujourd’hui est donc un grand jour, parce qu’il représente une consécration des efforts fournis par les producteurs de la coopérative Union y Progreso, sur le flanc de la Sierra, dans le Sud de l’Équateur. Ici, à Moradores, on a compris qu’entretenir les cacaoyères pour éviter la prolifération des serpents, que faire fermenter et sécher les fèves de cacao dans les règles de l’art, que protéger les équipements des intempéries, que s’ouvrir aux nouvelles techniques agricoles, que tout cela est payant. Déjà, les dépenses de santé des villageois augmentent. Quelques commerces ont ouvert. Et les enfants sont plus nombreux à aller à l’école. Quant au champ ensemencier de cacao améliorateur, il devrait également apporter du travail à la population féminine du village. En effet, les premières greffes de souches hautement aromatiques auront lieu dans trois ans. D’ici là, des femmes du village auront été formées pour devenir des expertes du greffage.