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Interview
Julien Denormandie : « passer de la guerre des prix à la transparence des marges »

Dans une interview accordée au groupe Réussir-Agra, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation revient sur les grands sujets d’actualité : le Brexit ; la grippe aviaire ; la consommation de la viande ; les dénominations animales.

Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, le 7 janvier. © Vincent Motin
Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, le 7 janvier.
© Vincent Motin

Réussir-Agra : Brexit : au-delà du satisfecit de l'accord trouvé, quelles sont les conséquences pour le commerce agricole ?

Julien Denormandie : Le Brexit est un divorce. Il n’y a pas de divorce sans conséquences, dont les principales sont supportées par les Britanniques. Elles sont très fortes, d’un point de vue de leur économie et de la protection de leurs consommateurs.

Désormais, le Royaume-Uni est considéré comme un pays tiers du point de vue de l’OMC, ce qui implique des contrôles sanitaires et phytosanitaires pour protéger le consommateur européen.

Il ne faut pas oublier que l’Europe est un espace de protection du consommateur. Préserver cet espace était une de nos lignes rouges dans l’accord.

D’un point de vue français et européen, il y a aussi des conséquences puisque nous rétablissons une frontière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Des formalités douanières sont désormais nécessaires. Notre dispositif est déjà en place, la France est prête. Mon rôle est désormais d’accompagner au maximum les entreprises pour que les exportations vers le Royaume-Uni soient les plus fluides possible. Le ministère de l’Agriculture a recruté 370 personnes et cinq nouveaux centres de contrôle ont été créés.

De manière générale, depuis le 1er janvier, le trafic se déroule bien.

En revanche, du côté britannique, un certain nombre de règles n’ont toujours pas été définies. Cela pénalise les exportateurs britanniques.

R-A : Le risque que la Grande-Bretagne devienne un cheval de Troie des Américains, Australiens ou Néo-Zélandais est-il circonscrit ?

J. D. : Oui, il est circonscrit. C’était pour la France une ligne rouge. Pour éviter le risque que vous évoquez, nous avons obtenu des règles d’origine qui disent que les produits qui bénéficient de tarifs douaniers nuls ne peuvent être que des produits très majoritairement britanniques.

R-A : Quid du risque que les Britanniques importent massivement des produits étrangers et réexportent les leurs vers l’Union européenne ?

J. D. : Il n’y a aucun risque supplémentaire par rapport à la situation actuelle. Au-delà même du Brexit, le fait que les Britanniques importent depuis des années de l’agneau néo-zélandais, parce que leurs consommateurs le préfèrent à celui qu’ils produisent, doit les interroger.

R-A : Sur le thème du commerce international, quel soutien allez-vous apporter aux filières vitivinicoles touchées par de nouvelles taxes douanières américaines ?

J. D. : La filière vitivinicole est une victime collatérale du conflit entre Airbus et Boeing et des décisions unilatérales des États-Unis que nous condamnons avec la plus grande fermeté. Elles s’ajoutent aux premières sanctions de l’automne 2019.

Nous avons réuni le 7 janvier, avec Bruno Le Maire et Franck Riester, toute la filière pour convenir d’un programme de travail pour élaborer rapidement des aides additionnelles à la filière. Les conséquences sur la filière sont très significatives depuis l’automne 2019. Le 30 décembre, les États-Unis ont annoncé 3,7 milliards d’euros de sanction, dont 3 milliards pour la France et 700 millions pour l’Allemagne. L’administration Trump vise clairement la France.

Nous augmentons les capacités d’abattage, en réquisitionnant quatre abattoirs

R-A : En France, la grippe aviaire se répand très vite, un abattage préventif massif était-il évitable ?

J. D. Il faut faire un abattage préventif massif, c’est une décision difficile mais nécessaire. En fin d’année, nous avions pris la décision d’abattre préventivement dans une zone de 3 km autour des foyers de contamination. Le 12 janvier, nous comptions près de 700 000 canards abattus, dont les deux tiers à titre préventif.

En parallèle, les mesures de biosécurité ont été profondément renforcées depuis 2016, mais ce virus H5N8 est très virulent, et sa contagiosité est supérieure à celle des épisodes précédents. C’est pour cela que nous venons de prendre des mesures drastiques en étendant la zone d’abattage préventif à 5 km. Dans le même temps, nous augmentons les capacités d’abattage, en réquisitionnant quatre abattoirs. Nous créons aussi des zones tampons où nous allons limiter, voire interdire, les déplacements entre élevages.

Je veux dire aux éleveurs que nous sommes à leurs côtés. C’est une épreuve très difficile qu’ils traversent. J’étais dans les Landes vendredi et dans le Gers lundi pour m’assurer de l’accompagnement. Il doit être financier, bien sûr, mais aussi social et humain. Les premières indemnisations arriveront dès les prochains jours. Pour aller plus vite, nous allons passer par des acomptes.

R-A : Le plan d’investissement biosécurité de 2017 était-il insuffisant ?

J. D. : Les mesures de biosécurité sont essentielles pour les élevages. Il faut encore amplifier les efforts et donner la capacité aux élevages d’investir. À travers le plan de relance doté de 130 millions d’euros dédiés à l’élevage, tout un volet concerne la biosécurité. Nous allons continuer à aider la filière à financer des investissements.

R-A : Le problème ne vient-il pas de la surconcentration des élevages de canards ?

J. D. : Il y a évidemment un retour d’expérience qu’il nous faudra faire de la situation, afin de limiter la propagation du virus quand il se présente sur notre territoire. Mais notre priorité à court terme est de contenir l’expansion de l’influenza aviaire avec des mesures drastiques et d’accompagner financièrement les éleveurs. Le retour d’expérience se fera ensuite.

R-A : Les négociations commerciales sont une nouvelle fois tendues. Les mesures proposées par Serge Papin suffiront-elles à améliorer les choses ?

J. D. : Les relations commerciales sont un rapport de force, il ne faut pas l’oublier. Dans une économie qui n’est pas administrée et où l’entente n’est pas possible, la loi Egalim a permis de changer un état d’esprit. C’est nécessaire mais pas suffisant. C’est pour cela que j’ai confié cette mission à Serge Papin qui doit présenter son travail en avril. Lors du dernier comité, il a déjà proposé quelques mesures, dont la contractualisation pluriannuelle à laquelle je crois beaucoup : c’est le sens de l’histoire. Il propose aussi de passer de la guerre des prix à la transparence des marges. C’est ça qui fera bouger les choses. Pour cela, Serge Papin propose un système de « Blackbox » avec des tiers de confiance. En attendant, il faut faire appliquer scrupuleusement la loi Egalim. Nous allons renforcer les contrôles de la DGCCRF et dresser des sanctions à chaque fois qu’il y a des dérives.

Mon principal combat : lutter contre les importations de protéines sud-américaines

R-A : Vous allez devoir décliner d’ici au printemps la stratégie nationale bas carbone. Comment échapper à ce que les grandes études scientifiques recommandent systématiquement : baisser drastiquement la consommation de viande ?

J. D. : Il y a déjà des recommandations de consommation. Ma position, c’est de se fier à ces recommandations, en laissant toute liberté aux uns et aux autres. Mon principal combat est de lutter contre les importations de protéines sud-américaines. Nous en sommes totalement dépendants. Par conséquent, nous importons de la dégradation de biodiversité et de la déforestation. Et le coût – économique et environnemental – de ces transferts est absolument colossal. La priorité des priorités est donc bien de retrouver les voies d’une souveraineté protéique française. C’est pour cela que nous venons de lancer un plan protéines de 100 millions d’euros sur deux ans.

La seconde, c’est de valoriser la captation de carbone dans le sol. La principale source de captation de carbone après la mer, c’est le sol. Aujourd’hui, les marchés du carbone – européen ou volontaire – ont complètement omis de valoriser la captation du sol agricole. C’est un sujet que l’on est convenus de travailler avec le Haut Conseil sur le climat (HCC) il y a un mois. C’est une formidable opportunité pour les agriculteurs, pour qui cela peut devenir une source de revenus.

Un « steak végétal » n’est pas un « steak »

R-A : Les éleveurs attendent toujours un décret pour protéger les dénominations animales, où en est-il ?

J. D. : Soyons clairs : un « steak végétal » n’est pas un « steak ». Il faut donc informer le consommateur sans l’influencer sur son choix. Ce décret est important, mais il nécessite un travail européen tout comme la généralisation de l’information sur la viande en restauration hors foyer. L’étiquetage relève de la réglementation européenne. Ce décret est en cours de finalisation avec la Commission européenne.

Le ministre encourage la vente à la ferme

Julien Denormandie a annoncé le 12 janvier lors de ses vœux à la presse le lancement de la plateforme fraisetlocal.fr qui répertorie à date plus de 8 000 points de vente à la ferme. Réalisée avec le réseau Bienvenue à la ferme des chambres d’agriculture et le réseau de l’enseignement agricole, « la plateforme est opérationnelle, à chacun de s’informer sur les points de vente », a lancé le ministre. « La part des produits en circuit court est aujourd’hui de 10 % dans la consommation alimentaire des Français. À 5 ans, on peut monter à 25 % », a estimé Sébastien Windsor, président des chambres d’agriculture.

Rédaction Réussir

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