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Chronique
Devoir d’introspection pour les interprofessions

La récente décision de l’Autorité de la concurrence concernant les critères et les procédures d’adhésion des membres d’une interprofession martiniquaise devrait conduire d’autres interprofessions à s’interroger sur leurs pratiques.

Samuel Crevel, avocat associé au cabinet Racine

L’Autorité de la concurrence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’activité de certaines interprofessions agricoles (viandes de volaille, vins de la région de Bergerac…) accusées, à tort ou à raison selon les cas, d’organiser des ententes anticoncurrentielles pour le profit de leurs membres. Par une décision du 21 février 2018 (18-D-04), elle s’est pour la première fois prononcée sur un autre aspect de la vie interprofessionnelle, à savoir les critères et les procédures d’adhésion des membres.

L’Autorité a été saisie d’une plainte déposée par des producteurs de viandes établis en Martinique, regroupés, pour les uns, au sein d’une Sica et, pour les autres, d’une association, contre l’Association martiniquaise interprofessionnelle de la viande du bétail et du lait (Amiv), à laquelle ils reprochaient d’avoir rejeté leur demande d’adhésion. Précisons que l'Amiv accueillait des opérateurs non fédérés au sein d'organisations professionnelles.

Critères objectifs et transparents ?

L’Autorité a considéré que les critères d’adhésion à l’organisation interprofessionnelle étaient effectivement susceptibles de soulever des critiques au regard du droit de la concurrence ; constatation faite de ce qu’ils étaient « ni objectifs ni transparents et que leur application pouvait revêtir un caractère discriminatoire ».

Elle a relevé que l’adhésion à une organisation interprofessionnelle pouvait procurer à ses membres un avantage concurrentiel significatif dans la mesure où elle est « le lieu de discussion privilégié où se rencontrent les producteurs et les distributeurs et où sont prises des décisions structurantes pour le fonctionnement des filières d’élevage, ce qui est susceptible d’avoir des conséquences pour toutes les exploitations ».

Au cas particulier, l’organisation gérait également des fonds européens dédiés à la structuration de l’élevage et dont la distribution était statutairement réservée à ses adhérents. L’Autorité a toutefois considéré que les préoccupations de concurrence subsisteraient même si ces aides étaient, ce qui est sérieusement envisagé, gérées par les services de l’État.

Cette procédure de l’Autorité s’est achevée sans amende à la charge de l’Amiv, mais par un engagement pris par celle-ci de modifier ses statuts et son règlement intérieur afin de lever tout obstacle à la libre concurrence. Ces engagements ont consisté, d’une part, à encadrer et préciser le processus d’admission des membres actifs (normalisation des demandes, fixation de délais de traitement et de critères objectifs de représentativité, obligation de motivation des refus d’adhésion…) et, d’autre part, à créer un statut de membre associé ouvrant l’accès aux aides gérées par l’Amiv, mais sans participation à la vie de l’interprofession.

Les conditions d’adhésion mises en cause

Il est à penser que cette décision concerne potentiellement d’autres interprofessions. La circonstance particulière de gestion des aides étant regardée comme finalement indifférente, les éléments dégagés à propos de l’Amiv par l’Autorité à l’appui de sa décision paraissent, en effet, pouvoir être retrouvés dans bien d’autres filières : caractère unique de l’interprofession (c’est quasiment toujours le cas), réunion en son sein des opérateurs de l’amont et de l’aval, qualité de membre « nécessaire à l’entrée et au maintien sur le marché » (n’est-ce pas presque toujours le cas ?).

Sachant que l’Autorité a relevé que les objectifs poursuivis par l’Amiv – « favoriser l’organisation et l’harmonisation des pratiques relationnelles et les démarches contractuelles entre ses membres » – étaient conformes à l’article L 632-1 du Code rural et de la pêche maritime, sa décision n’en a que plus de portée et devrait conduire les interprofessions à interroger leurs conditions d’adhésion dites et même non dites. L’Autorité a mis en évidence que l’Amiv exigeait des candidats des conditions, notamment liées à leur spécialisation, que ses statuts et son règlement intérieur n’affichaient guère !

LE CABINET RACINE

Racine est un cabinet d’avocats indépendant spécialisé en droit des affaires. Avec un effectif total de deux cents avocats et juristes dans sept bureaux (Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Strasbourg et Bruxelles), il réunit près de 30 associés et 70 collaborateurs à Paris. Samuel Crevel, associé, y traite des questions relatives à l’agriculture et aux filières agroalimentaires. Magistrat de l’ordre judiciaire en disponibilité ayant été notamment chargé des contentieux relatifs à l’agriculture à la Cour de cassation, il est directeur scientifique de la Revue de droit rural depuis 2006.

Racine - 40, rue de Courcelles - 75008 Paris - www.racine.eu

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