De la ruine
Accablés de deuil, de faim et de froid, ils maudissaient le gouvernement, l’armée et le souverain qui ne leurs portaient pas secours, ou pas assez, ou trop tard. Enfin le roi parait, et les voici qui l’applaudissent avec un enthousiasme bon enfant auquel lui-même ne s’attendait sans doute pas. Ailleurs, les bandes armées pillent la ville, vidant les entrepôts et leurs fusils d’assaut de façon rien moins que chimériques. On s’apprêtait au pire, d’ailleurs le pire advint, mais le président détesté a conservé jusqu’au dernier jour un certain crédit auprès du petit peuple. Ici enfin, la grogne monte des campagnes, les insatisfactions s’amplifient, le sentiment se répand que des changements sont nécessaires, certes, mais qu’ils seront cher payés et toujours par les mêmes. On redoute donc l’épreuve annuelle de la foule et de son bain, qu’il soit glacé ou trop chaud. Mais le maître nageur n’en est pas à son premier crawl, son battement reste efficace et, finalement, tout le monde trouve que l’eau est bonne. Peuples inconstants, capricieux ? Peut-être, mais surtout peuples sages, qui savent d’instinct ce que Kierkegaard et Walter Benjamin exprimaient en disant que « la ruine est l’état même des choses modernes. »