ALLEMAGNE
Les industriels de la viande affichent des stratégies différentes sur les marchés de l’Est
Plusieurs grands patrons de l’industrie de la viande se sont exprimés sur leur stratégie à l’Est. Une opinion commune se dégage : 30 % des sociétés polonaises du secteur vont devoir fermer dans les mois qui viennent. Ce qui va créer un appel pour l’industrie européenne. Mais, pour le reste, les avis divergent, notamment sur les avantages réels des coûts salariaux :
- Oliver Beck, patron du groupe Beck, présent dans la société Bilbo en Tchéquie, croit à une délocalisation massive de la production vers l’Est, en raison des coûts très inférieurs de la main-d’œuvre, du foncier, de la construction.
- Leins, le directeur commercial du groupe Stockmeyer actif en Pologne (Balcerzak et Stockmeyer Polska), illustre le propos d’Oliver Beck en calculant qu’une entreprise de 500 salariés en Pologne bénéficie par rapport à la même entreprise en Allemagne d’un avantage salaire de 1 500_/mois et par salarié.
- Paul-Heinz Wesjohann, qui dirige le groupe avicole Wiesenhof, confirme que les salaires polonais sont inférieurs de 20 % aux salaires allemands, et qu’ils le resteront au moins pendant les 20 prochaines années. Il tire cette conviction de l’exemple… allemand : 14 ans après la réunification, la parité n’est pas atteinte entre les nouveaux et les anciens Länder.
- Eclairage différent avec Heinz Lotze, directeur de la société Könecke à la frontière germano polonaise. Il ne croit pas, malgré des coûts inférieurs, à un fort courant d’exportation de viandes de l’Est vers l’UE 15. Il estime qu’un approvisionnement de l’Allemagne à partir de la Pologne n’a de sens que si la différence de prix est importante. Or la matière première est aussi chère en Pologne qu’en Allemagne, et les avantages de coûts main-d’œuvre n’existent que pour des produits incorporant une part travail importante. Et ces produits n’existent plus, depuis la mécanisation des tâches et la généralisation des UVC. Le groupe Könecke pense même un jour fournir la restauration polonaise avec des produits fabriqués en Allemagne.
- Le groupe Nölke dispose de filiales en Pologne qui produisent pour les marchés locaux, notamment en volailles. Fournir l’Allemagne à partir de la Pologne ? Le groupe n’y croit pas et son directeur Wandel affirme « qu’il est allé en Pologne pour s’ouvrir un nouveau marché de 40 millions d’habitants, et pas pour approvisionner différemment ses anciens marchés. »
- Les Frères Abrahamà Seevetal, spécialiste du jambon fumé, s’implante également en Pologne. « Nous ne pouvons pas proposer à ces consommateurs qui gagnent 20 euros/jour des produits fabriqués en Allemagne par de la main-d’œuvre qui coûte 20 euros/heure ! Nous devons produire sur place.» Projet : réaliser en Pologne des jambons semis finis qui seraient parachevés en Allemagne.
Le modèle danois, un épouvantail
« Des entrepreneurs libres n’ont pas besoin de contrats ! Non à l’intégration verticale ! Non au modèle porcin danois !» Ces cris retentissaient l’autre jour à Munster dans une réunion du groupement ISN, qui fédère quelque 12 000 producteurs dans le nord ouest de l’Allemagne. Pour un peu, on se serait cru dans le Finistère au bon vieux temps… ISN se livre aussi à une vive critique des liens capitalistiques entre production et abattage. Selon son président, Franz Meyer zu Holte, l’intégration verticale n’a pratiquement jamais apporté ce qu’en espéraient les éleveurs. Il est convaincu que la production porcine compétitive n’a besoin que d’un « marché libre, d’une classification et d’une grille de paiement neutres, sur le modèle français.» L’entreprise d’abattage Tönnies est bien d’accord, et veut se baser sur la seule performance dans ses liens avec les éleveurs. En revanche, Helfried Giesen, le directeur de Westfleisch, et Lassen, le vice-président de Danish Crown ont plaidé pour « la voie royale de l’intégration, seule garante d’une commercialisation efficace.» Qui a raison ? Peut-être Tillmann, de Bestmeat-Moksel, qui pense que la production contractuelle est une « question de conviction», à laquelle chacun donnera sa réponse. Tous ces plaidoyers ont été vains. ISN continuera à déconseiller à ses adhérents tout contrat unilatéral. « Nous ne voulons pas de la situation danoise ! Les jeunes producteurs avec des diplômes de techniciens et d’ingénieurs ne deviendront pas des automates de l’affouragement. Les paysans en ont vu d’autres, et personne ne les a jamais mis à genoux » a conclu sous les vivats Meyer zu Holte.