Foncier agricole : « Nous devons tous être dans un objectif de transmission et pas de cession » selon le président des Safer
Renouvellement des générations agricoles, agrivoltaïsme, application de la loi Sempastous, ZAN : à la veille de la tenue de son 58e congrès à Versailles, Emmanuel Hyest, président de la fédération nationale des Safer (FNSafer) répond aux questions de Reussir.fr.
Renouvellement des générations agricoles, agrivoltaïsme, application de la loi Sempastous, ZAN : à la veille de la tenue de son 58e congrès à Versailles, Emmanuel Hyest, président de la fédération nationale des Safer (FNSafer) répond aux questions de Reussir.fr.
Réussir : Le renouvellement des générations fait partie des thèmes abordés lors de votre 58e congrès nationale ce jeudi 28 novembre à Versailles. Quel faut-il faire de plus selon vous et comment les Safer pourraient agir mieux ou différemment pour permettre aux jeunes de s’installer plus facilement ?
Emmanuel Hyest : Rappelons que l’installation des jeunes est notre priorité depuis des années. Nous accompagnons tous les ans 1500 jeunes notamment hors cadre familial à s’installer. Sans la Safer ce ne serait pas possible. Mais pour faire plus, je pense qu’il faut une meilleure coordination avec tous les acteurs de l’installation. On peut mettre toutes les capacités dont les Safer disposent, si elles ne découvrent des transmissions au dernier moment c’est beaucoup plus difficile d’encourager la transmission.
Il y a des structures dans la transmission de sociétés agricoles dont la mission est plus la cession que l’installation de jeunes
Si ensemble, au niveau des politiques publiques nationales, régionales et des professionnels agricoles nous considérons le renouvellement des générations comme la priorité, il faut que l’ensemble des structures qui accompagnent les cédants soient dans un objectif de transmission et pas de cession. Cela passe plus par le dialogue que par des mesures réglementaires et par une volonté réaffirmée de tous y compris de ceux qui ne le font pas actuellement. Il y a des structures dans la transmission de sociétés agricoles dont la mission est plus dans la cession que l’installation de jeunes. La loi Sempastous participe au mouvement vers la transmission mais ce serait encore mieux si on était dans l’anticipation plutôt que dans la compensation.
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Réussir : Que demandez-vous pour que les transmissions des exploitations agricoles soient mieux anticipées ?
Emmanuel Hyest : Il faut que l’intérêt général l’emporte sur l’intérêt particulier. Nous avons renouvelé un partenariat avec les Chambres d’agriculture qui fonctionne bien et vise à fluidifier l’échange d’informations entre les techniciens des Chambres et les Safer. Nous travaillons aussi par exemple avec les coopératives qui ont besoin d’hommes pour continuer à apporter de la production.
La clé de la réussite pour la transmission c'est l'anticipation
Les dossiers d’installation sont plus complexes aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans, par les prix plus élevés des exploitations, les normes et le financement plus compliqués. La clé de la réussite pour la transmission c’est l’anticipation. Le plus tôt on peut s’impliquer mieux c’est, avec la mise en œuvre de dispositifs juridiques et fiscaux.
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Réussir : N’y aurait-il pas des mesures législatives à prendre pour favoriser l’installation de jeunes agriculteurs ?
Emmanuel Hyest : Avec les propriétaires de terres agricoles nous avons travaillé sur des propositions d’aménagements fiscaux via des exonérations sur les revenus fonciers pour les propriétaires qui louent à de jeunes agriculteurs. Cela pourrait passer par la loi de finances. Mais vu le contexte financier actuel nous n’y croyons pas trop pour 2025.
Pour l’heure mieux vaut travailler sur la conjonction de l’ensemble des intervenants.
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Reussir : Un sujet non inscrit à l’ordre du jour de votre congrès est celui de l’agrivoltaïsme. Les Safer sont parfois prises à partie dans le développement de l’agrivoltaïsme, je pense à la Corrèze notamment, quels garde-fous manque-t-il aujourd’hui pour éviter que ces nouvelles activités fassent pression sur le foncier ?
Emmanuel Hyest : Si l’on met en comparaison le revenu de l’énergie avec le revenu agricole on sait qui gagne et donc c’est la fin de l’activité agricole. Je suis d’abord agriculteur et je sais que le problème du revenu agricole ne sera pas réglé par celui de l’énergie.
Aujourd’hui on voit que des friches commencent à valoir beaucoup plus cher que des terres agricoles
On doit sécuriser la production agricole, ce que permet le cadre juridique. Mais aujourd’hui on voit que des friches commencent à valoir beaucoup plus cher que des terres agricoles c’est un vrai enjeu. Attention, la régulation de la terre en France est un de ses derniers atouts compétitifs !
Réussir : Manque-t-il des garde-fous pour éviter cette pression foncière ?
Emmanuel Hyest : Je pense qu’aujourd’hui la loi et les CDpenaf apportent suffisamment d’éléments. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne fera pas d’agrivoltaïsme dans certains secteurs mais attention à l’agriculture alibi, comme la mise en place de moutons sous des panneaux dans une exploitation qui n’élevait pas de moutons avant.
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Réussir : Comment expliquez-vous que des Safer soient prises à partie dans des querelles autour de l’agrivoltaïsme comme en Corrèze.
En Corrèze, il y a des projets collectifs et la Safer accompagne. Il n’y a aucune activité humaine qui mette tout le monde d’accord, ça n’existe pas. Nous assumons qu’il y ait des mécontents. Le développement se fera aussi de manière différente selon les régions. Il sera plus facile de développer l’agrivoltaïsme dans le Sud que dans le Nord car cela se fera plus naturellement au bénéfice de l’agriculture. C’est logique.
Réussir : Autre sujet : l’évolution des parts sociales. Suite à la loi Sempastous, vous avez désormais un peu plus de recul que lors de votre premier bilan en mai, que constatez-vous ?
Emmanuel Hyest : On a globalement un nombre de dossiers conforme à ce que l’on attendait. En revanche le nombre de transmissions sous forme de parts de société se trouve en dessous de ce que l’on avait projeté avant la loi Sempastous. Cela nous interroge.
Le nombre de transmissions sous forme de parts sociales est en dessous de nos projections
Nous avons aussi plus de dossiers en déclarations et moins en autorisations par rapport aux projections. Et on n’est pas capables de dire pourquoi.
Par ailleurs, cette loi Sempastous a déjà permis de mettre des terres à disposition de jeunes dans le cadre des compensations. On observe aussi que des gens viennent voir la Safer pour des opérations à l’amiable.
Réussir : Cette loi vous permet d’avoir une nouvelle vision des fermes françaises. Qu’est-ce que cela révèle par rapport aux chiffres donnés sur l’exploitation agricole moyenne française ?
Emmanuel Hyest : On connaît maintenant les bénéficiaires réels des sociétés. Ce n’est pas tant les chiffres moyens des exploitations qui vont évoluer avec ces données que les écart-types sur les surfaces par exemple.
En Normandie nous trouvons 20% d’agriculteurs en moins que le recensement agricole
On n’a pas encore les éléments sur l’ensemble du territoire français mais par exemple en Normandie nous trouvons un écart de 20% entre le nombre d’exploitations agricoles décelées par le recensement agricole et la vérité de nos chiffres. Nous trouvons 20% d’agriculteurs en moins. Ce n’est pas une surprise pour la Safer nous connaissions ces chiffres de manière plus ou moins précise.
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Réussir : Quels sont les autres messages que vous souhaitez faire passer lors de votre congrès ?
Emmanuel Hyest : Nous allons reposer la nécessité de protéger les terres agricoles. Le zéro artificialisation nette (ZAN) est fait pour que l’on imagine un nouveau modèle de développement urbain y compris dans les zones rurales. Il faut arrêter l’étalement urbain, c’est irresponsable.
Il faut arrêté l’étalement urbain, c’est irresponsable
Réussir : Les déclarations de Michel Barnier lors de son discours de politique générale sur le sujet vous inquiètent-elles ?
Emmanuel Hyest : Cela m’interpelle fortement. Je pense que ce n’est pas le Premier ministre qui remettra en cause le ZAN par rapport à l’enjeu climatique et alimentaire mais malheureusement il doit composer avec un environnement politique compliqué. Je rappellerai aux congrès les chiffres têtus de la disparition des terres agricoles. Cela va mieux mais il y a encore des terres qui disparaissent, sans parler de la consommation masquée.
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