Compenser une carence azotée sans intrants
De faibles teneurs en azote assimilable dans les moûts peuvent provoquer des ralentissements, voire des arrêts de fermentation alcoolique. Que faire pour empêcher cela lorsque l’on vinifie sans intrants ? Pierre Sanchez, œnologue associé chez Duo Œnologie, en Alsace, livre ses conseils.
De faibles teneurs en azote assimilable dans les moûts peuvent provoquer des ralentissements, voire des arrêts de fermentation alcoolique. Que faire pour empêcher cela lorsque l’on vinifie sans intrants ? Pierre Sanchez, œnologue associé chez Duo Œnologie, en Alsace, livre ses conseils.
En dessous de quelle teneur en azote assimilable peut-on considérer que le moût est carencé ?
Pierre Sanchez : Il faut se détacher de la simple valeur de l’azote assimilable car ce n’est pas le seul facteur limitant de la fermentation alcoolique (FA). De toute façon, avec le changement climatique et les sécheresses de plus en plus fréquentes, la tendance est plutôt à un appauvrissement des moûts en azote. Donc autant prendre tout de suite de la distance avec cette notion.
Il peut y avoir de l’azote sans pour autant qu’il soit bien utilisé par les levures. Les acides gras, par exemple, font partie des éléments qui exercent une fonction très importante dans le métabolisme des levures, et qui sont donc un paramètre à prendre en compte. Ici en Alsace, nous avons régulièrement des moûts de riesling qui contiennent entre 30 et 50 mg/l d’azote assimilable sans pour autant que cela pose problème. Tant que le vivant est stimulé, en général ça se passe bien. Il suffit d’anticiper et de ne pas attendre un ralentissement pour agir.
Quelles actions préventives recommandez-vous pour éviter ces ralentissements ?
P. S. : Il faut à tout prix éviter les temps de latence en début de FA, car cela favorise la dynamique bactérienne par la suite. Je recommande donc en début de vendanges de réaliser si besoin des pieds de cuve pour que les premières FA soient tonitruantes. Pour les blancs, il faut également travailler sur les cycles de pressurage et chercher l’extraction des composés de la pellicule, qui stimulent les levures. Mieux vaut donc opter pour un pressurage long et dynamique plutôt qu’un programme de type effervescent. Ou alors carrément partir sur des vins blancs de macération, ou vins orange.
L’oxygène est également un élément central. Avant ou en tout début de FA, il ne faut pas hésiter à aérer les moûts. Et pas simplement par un remontage à l’air mais par un délestage complet. Côté clarification, avant on recommandait des débourbages serrés pour enlever les résidus de pesticides. Mais cela est de moins en moins d’actualité avec les changements de pratiques. Il peut donc être intéressant d’alléger le débourbage, notamment dans le cas d’élevages longs car les bourbes vont entraîner un peu de réduction, ce qui va protéger le vin.
Enfin, il faut faire très attention aux températures de fermentation. Mieux vaut laisser les cuves chauffer un peu, de sorte que les FA se déroulent sans frein. Toutefois, ces recommandations sont plutôt destinées aux vins de garde car ces températures ne favorisent pas la production d’arômes de type fermentaire. Et dans tous les cas, il faut impérativement éviter les chocs thermiques.
Que peut-on faire pour agir en curatif si l’on constate un ralentissement ?
P. S. : Comme évoqué précédemment, les pellicules de raisins contiennent des éléments importants pour une bonne cinétique fermentaire. On peut donc ajouter entre 500 g et 2 kg/hl de marc dans le moût en fermentation. Mais attention, à 2 kg/hl, ça commence à marquer le vin.
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Multiplier les espèces utilisées en engrais verts
L’azote assimilable dans les moûts est en grande partie liée à ce que la vigne a pu puiser dans les sols. « La mobilité de l’azote est intéressante, c’est pourquoi je recommande de multiplier les espèces végétales utilisées en engrais verts », expose Pierre Sanchez, associé au sein du cabinet alsacien Duo Œnologie. L’idéal est de semer des légumineuses comme le pois ou la luzerne mélangées à des « plantes support » comme le seigle ou la moutarde. Le couvert doit être détruit au plus tard à la fin du printemps. « La quantité d’azote disponible pour la plante à la véraison est cruciale », indique l’œnologue. Un apport de compost frais et donc microbiologiquement actif à cette période-là est vivement recommandé. Les préparations à base de tisane ou de purin d’ortie et les extraits fermentés peuvent également aider la vigne à puiser l’azote dans le sol. « Dans tous les cas, ceux qui travaillent en biodynamie ou en agroécologie n’ont aucun risque d’avoir des excès d’azote », rassure Pierre Sanchez.
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