Viande bovine : des assiettes à défendre en restauration collective
L’État et les collectivités ne ménagent pas leurs efforts pour favoriser la viande bovine française, de qualité et locale dans la restauration collective. Mais les outils et surtout les moyens ne sont pas toujours à la hauteur.
L’État et les collectivités ne ménagent pas leurs efforts pour favoriser la viande bovine française, de qualité et locale dans la restauration collective. Mais les outils et surtout les moyens ne sont pas toujours à la hauteur.
C’était l’un des engagements de la loi Egalim, de ceux qui promettaient à la production française de revenir en force dans les assiettes de nos concitoyens. Au 1er janvier 2022, les menus servis par les restaurants collectifs sous gestion publique devaient proposer au moins 50 % de produits durables et de qualité (dont 20 % de produits bio). Des objectifs étendus à la restauration collective privée depuis le 1er janvier dernier et renforcés par la récente loi Climat et résilience, qui fixe comme impératif 60 % du budget consacré aux produits carnés et poissons conformes aux exigences d’Egalim pour toutes les restaurations collectives et même 100 % pour les restaurants collectifs d’État.
Las, plus de deux ans après, « le compte n’y est pas », ont dû reconnaître le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, et la ministre déléguée, Agnès Pannier-Runacher, en ouverture d’une « Conférence des solutions de la restauration collective » organisée le 2 avril dernier. L’état des lieux lui-même est difficile à établir, puisqu’une petite minorité seulement des 81 000 restaurants collectifs communique les éléments relatifs à leurs achats sur la plateforme numérique « ma cantine » comme ils sont tenus de le faire.
« L’État lui-même ne respecte pas ses ambitions pour les établissements dont il a la charge ». Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture
L’analyse des données fournies par un peu plus de 5 000 restaurants en 2021 fait apparaître un taux global d’achats Egalim estimé entre 27 % et 30 % de produits durables et de qualité dont 13 % de bio. « L’État lui-même ne respecte pas ses ambitions pour les établissements dont il a la charge », a admis Marc Fesneau. Au total, seuls 4,7 % des déclarants atteignent les objectifs Egalim ! Les achats de viande ont plutôt tendance à faire baisser la moyenne. La part des achats durables et de qualité (y compris bio) de cette famille de produits plafonne en effet à 21,5 %, pour un total d’« origine France » de seulement 42 %.
Comment justifier un tel décalage entre les objectifs affichés et les résultats obtenus ? Une première explication réside dans les contraintes propres à la commande publique, notamment l’impossibilité pour l’acheteur de faire référence au lieu de production (l’élevage) ou au lieu de l’implantation du fournisseur, ce qui contraint souvent les administrations à des artifices pour privilégier les fournisseurs de proximité. « Un groupe de travail « Économie » constitué au sein du Conseil national de la restauration collective (CNRC) travaille actuellement sur des dispositions qui permettraient de s’ouvrir plus largement aux produits issus des filières françaises », a indiqué Stéphane Morin, adjoint à la direction des achats de l’État lors de la « Conférence des solutions ». L’une des pistes consisterait à identifier « des caractéristiques différenciantes de la production française qui puissent être intégrées dans les cahiers des charges des acheteurs dans le respect du code de la commande publique », a poursuivi Stéphane Morin. La loi Climat évoque les « produits performants en matière de protection de l’environnement et de développement des approvisionnements directs », des notions qu’il reste à expliciter. Pour aider les acheteurs à s’y retrouver, le ministère de l’Agriculture a mis à disposition de nombreux outils et guides sur la plateforme « ma cantine », tandis que l’interprofession du bétail et des viandes (Interbev) édite des fiches techniques « pour faciliter l’achat des viandes en restauration collective ».
Des exigences techniques parfois complexes
Inversement, il est parfois difficile pour les éleveurs et leurs filières de répondre aux exigences techniques de la restauration collective en matière de catégorie, de volume, de piéçage, de grammage, etc. Un décalage qui a tendance à favoriser des opérateurs commerciaux privilégiant la qualité du service sur l’origine. « Pour répondre à ce type de marché, il est essentiel de s’organiser en amont » témoigne Thierry Gibilaro, directeur d’Interbev Île-de-France, qui a œuvré à plusieurs expérimentations de mise à disposition de viande régionale de jeunes bovins dans les lycées franciliens. « À l’avenir, nous comptons nous appuyer sur la nouvelle OP Elvea Île-de-France pour organiser une planification des abattages en fonction des besoins. » Thierry Gibilaro encourage également les lycées de sa région à regrouper leurs achats, via le Conseil régional ou Restau’co, « de façon à valoriser des bêtes entières ».
Plusieurs modèles de mutualisation des moyens ont également été présentés. L’association des Coordonnateurs de groupements d’achat des établissements publics locaux d’enseignement de Nouvelle-Aquitaine (Acena), assure ainsi les achats pour 620 collèges, lycées et mairies, soit plus de 53 millions d’euros d’achats. « Cela permet de créer des débouchés sécurisés, avec des marchés publics adaptés au territoire », a témoigné le gestionnaire de l’association Thierry Pousson.
Il reste que le choix du mieux-disant demeure largement dépendant des moyens dont disposent les gestionnaires de cantine. Le budget moyen dédié aux 10 millions de repas servis chaque jour en restauration collective s’élève à 2 euros, rappelle Sylvie Dauriat, avec des secteurs de la santé et du médico-social, souvent situés sous cette barre. « Si l’Économat des Armées dépasse largement les objectifs Egalim, c’est parce que le coût du repas a été porté entre 4 euros et 4,50 euros », soupire-t-on, en off au ministère de l’Agriculture. « Pour bien faire, il faudrait doubler le prix des repas. »
Mobiliser les acteurs locaux en région
« Le nerf de la guerre en matière d’approvisionnement de la restauration collective, c’est de fonctionner en réseau », assure Franck Bellaca, le directeur d’Interbev Grand Est. Le comité régional, épaulé par l’interprofession nationale, a inauguré en début d’année une série de tables rondes dédiées à l’approvisionnement durable et de qualité en restauration collective qui se dérouleront dans cinq grandes régions sur le même thème cette année. Une trentaine d’acheteurs, distributeurs et professionnels de la restauration se sont réunis – avec les interventions du groupement des lycées de Moselle, des achats alimentaires chez Elior, du CHU de Nancy mais aussi du site de Etlin (groupe France Frais) – pour évoquer leurs besoins respectifs. « Il est très important de voir comment faire correspondre les disponibilités avec les besoins au niveau régional », témoigne Franck Bellaca, qui se félicite de pouvoir s’appuyer sur les acquis de la marque Viandes du terroir lorrain et d’une région autosuffisante en matière de viande bovine.