Vigne de Cocagne invente une exploitation viticole solidaire
Apporter à des personnes en réinsertion une solide formation vitivinicole en s’appuyant sur une exploitation économiquement viable, telle est l’expérience innovante menée près de Montpellier depuis décembre 2017. Le projet vise aussi à apporter une réponse aux problèmes de main-d’œuvre de la fiière.
Apporter à des personnes en réinsertion une solide formation vitivinicole en s’appuyant sur une exploitation économiquement viable, telle est l’expérience innovante menée près de Montpellier depuis décembre 2017. Le projet vise aussi à apporter une réponse aux problèmes de main-d’œuvre de la fiière.
Décliner le principe des exploitations maraîchères Jardin de Cocagne (1) à l’activité vitivinicole est le projet lancé avec enthousiasme et détermination par Pauline Chatin en 2017. Elle a eu l’idée de Vigne de Cocagne alors qu’elle achevait son BTS Viti-Œno en 2016, dans une exploitation ardéchoise confrontée comme tant d’autres à des problèmes de main-d’œuvre. Toulousaine d’origine, cette ex-conseillère en développement durable à Paris, a cherché le lieu pour son projet en Languedoc. La densité de vignes s’y conjugue avec de forts besoins de main-d’œuvre et un taux de chômage élevé.
Aller de la culture de la vigne à la vente en bouteille
Trouver une exploitation qui aille jusqu’au produit final était un autre critère. « Assurer une formation polyvalente ouvre un maximum de portes aux personnes formées », explique Pauline Chatin. Cela justifie aussi d’employer les salariés toute l’année.
Ses recherches l’ont mené au pied de la Gardiole, à Fabrègues, à 15 km de Montpellier, au domaine de Mirabeau. Cette vaste exploitation de 200 ha, principalement constituée de garrigues, compte 7 ha de vignes. La municipalité de Fabrègues l’a récupérée en 2014, alors que le lieu avait failli devenir un site d’enfouissement de déchets de l’agglomération de Montpellier. Vigne de Cocagne a trouvé sa place dans un projet plus vaste baptisé AgroEcoPôle, développé avec le conservatoire d’espaces naturels du Languedoc-Roussillon. La municipalité, le département, la région ainsi que des fondations privées ont aidé à amorcer le projet. Les vignes sont exploitées en fermage.
Un statut coopératif associant des partenaires du projet
Pauline donne vie à Vigne de Cocagne en tandem avec Jean-Charles Thibault, un vigneron bio qui cherchait une façon nouvelle de transmettre son savoir-faire acquis dans son propre domaine puis chez d’autres vignerons. Pauline s’occupe de la coordination générale du projet, de la gestion, de la vinification et de la vente. Jean-Charles, est le chef de culture et le responsable de la formation.
À terme, Vigne de Cocagne vise un équilibre financier construit à 80 % sur la vente du vin et sur d’autres sources à définir comme des prestations chez d’autres vignerons ou de l’œnotourisme, et à 20 % par l’aide aux postes d’insertion. Aujourd’hui, elle fonctionne avec deux permanents et trois salariés en insertion. Mais les plantations qui sont en cours ou programmées pour atteindre 12 ha permettront d’accompagner 5 salariés en insertion.
Assurer une formation qualitative et opérationnelle
Aux classiques objectifs qualitatifs et économiques, Vigne de Cocagne ajoute l’apprentissage du métier. Ainsi, la rénovation de la cave a été jugée prioritaire pour la qualité des produits finaux mais aussi pour motiver et former les salariés. Planter des cépages blancs pour ajouter un blanc à la gamme est conçu comme un atout commercial mais aussi comme une expérience formatrice de plus. Idem pour le choix de planter six cépages blancs différents et de varier les modes de taille : guyot, cordon et gobelet. Le domaine va aussi expérimenter l’agroforesterie avec des plantations d’arbres dans et au bord des parcelles.
Les contrats d’insertion sont basés sur 32 h par semaine rémunérés au Smic. Tous les quinze jours une permanence sur le temps de travail est prévue avec Fred, l’accompagnateur socio-professionnel. Il est directeur et salarié d’un groupement d’employeurs sociaux implanté à Montpellier. Il aide aussi à définir un projet professionnel pour préparer l’avenir. Les contrats ne peuvent dépasser deux ans au total. Une durée qui peut s’avérer trop courte pour que certains puissent surmonter des obstacles comme passer un permis ou résoudre des problèmes de santé. « On atteint certaines limites, admet Pauline. On n’aura jamais 100 % de réussite mais il faut prendre en compte le chemin parcouru par chacun, même s’il n’a pas mené à un emploi viticole. » Parmi les cinq personnes passées par Vigne de Cocagne, Céline et Alexandre, actuellement en poste, semblent avoir trouvé leur voie.
Générer et entretenir l’envie du métier
« Nous sommes encore en phase expérimentale », prévient Pauline. Mais elle a déjà pu vérifier que « la polyvalence crée une envie car le métier de la vigne, c’est dur pour des personnes qui ne viennent pas du milieu agricole. Aller jusqu’au produit fini créé de la fierté ». D’où l’idée d’inscrire le nom des personnes ayant travaillé pour la réalisation de chaque cuvée sur l’étiquette.
La polyvalence a conquis Céline qui achèvera son parcours d’ici juillet. Très intéressée par le travail de la cave, « je ne pourrais pas rester tout le temps enfermée », dit-elle. Elle espère pouvoir exercer cette complémentarité au sein d’un domaine viticole, dans sa région d’origine, en Bourgogne-Franche-Comté.
Autre constat, l’importance d’insérer Vigne de Cocagne dans le tissu agricole local. « Nous sommes une structure protégée et bienveillante mais nos salariés doivent se confronter à autre chose : il est important d’être en contact avec diverses exploitations pour visiter ou pour de l’entraide. Ça leur apporte d’autres visions et ça permet de se construire un réseau », constate Pauline. Faire jouer la dynamique collective entre salariés est aussi un levier. « Céline est en mesure de transmettre à Alexandre qui est là depuis mars. Il deviendra en mesure de transmettre lorsqu’elle partira. »
Une perpétuelle recherche d’équilibre
Un recrutement est lancé pour le 3e poste vacant depuis quelques semaines. Pauline ne croule pas sous les demandes. Elle consacre du temps à aller présenter le domaine pour « donner envie » et combler à son échelle la « méconnaissance du métier ». Le projet requiert une recherche permanente d’équilibre « entre la tension qu’implique la gestion d’une exploitation agricole et la nécessité de dégager le temps pour faire ce second métier de l’insertion ». Tout en sachant qu’il n’y a aucune recette magique, Pauline mène aussi l’expérience pour qu’elle soit reproductible. Et pour qu’à terme, Vigne de Cocagne soit reconnu pour la qualité de sa formation et puisse essaimer comme l’a fait le réseau Cocagne, qui regroupe actuellement 102 fermes.
La vente en direct, cet autre défi
Développer la vente directe est une priorité économique et aussi un pilier de l’approche du réseau Cocagne. Le Mas a expérimenté l’e-commerce dès le premier millésime avec quelque 3 000 bouteilles du millésime 2018 vendues en primeur dès juin 2018 sur le site Bluebees. L’opération est reconduite pour le millésime 2019. Une journée portes ouvertes a été organisée. Le domaine adhère aux Vignerons indépendants et participera aux salons de Lyon et de Paris au printemps.
Pauline Chatin explique le projet lorsqu’elle vend les vins. Mais pour elle, ça ne doit pas être l’argument de vente. Sur l’étiquette, l’équipe a inscrit Vin joyeux et solidaire produit au pied de la Gardiole par l’équipe Vigne de Cocagne, une phrase voulue « simple, valorisante et positive ». Les bouteilles sont aussi distribuées localement en épiceries, cavistes ou restaurants. Biocoop a référencé la cuvée Rouge de Cocagne et prévu de sélectionner le rosé pour la foire aux vins de printemps.
La commercialisation prend toutefois beaucoup de temps à Pauline qui envisage de se faire aider.
aller plus loin
Le réseau Cocagne, une initiative trentenaire
Le premier Jardin de Cocagne est né en 1991 puis s’est développé en réseau associatif autour de quatre grands principes : lutter contre les exclusions et la précarité favorisant un retour à l’emploi durable au moyen d’une activité valorisante, produire des légumes en bio, commercialiser la production en priorité en direct auprès d’adhérents-consommateurs, intégrer le secteur professionnel agricole local.
repères
Domaine de Mirabeau
Surface de vignes 7 ha en production + 5 ha juste plantés ou en cours de plantation.
Gamme Rouge de Cocagne, Rosé de Cocagne (8 euros), La Gardiole.
Cépages merlot, cinsault, grenaches gris et blanc, vermentino, terret, bourboulenc.
Production 20 000 à 25 000 bouteilles ; En 2019 : 1/4 de rosé, 3/4 de rouge.
Vente directe 20 à 25 %