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Trésorerie : anticipation et proactivité pour déjouer les écueils

Comment se prémunir de problèmes de trésorerie et réagir lorsqu’ils surviennent ? Voici les recommandations que nous avons recueillies auprès de conseillers en gestion et d’experts-comptables.

Exploitant agricole recu par son conseiller financier au crédit agricole lors de la présentation de son bilan financier d'exploitation. Agriculteur et banquier. Dossier de ...
Un suivi comptable rigoureux permet de détecter en amont les périodes où la trésorerie sera dans le rouge.
© J.-C. Gutner

1. Garder un œil sur des indicateurs comptables

Afin d’éviter de se retrouver au pied du mur, avec de gros problèmes de trésorerie, le suivi de plusieurs indicateurs comptables est de rigueur. « Il est important de bien maîtriser son cycle de production », indique Nadia El Mahraoui, conseillère en gestion d’entreprise au CERFrance Midi-Méditerranée. Pour ce faire, il faut mettre en place un plan de trésorerie prévisionnel sur l’année, avec les dates des différents encaissements prévus et celles des décaissements. « Il faut ensuite mettre à jour ce tableau régulièrement, avec les encaissements et décaissements réels », détaille la conseillère. Cela permet de visualiser si un décalage risque de se produire, de savoir combien il va manquer et à quelle échéance. « Il y a plusieurs signaux d’alarme à ce niveau, ajoute la conseillère. Lorsqu’on s’aperçoit que les décaissements sont supérieurs aux encaissements, on sait qu’on va aller dans le rouge. Et lorsqu’on a investi en autofinancement au lieu de le faire en emprunts long terme, on sait que cela risque de coincer à un moment donné. » Dans ce dernier cas de figure, il sera judicieux de se tourner vers sa banque pour obtenir un « rachat » de ce financement inadapté.

Il est ensuite recommandé de suivre l'évolution du fonds de roulement. Ce dernier se calcule en établissant la différence entre les capitaux permanents (capitaux propres et emprunts à long et moyen terme) et les immobilisations nettes. « Ce sont les ressources à la disposition de l’entreprise de manière stable », décrypte Nadia El Mahraoui. Ce fonds de roulement se présente en nombre de jours de charge. « Globalement, en viticulture, il faut un an minimum, estime Michel Lagahe, directeur du pôle conseil au CERFrance Gascogne occitane. Dans les exploitations viticoles gersoises, on tourne en moyenne à 460 jours de charge. » Lorsque le nombre de jours diminue, cela signifie que des difficultés de trésorerie sont à prévoir et qu’il va falloir trouver une solution.

Un autre indicateur à surveiller est celui de la trésorerie nette globale. Elle représente les besoins en financement de l’entreprise et se calcule par la différence entre le fonds de roulement et le besoin en fonds de roulement, ou BFR (créances clients + stocks - dettes fournisseurs) « C’est un volant qui doit être positif, poursuit Michel Lagahe. C’est le premier indicateur, suite à un gel, une crise, ou autre, qui chute. Quand il passe dans le négatif, cela signifie que l’on va vers des difficultés de gestion au quotidien, même si cela ne met pas forcément en cause la pérennité de l’exploitation. » À titre d’exemple, un domaine qui disposerait de 300 000 euros de stocks mais n’aurait pas 20 000 euros sur son compte pour payer les salaires à la fin du mois se retrouverait dans ce cas de figure.

Enfin, le critère de cessation de paiements est primordial. « Il faut faire très attention car si l’on est en cessation de paiements, cela peut avoir des répercussions judiciaires importantes », met en garde Michel Lagahe. Pour veiller à ne pas tomber dans cette situation, l’expert-comptable doit étudier la trésorerie nette globale lors du bilan comptable.

2. Agir sur le BFR dès que l’un des indicateurs vacille

L’anticipation est le maître mot d’une bonne gestion. Dès que l’un des signaux vire au rouge, et avant d’être en situation de trésorerie négative, il convient de trouver comment consolider financièrement son entreprise. Car « il est beaucoup plus facile d’obtenir des ouvertures de lignes de crédits quand on est en situation de trésorerie positive que si l’on a des traites ou des chèques rejetés », assure Michel Lagahe.

Avant d’aller voir son banquier, Nadia El Mahraoui préconise de travailler sur les trois composants du BFR. Tout d’abord, dans le cas d’une cave particulière, si l’on s’aperçoit que certains clients ne paient pas ou mettent trop de temps à payer, une relance clients s’impose et peut débloquer la situation. De même, en cave coopérative, demander un acompte à sa cave pourra permettre à l’exploitation de passer un cap difficile. « Il est aussi possible de vendre du vin en stock, un terrain ou un matériel inutilisé », énumère Fabien Cabrol-Eyrignoux, expert-comptable chez Cabrol Expertise comptable, à Meyssac, en Corrèze, et viticulteur.

Le second aspect sur lequel jouer est les stocks. Si l’on s’aperçoit que l’on va être un peu court en trésorerie, il peut être intéressant de travailler en flux tendu et de limiter les stocks de phytos, d’engrais, etc. « Une autre stratégie est d’anticiper les difficultés sur ces produits, suggère la conseillère. L’un des viticulteurs que je suis avait anticipé les problèmes de trésorerie de cette année suite au gel 2021 et à l’inflation. Il a donc constitué une partie de son stock pour la campagne 2023 avec des produits achetés fin 2022. »

Intervenir sur les dettes fournisseurs est le dernier point. L’objectif est d’arriver à retarder leur paiement au maximum. « Il faut aller négocier un échéancier ou un étalement de paiement auprès de ses fournisseurs, intime Nadia El Mahraoui. Cela fonctionne souvent bien, ils préfèrent être prévenus en amont et essayer de trouver une solution, que d’être mis au pied du mur. »

Si malgré cela les difficultés persistent, il sera judicieux de se rapprocher de son banquier. Selon la situation, il pourra proposer différentes solutions, comme une facilité de caisse, des escomptes, un découvert autorisé, un affacturage, une cession Dailly, etc. (voir ici). Afin d’obtenir une réponse positive de son banquier, Michel Lagahe préconise de présenter un budget de trésorerie prévisionnel. Pour sa part, Nadia El Mahraoui insiste sur l’importance d’avoir de bons rapports avec son banquier, peu de découvert et un bilan comptable satisfaisant. « Il peut être utile également d’apporter des garanties, ou des cautions », précise-t-elle.

3. Oser demander des aides ou des reports

Lorsque la situation de la trésorerie commence à être vraiment dégradée, il faut à tout prix être proactif. La négociation d’un échelonnement des dettes fiscales et sociales est une voie à explorer prioritairement. Cette démarche est à effectuer auprès du Trésor Public et de la MSA. Cette dernière peut également prendre en charge partiellement les cotisations sociales lorsque la situation est très dégradée (voir sous-papier).

Il est également possible de se faire accompagner via la cellule Réagir de la MSA. Cette dernière propose un audit pris en charge, pour identifier l’origine des difficultés et mettre en place des actions.

Des aides peuvent aussi faciliter la sortie d’une situation tendue. Citons l’étalement ou le non-remboursement des PGE (prêts garantis par l’État), la souscription d’un PGE résilience, la demande de subventions pour les investissements, etc. « Pour ce faire, il est important de mener une veille sur toutes les aides et mesures mises en place dans le secteur », explique Nadia El Mahraoui.

4. Actionner une procédure judiciaire

Si toutes ces mesures ne sont pas suffisantes et que la trésorerie continue à se creuser, des procédures judiciaires amiables existent. Même si elles sont coûteuses, il est préférable d’y avoir recours avant d’être en cessation de paiements et en redressement judiciaire, voire en liquidation. Le mandat ad-hoc et la procédure de conciliation permettent de trouver des solutions avec les fournisseurs. Dans les deux cas, le vigneron dépose une requête auprès du Tribunal de grande instance (TGI).

Selon l’Urssaf, « le mandat ad hoc est une procédure, préventive et confidentielle, de règlement amiable des difficultés ouverte à toute entreprise commerciale, artisanale, agricole ou libérale […] rencontrant des difficultés, sans être, toutefois, en état de cessation des paiements ». Son but est de rétablir la situation de l’entreprise avant qu’elle ne soit en cessation de paiements, via l’envoi d’un mandataire ad-hoc auprès du viticulteur. Il s’agit d’une procédure non limitée dans le temps.

De son côté « la procédure de conciliation est une procédure amiable de prévention des difficultés des entreprises. Elle permet à l’entreprise de poursuivre son activité sans que le chef d’entreprise ne soit dessaisi de ses pouvoirs. Elle a pour objectif d’aboutir à la conclusion d’un accord amiable entre l’entreprise et ses principaux créanciers », stipule le site entreprendre.service-public.fr. Il s’agit d’une procédure confidentielle, limitée dans le temps à quatre voire cinq mois.

Il est aussi possible d’avoir recours à un règlement amiable agricole. Cette procédure est « destinée à prévenir et à régler les difficultés financières des exploitations agricoles dès qu’elles sont prévisibles ou dès leur apparition, notamment par la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers », détaille le Code rural et de la pêche maritime. Pour ce faire, l’exploitant saisit le président du tribunal judiciaire de sa juridiction et demande la désignation d’un conciliateur, qui « a pour mission de favoriser le règlement de la situation financière de l’exploitation agricole par la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers sur des délais de paiement ou des remises de dettes », informe le Code rural.

Sécuriser son exploitation lors des bonnes années

Il est évidemment plus simple de faire face à des problèmes de trésorerie lorsque l’on a pu prendre ses dispositions au préalable. L’un des enjeux de tout chef d’exploitation est donc de consolider sa trésorerie lors des bonnes années. Pour ce faire, différents outils existent.

Pour les exploitants soumis à l’impôt sur les revenus, le premier levier est la constitution d’une épargne de précaution. Cette dernière est notamment encouragée par l’État via la déduction pour épargne de précaution (DEP). Elle permet de mettre de l’argent en réserve les bonnes années, pour le réemployer les années plus difficiles. Dans ce dispositif, il est possible d’épargner jusqu’à 41 400 euros par an, dans la limite de 150 000 euros. Sur ces 41 400 euros, il faut en placer la moitié, soit 20 700 euros, à l’actif du bilan. L’exploitant ne paie ni cotisations sociales, ni impôts sur cette somme.

« Cela sert de garantie et d’amortissement en cas de problème », pointe Michel Lagahe, directeur du pôle conseil au CERFrance Gascogne occitane. Le viticulteur peut en effet réintégrer ces 41 400 euros lorsqu’il le souhaite dans les dix ans, qu’il s’agisse d’une crise sanitaire, d’un aléa climatique, d’un problème ponctuel de trésorerie, ou autre. Lorsque les 20 700 euros de trésorerie sont réintégrés, l’exploitant doit payer des impôts et cotisations sociales. « Mais si c’est pour boucher un déficit, il ne paiera rien dans les faits car il n’aura pas dégagé suffisamment de revenus », rappelle Michel Lagahe.

Autre outil à la disposition des vignerons : l’assurance multirisque climatique. Suite à sa refonte, le taux de prise en charge de l’assurance par les pouvoirs publics est de 70 %, avec une franchise de l’ordre de 20 %. Cette assurance permet d’amortir l’impact des aléas climatiques sans pour autant représenter un coût rédhibitoire pour l’exploitation.

Dernier levier cité par les conseillers, la possibilité de changer de régime fiscal et de troquer l’imposition sur le revenu pour une imposition sur les sociétés. « Dans ce cas de figure, il ne sera plus possible d’actionner la DEP », prévient Michel Lagahe. Mais dans ce régime fiscal, tout le revenu mis en réserve échappe à l’imposition sur le revenu et aux cotisations sociales. Il faut en revanche s’acquitter de l’impôt sur les sociétés dont le taux est de 15 % jusqu’à 42 500 euros de bénéfices et de 25 % au-delà. Ce régime fiscal permet ainsi de renforcer les fonds propres et de disposer d’une capacité financière pour réinvestir dans l’entreprise.

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