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Mystère et bulles de champagne

La matinée technique des œnologues de Champagne avait lieu en parallèle du salon Viteff, le 18 octobre dernier. L’occasion de faire un point sur les projets de recherche autour de l’effervescence des vins, procédé découvert il y a plus de 300 ans mais encore mal connu aujourd’hui.

Conférences et débats ont animé la matinée technique des œnologues de Champagne le 18 octobre 2019, dernier jour de la 15e édition du Viteff, le salon dédié aux vins effervescents. © J. Gravé
Conférences et débats ont animé la matinée technique des œnologues de Champagne le 18 octobre 2019, dernier jour de la 15e édition du Viteff, le salon dédié aux vins effervescents.
© J. Gravé

Gérard Liger-Belair, professeur à l’université de Reims Champagne-Ardenne, se passionne pour la bulle depuis près de vingt ans. Invité par le syndicat, il a orchestré la matinée technique des œnologues de Champagne. Autour du thème « L’effervescence dans tous les sens », le chercheur a planté le décor en dosant sérieux et humour. « Le dioxyde de carbone a mauvaise presse en ce moment ", a-t-il introduit. Le plus connu des gaz à effet de serre a vu sa concentration atmosphérique exploser depuis le début de l’ère industrielle. Coproduit de la fermentation alcoolique, la question de l’impact environnemental de la vinification mérite d’être posée. Le chercheur a fait ses calculs. « Il y a environ 280 millions d’hectolitres de vin qui sont produits chaque année à travers le monde, ce qui représente 1,6 km3 de CO2 fermentaire par an », a exposé Gérard Liger-Belair. Selon lui, pour augmenter la teneur en CO2 dans l’atmosphère de 1 ppm, il faut 5 000 km3 de CO2. « Donc si la production mondiale reste telle quelle, nous aurons atteint cette augmentation dans… 3 125 ans », a-t-il révélé. Pour le chercheur, nous pouvons donc « continuer à faire du vin sans culpabiliser ». Une vision qui, rappelons-le, ne tient pas compte du bilan carbone des différentes étapes de la production d’un vin, dont la culture de la vigne ou l’export.

Vers une compréhension des mécanismes qui se déroulent à toute petite échelle

Le développement des technologies de pointe et la sophistication des outils d’analyse permettent à la filière de franchir un cap dans l’observation des phénomènes de création et de dispersion du CO2. « On ne peut pas comprendre la bulle avec des outils qui réalisent une mesure par minute », a contextualisé Gérard Liger-Belair. Ce dernier a fait appel à l’expertise de Thomas Séon, chercheur en physique au CNRS, pour expliquer les mécanismes d’éclatement des bulles et la formation de jets de microgouttelettes. Un phénomène que le physicien a d’abord étudié dans les océans, avant d’en proposer une application à l’échelle du champagne. « Les composés aromatiques du champagne sont des molécules tensio-actives qui se placent préférentiellement à l’interface gaz-liquide. Donc si ces molécules se trouvent au fond d’une coupe de champagne, elles vont se précipiter sur les bulles de CO2 pour remonter à la surface », a dévoilé Thomas Séon. Les travaux du chercheur ont donc pour finalité d’expliquer les mécanismes de diffusion des arômes après éclatement de la bulle. Grâce à l’imagerie numérique, Thomas Séon a mis en évidence l’influence de la viscosité du vin sur la formation du jet de microgouttelettes contenant les précieux arômes. « Plus la viscosité est importante, plus il y a de gouttelettes de petite taille, et plus leur vitesse d’expulsion est grande. Ce qui réduit la masse de liquide évaporée », a indiqué le physicien. Pour faire simple, ses travaux suggèrent que plus le dosage est élevé, moins la diffusion des arômes est optimisée. Mais le chercheur a toutefois formulé quelques réserves : « Les techniques d’analyse ne permettent d’étudier que la première goutte, pour une vraie application, il faut regarder la bulle dans son environnement, et tenir compte des gouttelettes présentes dans le voisinage. »

De son côté, Raphaël Vallon, maître de conférences à l’université de Reims, planche sur le développement d’une méthode optique basée sur la spectrométrie laser infrarouge pour détecter et observer la dispersion du gaz carbonique dans l’espace de tête du verre de champagne. « Aujourd’hui, nous disposons seulement de mesures indirectes qui sont influencées par de trop nombreux paramètres », a-t-il signalé. Pour le moment, ses travaux ont mis en évidence que le service pouvait occasionner jusqu’à 40 % de pertes de CO2. Les parallèles entre les travaux de Raphaël Vallon et Thomas Séon s’annoncent prometteurs.

S’inspirer des connaissances des brasseurs sur le gerbage

Le gerbage, aussi appelé giclage, entraîne la production d’un important volume de mousse, ce qui finit par faire déborder le vin lors de l’ouverture des bouteilles. Un phénomène qui cause autant de tort aux producteurs qu’aux consommateurs. Les brasseurs sont confrontés au même problème, ainsi que l’a expliqué Sylvie Deckers, responsable production et projets de recherche à la brasserie d’Orval, en Belgique. Elle a étudié les facteurs expliquant l’apparition du phénomène, et a identifié deux principales raisons. « On distingue le gerbage primaire, qui provient de contaminations par des moisissures, du gerbage secondaire, qui est lié au process d’élaboration », a-t-elle développé. Or aujourd’hui, dans le champagne, seul les mécanismes liés au process sont connus. Pourtant, à en croire les expériences de Sylvie Deckers, il est possible que les contaminations microbiennes provoquent bel et bien d’un gerbage primaire dans les vins. « Les champignons comme Aspergillus ou Pénicillium sont présents sur l’orge mais aussi sur la vigne, a insisté la brasseuse. Ils produisent des molécules appelées hydrophobines qui migrent au niveau de l’interface liquide/gaz et forment une structure élastique qui modifie à la fois la polarité et la tension de surface. » Ce « patch hydrophobe » provoque la formation de bulles de CO2 stabilisées dans l’espace de tête qui, sous l’effet d’un changement de pression à l’ouverture de la bouteille, se transforment en mousse qui déborde. Une piste à suivre !

voir plus loin

Une appli pour maîtriser l’effervescence

Le fabricant de capsules italien Pe.di a développé une application nommée Effervescence predictor. « Pour différencier nos capsules, nous parlons des pertes de CO2 qu’elles occasionnent, exprimées en cm3/24 h Il faut reconnaître que ce n’est pas très parlant », a indiqué Virginie Thollin, œnologue chez Pe.di. L’idée était donc de fournir une information simplifiée de l’impact des choix techniques sur la longévité de la bulle. Dans l’application disponible gratuitement, il faut indiquer les variables suivantes : quantité de sucre au tirage, format de bouteille, taille du col (26 ou 29 mm), temps sur lattes, perméabilité de la capsule (correspondant aux références de Pe.di). En réponse, l’application indique la pression à 12 °C (conditions de vieillissement en cave) et 20 °C dans la bouteille (mesure de référence), ainsi que le nombre d’années de vieillissement avant d’atteindre une pression inférieure à 3,5 bars, le minimum requis pour pouvoir commercialisé des Vins mousseux de qualité (VMQ). L’application est même capable de prédire au bout de combien de temps il n’y aura plus suffisamment de CO2 dissous dans le vin pour que des bulles apparaissent. "C'est un outil d'aide à la décision qui permet aux vignerons de faire le bon choix de capsules pour être maître de son effervescence", a conclut Virginie Thollin. Effervescence predictor est accessible sur tablette, PC et smartphone Android ou Iphone.

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