Les grands principes pour une cuvée avec rafles réussie
Comment s’y prendre d’un point de vue concret lorsque l’on souhaite travailler avec des rafles ? Voici les conseils des experts.
Comment s’y prendre d’un point de vue concret lorsque l’on souhaite travailler avec des rafles ? Voici les conseils des experts.
Vaut-il mieux utiliser de la rafle seule ou de la vendange entière ?
Benoît Bach, responsable secteur œnologie, à l'école de Changins en Suisse en est persuadé, « la vendange entière, c’est le top ». Ayant mené des essais comparatifs dans sa cave expérimentale, il estime qu’avec de la vendange entière, la rafle n’est pas abîmée, et que l’on s’affranchit de la présence de petits morceaux de bois dans le moût. De plus, « lorsque l’on ajoute des rafles seules, l’impact aromatique est moins important », note-t-il. Et pour cause. La présence de grappes entières implique une macération semi-carbonique, avec les spécificités qu’on lui connaît, notamment au niveau des arômes fruités. Pour Frédéric Massie, œnologue conseil chez Derenoncourt consultants, « l’ajout de rafles seules peut être une première étape pour faire bouger les mentalités sans trop modifier le produit. Mais à terme, la carbonique pourrait nous apporter beaucoup d’avantages ».
Pour ceux qui souhaitent commencer par bien maîtriser la technique, l’ajout de rafles seules est néanmoins plus facile à contrôler. Après l’éraflage, le vinificateur peut choisir les rafles ayant la meilleure maturité, étant en bon état (ni cassées ni râpées par les frottements), provenant des parcelles les plus qualitatives et/ou des cépages les plus adaptés, les peser, et ajouter l’exacte quantité souhaitée. Cette technique permet en outre de conserver la typicité du vin.
Mais Benoît Bach souligne que quelle que soit la configuration choisie, l’extraction est plus compliquée qu’avec une vendange égrappée, même si les rafles seules gênent moins le pigeage et l’extraction que la vendange entière.
Quel pourcentage de rafle apporter ?
Il semblerait qu’il y ait un concensus autour de 10 à 20 %, voire 25 %, d’apport. Dans ses essais de vinification, Benoît Bach, qui a testé 20 et 40 % de rafle, tant sur gamay que sur gamaret, recommande la dose de 20 %. « Au-delà de 30 %, cela fait trop, rapporte-t-il. Le vin devient trop astringent. Et d’un point de vue concret, il est très difficile de bien piger la cuve, il y a des possibilités de piqûre acétique et de volatile, le volume liquide étant insuffisant. » Il conseille un apport entre 10 et 20 %, le pourcentage étant à ajuster en fonction du cépage et de la maturité.
Même écho chez Dominique Delteil, consultant et ancien directeur technique à l’ICV, qui recommande de commencer avec 10-15 % de rafles. « Cela changera le style du vin de façon visible sans prendre le risque de faire un vin trop « étranger » au style de la cave », argue-t-il. Dans le Bordelais, Derenoncourt consultants a effectué des tests avec 25 % de rafles. Avec, à la clé, des résultats significatifs au niveau de composés aromatiques tels que l’astilbine et les salicylates.
Comment disposer les rafles ?
La réponse est unanime : en millefeuille. « C’est la solution la plus efficace pour des questions d’homogénéité, pointe Benoît Bach. Par ailleurs, cette disposition limite l’apparition de nid bactérien. » Même écho chez Derenoncourt consultants.
L’ajout de rafles a-t-il un impact sur la FA et l’extraction ?
Il ne semblerait pas que l’ajout de rafles ait un impact sur la fermentation alcoolique. Selon les essais menés par Benoît Bach, les cinétiques fermentaires des lots de gamay et gamaret vinifiés avec ou sans rafles sont similaires. « Attention néanmoins, il est possible d’avoir des risques de sucres résiduels et d’arrêts de fermentation, surtout avec la vendange entière », prévient le chercheur. Il pointe également les risques de déviations microbiologiques accrus même s’il n’en a pas rencontré lui-même. Par ailleurs, il estime que les grappes compactes se prêtent davantage à ce type de vinification que les lâches. L’interprofession bourguignonne, BIVB, a elle aussi mené une expérimentation en 2010, 2011 et 2012 sur pinot noir. Elle note que les résultats des analyses chimiques sont très similaires, que les raisins soient éraflés, non éraflés et foulés, avec 50 % de rafles et avec 50 % de vendange entière.
De même, le mode d’extraction n’influence pas de façon majoritaire l’expression des rafles, informent les œnologues de Derenoncourt consultants. Notamment parce que les composés extraits sont très hydrosolubles et se diffusent en phase aqueuse. On trouve toutefois des valeurs plus hautes en faisant des délestages.
Sur quels vins tester l’ajout de rafles ?
Les cépages ne réagissent pas tous de la même façon à cette technique. En Suisse, les essais ont donné de meilleurs résultats sur gamay que sur gamaret. Dans le Bordelais, le merlot se prête davantage à cette technique que le cabernet sauvignon, et le grenache semble donner de meilleurs résultats que la syrah dans le Sud-Est.
Par ailleurs, « en dessous de 20 euros la bouteille, il est très probable que l’ajout de rafles ira fortement à contresens des attentes des marchés, met en garde Dominique Delteil. En effet, les raisins doivent être parfaitement mûrs au niveau de la pulpe, de la pellicule, des pépins et concentrés avant de pouvoir y rajouter des rafles. En l’absence de maturité complète et équilibrée, il faut essayer en priorité de bien gérer ces insuffisances avant d’y introduire un facteur de plus comme les rafles ».
Les connaissances sur les rafles n’en sont qu’à leur balbutiement. Il reste encore beaucoup de pistes à creuser. Parmi elles, l’impact de l’élevage sur ces types de vins afin de travailler les tanins, l’intérêt de ces matrices lors des assemblages, l’infusion de rafles dans du jus de saignée, l’utilisation de rafles en post FA pour le collage, l’impact des propriétés antioxydantes de la rafle en vue de diminuer le sulfitage, etc. Avis aux chercheurs…
Des analyses pour qualifier ses rafles
À l’heure actuelle, les vignerons et consultants qui travaillent avec les rafles se fient principalement à leur sensation et à leur expérience. Mais serait-il possible d’objectiver les connaissances pour parfaire leur utilisation ? C’est ce qu’essaie de faire le laboratoire Excell, en Gironde. « Avec l’intérêt croissant pour l’utilisation des rafles en vinification, nous avons voulu voir s’il était possible d’imaginer des indicateurs permettant de les caractériser, que le vigneron puisse savoir si ça vaut le coup de les utiliser ou non », explique Tommaso Nicolato, œnologue et responsable technique du laboratoire. En ciblant deux approches : la maturité et la composition aromatique.
Certains paramètres physico-chimiques, comme le pH, la teneur en différents acides ou l’indice de polyphénols changent au cours de la maturité, et donnent une indication. « Mais nous n’avons pas encore réussi à définir un indice de maturité standardisé et universel, regrette le responsable. C’est d’ailleurs un peu utopique car beaucoup de choses entrent en jeu. » De son côté, Benoît Bach, de l'école de Changins en Suisse, travaille à un outil de caractérisation de la lignification des rafles. Mais là non plus, pas d’outil encore fonctionnel.
Une quinzaine de molécules aromatiques quantifiables
Concernant les composés aromatiques, le laboratoire Excell a mis au point une méthode de macération et d’analyse par chromatographie gazeuse des extraits, et a identifié une trentaine de molécules à cibler. Parmi lesquelles on trouve celles des familles des arômes végétaux (composés C6), mentholés/camphrés (salicylates) ou floraux (terpènes, comme le géraniol). « Attention, prévient toutefois Tommaso Nicolato, cela ne veut pas dire que l'impact sera toujours significatif dans le vin fini, en fonction du pourcentage de rafles utilisées. » Néanmoins, cela peut être un élément intéressant pour discriminer les différentes parcelles, différents cépages, millésimes… Car des disparités importantes en termes de molécules et de quantité existent entre ces facteurs.
L’œnologue suggère par exemple de réaliser ce type d’analyse en amont des vendanges, pour connaître le niveau potentiel d’apport aromatique et fixer des objectifs en fonction. Il recommande d’anticiper un peu l’examen car le processus demande une semaine. Une trentaine de rafles fraîches représentatives du lot sont à envoyer en sachet au laboratoire. « Nous allons continuer à travailler sur le sujet afin d’agrandir notre référentiel et de devenir toujours plus précis dans l’interprétation, assure Tommaso Nicolato. Nous voulons arriver à des éléments très concrets pour les vignerons. »
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La rafle de raisin, une matière avec de nombreux atouts
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