Le semis d’yeux, pour régénérer la vigne ?
La multiplication de la vigne par semis de bourgeons serait-elle une solution aux dépérissements ? C’est une piste que testent actuellement des vignerons et l’association Soin de la Terre.
La multiplication de la vigne par semis de bourgeons serait-elle une solution aux dépérissements ? C’est une piste que testent actuellement des vignerons et l’association Soin de la Terre.
C’est une technique encore en expérimentation, mais qui pourrait apporter une vraie solution aux problématiques de dépérissement rencontrées sur le terrain : le semis de bourgeons. Mais en quoi consiste exactement un semis d’yeux. Et pourquoi y venir ? C’est ce que nous avons voulu savoir avec Vincent Masson, président de Soin de la Terre, une association pour la recherche sur les pratiques en agriculture biodynamique. « Nous sommes partis du constat qu’au fil du temps, on assiste à une fragilisation de la vigne », introduit-il. Comment dès lors enrayer cette dégénérescence, exprimée de plus en plus précocement par la vigne ? Peut-être en modifiant le mode de multiplication du matériel végétal. « Dans le monde végétal, pour développer la robustesse, il faut confronter les variétés aux conditions du milieu : climat, pathogènes, etc., note Vincent Masson. Lors de la germination, on a un phénomène de nettoyage et d’adaptation qui s’opère. On espère générer des mutations positives. » C’est ce que l’expert recherche.
« Si le travail sur les pépins est compliqué du fait d’une grande variabilité des phénotypes, d’autres voies existent », reprend-il. C’est le cas des bourgeons, ou des yeux. « Est-ce que sur une plante pérenne, il y a une analogie entre un bourgeon et une graine, interroge-t-il. Peut-être dans une certaine mesure. » Tout comme la graine, le bourgeon contient tout ce dont la plante a besoin pour démarrer une nouvelle pousse. Par ailleurs, il s’agit d’une technique bien connue en arboriculture, citée également en viticulture, notamment par Pierre Galet.
Des taux de reprise de 80 à 85 % et un gros chevelu racinaire
La réflexion a commencé en 2000 sous l’impulsion de Pierre Masson et de Michel Grisard, avec des vignerons et des pépiniéristes. Puis les premières expérimentations ont eu lieu en 2003 chez des vignerons. En 2015, l’association Soin de la Terre a commencé à se pencher sur le sujet, sur pinot noir et chardonnay, afin de définir une méthodologie. « Nous y sommes arrivés en quelques années », se réjouit Vincent Masson. Une bonne réussite au démarrage, avec des taux de reprise de 80 à 85 %, et un chevelu racinaire très développé sont au rendez-vous.
« Par ailleurs, nous obtenons des grappes correspondant aux ceps initiaux, avec des qualités de puissance et de complexité intensifiées », note-t-il. Pour faciliter ce processus, plusieurs points doivent selon lui être respectés lors de la multiplication : la relocalisation (multiplier son matériel végétal chez soi), la réappropriation des savoirs, la juste fumure (pas de fertilisant de synthèse, ni d’excès), l’équilibre du végétal (réaliser des sélections massales sur ses propres parcelles, avec ses propres critères et son propre cahier des charges) et les pratiques biodynamiques (sols qui fonctionnent, bon état de santé des vignes, produits qualitatifs).
Laisser les plants pousser en plein air pour favoriser les mutations
« On constate que par rapport à une bouture à trois yeux classique effectuée à la même date et dans les mêmes conditions, on a une plus grosse puissance racinaire, une racine pivot plus importante et davantage de pousse sur le bois », rapporte Vincent Masson. L’idée, ensuite, est de laisser croître ce nouveau plant jusqu’à ce que le diamètre des bois soit suffisant pour refaire un semis d’œil. « Car les études sur la pomme de terre ont montré que les mutations positives se produisaient lors de cette seconde génération », poursuit Vincent Masson. La balle est ensuite dans le camp des viticulteurs. Car la question reste entière : arrive-t-on à provoquer une adaptation et un renforcement de la plante ainsi ? Seules des années d’observation des ceps ainsi obtenus pourront y répondre…
voir plus loin
Pour plus d’infos, n’hésitez pas à consulter l’ouvrage de Guy Kastler, Pierre Masson et Vincent Masson : « Régénération des plantes pérennes, le cas de la vigne - Problématiques et pistes de travail », aux éditions Biodynamie Services. Vous y trouverez les fondements théoriques et les aspects pratiques qui ont constitué les hypothèses de travail sur ce sujet, ainsi que des données techniques pour mettre en œuvre des essais de régénération par semis d’œil ou de bourgeon sur votre domaine.
Avis d’expert : Olivier Yobrégat, ingénieur spécialiste du matériel végétal à l’IFV
« Ce n’est ni plus ni moins qu’un bouturage avec peu de matière »
Si on regarde la technique, elle peut être intéressante dans le cas de génotypes rares, car elle permet d’utiliser peu de bourgeons pour leur multiplication. On constate aussi une différence au niveau des émissions de racines. Dans un bouturage à trois yeux, les racines partent en faisceau du talon. Avec un seul bourgeon, on obtient un chevelu racinaire beaucoup plus dense. L’architecture est différente : il y a un pivot et plein de petits racinaires.
Après, ce n’est pas la peine d’en attendre des résistances et notamment au phylloxéra. Cette technique n’a rien à voir avec la culture des méristèmes et ne permet pas d’assainir les pieds. Et je ne vois pas pourquoi un bouturage d’un petit morceau de sarment donnerait plus de mutations qu’un bouturage avec un plus gros bout ; il n’y a aucune raison. Les mutations sont toujours aléatoires et provoquées par un agent mutagène (soleil par exemple) ou par un stress (greffage, etc.). Elles n’ont rien à voir avec la taille du bois d’origine.
Au final, cette technique peut être intéressante pour multiplier un matériel végétal en très faible quantité, ou pour obtenir des racinés francs de pieds à planter dans des terrains sableux. Sans plus. »