De légères avancées sur la compréhension des goûts de souris
Si les méthodes de détection des goûts de souris dans les vins s’affinent, de nombreuses zones d’ombre persistent encore sur leurs mécanismes de formation. Identifier les itinéraires à risque est une priorité.
Si les méthodes de détection des goûts de souris dans les vins s’affinent, de nombreuses zones d’ombre persistent encore sur leurs mécanismes de formation. Identifier les itinéraires à risque est une priorité.
« Les goûts de souris constituent un défaut extrêmement complexe », prévient d’emblée Jamie Goode, docteur en biologie végétale et chroniqueur sur le vin. Invité à exposer sa vision sur les défauts du vin lors de la 10e édition du Lallemand tour, le chroniqueur a mis en avant les difficultés à détecter la présence de cette déviation : « arrivé à la moitié de la bouteille, sans crier gare, les goûts de souris apparaissent ». Selon Nicolas Richard, ingénieur et œnologue chez Inter Rhône, ce témoignage reflète bien les problèmes rencontrés par la profession pour décrypter ces défauts. « Si déjà on a du mal à les détecter, pour comprendre ce qu’il se passe au niveau biochimique c’est compliqué », plaisante-t-il.
La volatilité des molécules responsables du défaut dépend du pH
Au début des années 2000, des chercheurs de l’Institut australien de recherche du vin (AWRI) identifient trois molécules responsables de la déviation : ATHP, ETHP et APY. Mais le spectre aromatique associé à ces molécules est vaste (voir encadré ), et il est impossible de relier un descripteur spécifiquement à l’une d’entre elle. « En revanche, les chercheurs ont démontré que ces molécules existent sous deux formes nommées tautomères, qui sont dépendantes du pH », expose Nicolas Richard. C’est de là que vient la difficulté à détecter les goûts de souris, puisque seul le tautomère existant à un pH supérieur à 4,5 est volatile, et donc perceptible. « Le pH du vin ne permet pas de détecter le défaut par olfaction orthonasale, seule la rétro olfaction le permet car le pH buccal rend les molécules volatiles », développe l’œnologue rhodanien. Et pour complexifier davantage les choses, il se trouve que le pH buccal varie non seulement d’un individu à l’autre, mais également pour un même individu au cours de la journée. Ce qui explique pourquoi lors d’une dégustation, certains perçoivent immédiatement ces défauts et d’autres non. Ainsi, la profession a identifié quelques « ruses » pour rendre l’identification des goûts de souris accessibles à tous. « Tremper son doigt dans le vin, tremper des bandelettes dans de la soude et du vin ou encore ajouter une pincée de bicarbonate de soude dans le fond du verre permet de faire monter le pH et atteindre la forme volatile », indique Nicolas Richard.
La sensibilité aux goûts de souris est extrêmement variable d’un individu à l’autre
Récemment, une thèse réalisée à l’ISVV par Sophie Tempère et dont les résultats ont été publiés en 2019 apporte de nouvelles précisions sur les seuils de détection des trois molécules. Premier constat : la sensibilité des individus aux goûts de souris est extrêmement variable. « Les travaux de Sophie démontrent que certaines personnes sont anosmiques aux trois ou à l’une des trois molécules impliquées dans les goûts de souris. Il y a même des cas de personnes anosmiques à l’une des molécules et hypersensibles à une autre », développe l’œnologue d’Inter Rhône. Dans ses recherches, la thésarde a prouvé qu’à pH 3,20, 94 % du panel de dégustateurs pouvaient détecter les goûts de souris lorsque les molécules étaient présentes à des concentrations allant de 15 à 300 µg/L. À pH 5,5, après ajout de bicarbonate, des concentrations situées entre 0,3 et 30 µg/l sont suffisantes pour que l’ensemble des individus en capacité à les détecter y parviennent.
Les méthodes curatives ont des effets variables selon les matrices
Aujourd’hui, il reste encore de très nombreuses zones d’ombre sur les mécanismes aboutissant à la formation de ces composés. « La piste microbiologique impliquant des bactéries lactiques et des levures Brettanomyces est confirmée, notamment grâce aux travaux menés par le laboratoire Excell et l’ISVV », expose Nicolas Richard. Mais toutes les souches ne semblent pas capables de produire les molécules impliquées, sans que l’on sache pourquoi. Une seconde piste non enzymatique constitue une autre hypothèse qui n’a pas encore pu être vérifiée. « En réalité, on est encore incapable de dire pourquoi ce défaut apparaît », avoue l’ingénieur. Quelques méthodes curatives ont toutefois fait leurs preuves sur le terrain, comme l’ajout d’ellagitanins. Le SO2 et le chitosane semblent également avoir un effet, mais ce dernier peut être très variable selon les matrices. « Les vins oxydatifs sont préservés des goûts de souris, mais les itinéraires d’élaboration ne sont pas sans risques et les profils de ces vins sont particuliers », note Nicolas Richard. Pour l’expert, la recrudescence de cette déviation est explicitement liée à la réduction des doses de sulfites dans les vins. « Cela prouve bien qu’on est loin d’avoir intégralement compris le rôle du SO2 », argue-t-il. Nicolas Richard ainsi que d’autres confrères chercheurs ont déposé des dossiers de financements publics afin de pouvoir poursuivre les investigations sur le sujet. Ils espèrent obtenir des validations dans les prochains mois.
voir plus loin
Les principaux descripteurs associés aux goûts de souris
Urine de souris
Popcorn
Riz basmati
Croûte de pain
Chips de tortilla
Charcuterie
Avis d’expert : Vincent Renouf, directeur du laboratoire Sarco et Excell, en Gironde
"Des teneurs importantes en azote assimilable dans les vins semblent favoriser les goûts de souris
"Nous avons commencé à travailler sur les goûts de souris en 2019, alors que de nombreux clients suspectaient des déviations sur le millésime 2018. Nous avons mis au point une technique permettant d’identifier les trois molécules en une seule analyse, ce qui n’existait pas jusque-là. Ça n’a pas été facile car il y a une chimie très particulière : les composés sont très instables et interagissent avec beaucoup d’autres molécules du vin, comme les tanins ou le SO2. D’autre part, la grosse difficulté pour avancer dans nos recherches réside dans le fait que les goûts de souris sont rarement le seul défaut dans le vin. Nos observations montrent qu’ils apparaissent en présence de populations de Bretts et de bactéries lactiques à des niveaux très élevés, de l’ordre de 105 à 107 cellules par millilitre. Il y a donc probablement un effet synergique. Nous avons également constaté des ratios de phénols différents, avec une synthèse d’éthylgaïacol supérieure à "la normale". Les sucres résiduels, que l’on soupçonne d’être consommés par les bactéries lactiques, et la présence d’azote assimilable à de hauts niveaux dans les vins semblent favoriser l’apparition de ces goûts de souris. C’est pourquoi nous pensons que les analyses devraient être réalisées plus tôt, sur les moûts ou toute fin FA. Les vins concernés sont par ailleurs souvent très sensibles à l’oxydation, avec des résistances de l’ordre de 20 µA contre 80 µA en moyenne. Nous consacrons donc maintenant nos efforts sur l’identification d’itinéraires à risque sur différentes matrices, car si les rouges sont principalement concernés, nous avons également des cas sur blancs, rosés et même un cas sur un effervescent. Enfin, même s’il y a probablement eu un effet de mode en 2018, un effet millésime n’est pas à exclure."