Porte ouverte
L’alimentation de précision arrive en engraissement
Jérémy Diais a choisi un système d’alimentation individuel pour ses porcs charcutiers bio. Les animaux identifiés par une puce RFID seront pesés quotidiennement.
Jérémy Diais a choisi un système d’alimentation individuel pour ses porcs charcutiers bio. Les animaux identifiés par une puce RFID seront pesés quotidiennement.
C’est une première en France pour un élevage de production. Le 21 décembre dernier, Jérémy Diais, jeune éleveur récemment installé à Oudon en Loire-Atlantique, présentait son tout nouvel engraissement de 430 places sur paille équipé d’un système d’alimentation individuel. Ce procédé appelé Pig-insight a été développé par Asserva en collaboration avec l’Ifip. Il permet d’identifier chaque animal présent dans la case grâce à la puce RFID (radio-identification) qu’il porte à l’oreille, et de lui attribuer une quantité d’aliment journalière en fonction de son poids, à partir d’une courbe d’alimentation prédéfinie. L’éleveur peut aussi choisir parmi quatre aliments. La zone d’alimentation est indépendante de l’aire paillée. Le poids de chaque animal est renseigné par une bascule électronique située à son entrée. Petit détail qui prend toute son importance dans le calcul de la rentabilité du système : Jérémy s’est installé en production bio. « Le prix élevé des aliments bio (entre 500 et 600 €/t) démultiplie l’intérêt économique d’un système d’alimentation qui améliore l’indice de consommation », souligne-t-il. « La baisse de l’indice de consommation et l’amélioration du taux de muscle des pièces (TMP) lié au rationnement permettent de rembourser le surcoût de l’installation en trois ans par rapport à une alimentation au nourrisseur. » Un calcul que détaille David Lebreton, technicien porc activité biologique chez Porveo. « Une baisse de 0,1 point d’indice permet de gagner 5 euros par porc. 1 point de TMP gagné équivaut à 8 euros par porc. Dans la majorité des élevages bio, le passage d’une alimentation à volonté à un système rationné a permis de passer le TMP de 59 à 60,5, soit 12 euros par porc. Si on ajoute un gain de 0,1 point d’indice, on arrive à 17 euros de gain par porc. »
16 alimentateurs individuels répartis dans deux aires pour 215 porcs
Jérémy Diais conduit ses 62 truies en trois bandes pour gérer des tailles de lots importantes. L’engraissement est divisé en deux grandes cases de 215 places, permettant de loger simultanément deux bandes de 215 animaux entre 60 kg et l’abattage. Chaque case contient une unité d’alimentation constituée de 16 alimentateurs individuels répartis dans deux aires. Les porcs qui veulent s’alimenter doivent passer au préalable sur une bascule électronique, où ils sont identifiés. Un premier portillon de tri à trois directions permet ensuite de les orienter soit vers les aires d’alimentation, soit vers une zone de tri, pour les départs, l’isolement des futures cochettes ou si l’animal a perdu sa boucle. Ils peuvent aussi être renvoyés vers l’aire paillée s’ils ont déjà consommé leur ration quotidienne ou si le nombre d’animaux présents dans l’aire d’alimentation dépasse le seuil fixé par l’éleveur. S’ils sont autorisés à consommer, un second trieur deux voies situé plus loin envoie l’animal vers l’une des cases d’alimentation. Dans chacune de ces cases, les alimentateurs sont approvisionnés par deux trémies d’aliment. Les antennes situées derrière chaque alimentateur détectent l’animal. L’automate déclenche alors la distribution de l’aliment choisi par l’éleveur. L’appareil distribue des petites quantités de 10 grammes à la fois. Un contrôle de présence des granulés par une sonde permet de bloquer la distribution si l’auge n’est pas vide. Quand le porc a fini son repas, il rejoint la zone paillée par des portillons antiretour. L’absence de points d’eau dans les aires d’alimentation devrait inciter les porcs à sortir rapidement, afin de laisser la place à leurs congénères.
860 euros la place d’engraissement
Le bâtiment grand volume est ventilé statiquement, avec une entrée d’air sur un côté composé de filets brise-vent régulés. Chaque porc dispose d’une surface intérieure paillée de 1,5 m2 (les aires d’alimentation et de tri ne sont pas comprises dans ce calcul, car non accessibles en permanence), et de 1,2 m2 en courette extérieure bétonnée comme l’impose le cahier des charges bio. Son coût total est de 370 000 euros, soit 860 euros la place. « Ce montant peut paraître élevé par rapport à un engraissement conventionnel, admet Jérémy Diais. Mais les normes de surface par porc en production biologique renchérissent considérablement le coût. » Par ailleurs, il estime le surcoût de l’alimentation individuelle à 30 000 euros par rapport à une alimentation soupe. Un surcoût qui sera rapidement remboursé si l’éleveur parvient à exploiter son potentiel très prometteur. D’autant que le coût des puces d’identification devrait fortement baisser prochainement, grâce à la mise au point de nouveaux modèles de puces à haute fréquence nettement moins onéreuses.
Une installation bio mûrement réfléchie
Jérémy Diais, titulaire d’un BTS ASCE, s’est installé hors cadre familial, en juin 2018, en production de porcs biologiques. Un stage chez un sélectionneur Large White lui a donné le virus du cochon. Il a progressivement enrichi son expérience pour préparer son installation en étant tour à tour technico-commercial chez Tuffigo-Rapidex, agent de remplacement en élevage, responsable d’une maternité collective de 1 000 truies et technicien bâtiment chez Porveo. Pour mener à bien son projet, il a commencé par choisir un élevage de… vaches laitières et de poulets label parmi 40 exploitations visitées ! « Les bâtiments étaient plus compatibles avec l’élevage bio que ceux d’un élevage de porc conventionnel », souligne-t-il. Un ancien bâtiment de volailles label rouge abrite notamment la maternité dans laquelle les truies et les porcelets logés sur paille sont mis en groupe dans des cases de quatre places après la mise bas. Son projet a été totalement approuvé par les riverains, pourtant constitués à 95 % de personnes travaillant à Nantes. « Ils craignaient les odeurs de lisier. Le logement intégral des animaux sur fumier a été un élément d’acceptation prédominant. » Le travail d’explication auprès des élus et des voisins entrepris par Jérémy a également été déterminant. Une journée découverte du bâtiment d’engraissement était d’ailleurs consacrée au grand public le lendemain de la porte ouverte professionnelle.
Jérémy Diais adhère au groupement Porveo qui commercialise ses porcs charcutiers via Unebio. Le groupement lui garantit un prix indexé sur le prix de l’aliment et qui varie selon la qualité de la carcasse. Le coût de production a été estimé à 3,40 € par kilo de carcasse, sur la base de 11 porcelets sevrés par portée et 6 % de pertes sevrage-vente.
En chiffres
Jérémy Diais, la ferme du cochon d’Où Don
Avis d’expert
Michel Marcon, ingénieur équipements et bâtiments Ifip
"L’alimentation de précision devient possible"
"Il y a 25 ans, personne n’aurait prédit que l’alimentation biphase devienne la norme. Aujourd’hui, l’alimentation de précision, qui consiste à pratiquer une alimentation multiphase individuelle, devient possible pour deux raisons : d’une part, il est maintenant possible de reconnaître chaque porc, d’enregistrer leur poids et leur ingéré en temps réel et de leur distribuer un mélange de quatre aliments. D’autre part, la connaissance sur les besoins alimentaires individuels offre la possibilité de proposer une ration quotidienne à chaque porc adapté, tant en quantité qu’en qualité. Les travaux sur l’alimentation de précision montrent clairement un intérêt pour réduire les rejets d’azote. Ils démontrent aussi qu’il est possible d’obtenir des performances équivalentes (GMQ, IC) en utilisant moins de protéines dans l’aliment. En élevage conventionnel, l’amortissement du surcoût des équipements nécessaires doit encore être démontré pour que l’alimentation de précision, cantonnée jusque-là aux stations expérimentales, puisse se développer."