La passion du porc noir de Bigorre
Au pied des Pyrénées, un groupe d’éleveurs fait revivre le porc gascon en montant une filière complète. C’est tout un écosystème qui se développe autour de ce cochon rustique.
Au pied des Pyrénées, un groupe d’éleveurs fait revivre le porc gascon en montant une filière complète. C’est tout un écosystème qui se développe autour de ce cochon rustique.
Ils sont une soixantaine d’éleveurs, répartis sur une partie des Hautes-Pyrénées et des départements limitrophes, à croire au renouveau du porc gascon, également appelé porc noir de Bigorre dans cette région. En 1981, l’Ifip ne recensait plus que 34 truies. On en compte aujourd’hui 1 400, qui vont produire en 2020 plus de 10 000 porcs protégés par deux AOP.
Sophie Defis et Laurent Bonin font partie de ces éleveurs qui ont fait de l’élevage du noir de Bigorre leur activité principale. Installés à Puydarrieux près de Trie-sur-Baïse, dans les Hautes-Pyrénées, un village jadis célèbre pour son marché aux porcelets, ils élèvent 40 truies et leur suite depuis 2003. « Mon père avait un troupeau de Blondes d’Aquitaines et des cultures de vente. J’ai remplacé les vaches par les cochons noirs et les cultures par des prairies consacrées à l’engraissement des porcs charcutiers », explique Sophie. Le couple d’agriculteurs cultive aussi des céréales et des protéagineux pour l’alimentation de leurs animaux. L’ancienne stabulation des vaches a été transformée en maternité, avec des loges spacieuses dans lesquelles les truies ne sont pas entravées, et des niches à porcelets délimitées par des planches et chauffés par une lampe. Le fumier est évacué par un racleur qui passe devant les portes. Malgré un cahier des charges strict, les éleveurs estiment que les conditions d’élevage ne constituent pas une contrainte. « Il faut simplement être observateur et prendre son temps », souligne Sophie. Les hormones de reproduction sont interdites. « Nous n’en avons pas besoin. Le porc gascon est une race rustique. Les truies se débrouillent toutes seules pour mettre bas et élever leurs porcelets. » L’absence d’entravement limite les problèmes de transit digestif et favorise le comportement maternel, une notion que redécouvrent aussi les éleveurs de porcs conventionnels qui adoptent les maternités liberté. La prolificité des truies gasconnes est faible : entre huit et neuf porcelets nés par portée, et sept à huit sevrés. Mais ce sont des bonnes laitières. Les porcelets sont vigoureux. L’absence de caudectomie et de meulage des dents limite les entrées de contaminants responsables de maladies. Cependant, les mâles sont castrés et les femelles sont ovariectomisées par un vétérinaire. Plutôt que de faire une injection de fer, Sophie leur met à disposition de la terre. « Je la prélève dans des taupinières pour qu’elle soit propre. » Sitôt les porcelets sevrés à 33 jours, ils sont logés dans un post-sevrage sur paille où ils reçoivent un aliment qu’on pourrait comparer à un 2e âge, puis un second à 14 % de MAT jusqu’à 20 kilos. Ils sont mis ensuite dans des parcs herbagés à partir de 5 mois d’âge, à un poids de 50 kilos environ. Les aliments croissance et finition sont également très pauvres en matière azotée. « Ce sont des porcs à croissance lente. Il ne faut pas les forcer, sinon on obtient des carcasses invendables. » Par ailleurs la consommation d’herbe n’est pas négligeable. « Ils peuvent en ingérer l’équivalent de 1 kilo de matière sèche par jour. » Difficile dans ces conditions d’élaborer des formules équilibrées. Ce qui ne paraît pas inquiéter les éleveurs. « L’objectif n’est pas d’optimiser les résultats techniques. » La croissance moyenne ne dépasse pas les 350 à 400 grammes par jour de vie. Les indices de consommation se situent plutôt entre 5 et 6. Le cahier des charges de l’AOP est adapté à ces caractéristiques : l’âge à l’abattage est compris entre 12 et 14 mois. Le gras n’est pas refusé : il faut même un minimum de 30 mm de gras dorsal, « un critère essentiel pour obtenir des produits secs d’excellente qualité ». L’objectif de muscle (42 mm) est raisonnable. Un poids minimum de 100 kilos a été fixé pour que les transformateurs puissent travailler des carcasses suffisamment lourdes.
Toutes ces caractéristiques génèrent bien sûr un coût de production déconnecté de celui des porcs conventionnels, malgré l’absence de structures d’exploitation lourdes. Cependant, avec un prix de vente de 4 euros par kilo de carcasse, les éleveurs estiment vivre correctement de leur élevage. La liste d’attente des candidats à l’installation est longue. « Nous devons limiter le développement de notre production pour qu’elle corresponde à la demande », explique Jean-Michel Coustalat, éleveur et président du consortium du noir de Bigorre qui regroupe les différents maillons de la filière. « Par ailleurs, nous devons être très prudents. Entre la mise en place d’un élevage de truies et la vente des produits, il faut compter entre deux et trois ans. Entre-temps, le marché peut changer. » Cependant, la volonté de progresser est forte. « Avec le déclin des productions ovines et bovines, il y a beaucoup de terrains en pentes non labourables qui peuvent être destinées à l’engraissement des porcs noirs de Bigorre. » Le consortium se lance également dans des programmes de recherche et développement pour améliorer l’autonomie des élevages. « Nous testons des variétés de céréales plus rustiques et plus riches en protéines, qui correspondent mieux au besoin de nos animaux. » La production adopte aussi des techniques innovantes, avec la mise en place d’une identification individuelle des porcelets par des boucles RFID. « La traçabilité de nos produits, de la naissance des porcelets jusqu’à la tranche de jambon dans l’assiette, est obligatoire. Produire un porc rustique n’est pas incompatible avec les nouvelles technologies numériques », conclut-il.
« La différence se fait dans l’assiette »
Artisan charcutier à Argelès-Gazost près de Lourdes, Pierre Sajous a accompagné dès le début le développement du porc noir de Bigorre. Il affiche sa conviction sur la façade de son très beau point de vente situé le long d’une route empruntée par les touristes qui se rendent à Gavarnie ou qui empruntent les cols mythiques du Tour de France. « Depuis la vache folle, la mentalité des consommateurs a changé. Ils recherchent de plus en plus des produits de terroir qui ont du goût. » Il se fait un devoir de valoriser la moindre pièce des carcasses de porcs noirs de Bigorre qu’il transforme. « Même le gras est valorisé. Il est blanc, constitué d’acides gras insaturés comprenant notamment des oméga 3, 6 et 9, bons pour la santé. Ceci grâce au régime alimentaire des cochons à base d’herbe, souligne-t-il. Ce gras ne fait pas grossir, et il contient tous les arômes. » Chaque pièce des longes est valorisée par une découpe et une préparation particulière. Enfin, les jambons sont salés, puis séchés pendant 20 mois au minimum. Bien sûr, les prix sont plus élevés que ceux des produits issus de porcs conventionnels. « Mais c’est justifié. On ne peut pas faire d’amalgame entre des porcs blancs et le noir de Bigorre. »
Une race en bonne voie de sauvegarde
Avec un cheptel total de 1 400 truies, la pérennité de la race Gasconne semble assurée. Un programme de conservation basée sur la gestion globale des cheptels reproducteurs et des plans d’accouplement a été mis en place avec le soutien de l’Ifip. Chaque élevage gère quatre à cinq familles de truies. Le livre généalogique de la race (Ligéral) permet de choisir quel verrat doit être utilisé pour chaque truie, afin de limiter les risques de consanguinité. Les éleveurs renouvellent leur cheptel par de l’autorenouvellement. Les cochettes sont sélectionnées selon leur coefficient de parenté, leur esthétique et leur nombre de tétines. Les critères de performance peuvent être pris en compte, mais ils n’arrivent qu’après les trois premiers. Une commission constituée d’experts de la race vient agréer dans les élevages le choix des futurs reproductrices quand elles ont entre 8 et 10 mois. Les futurs verrats reproducteurs sont détectés en élevage sur des critères similaires aux cochettes. Ils entrent à trois mois dans une verraterie collective. Entre 10 et 12 mois d’âge, ils reçoivent un agrément reproducteur et sont ensuite placés en élevage.