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Un abattoir temporaire pour l’Aïd

L'Aïd-el-Kébir avait lieu cette année le 12 septembre. En France, une quarantaine d’abattoirs temporaires sont créés pour l’occasion. Certains tenus par des éleveurs.

Dans le Sud de la France, Luc et Olivia(1) élèvent des moutons qu’ils destinent quasi exclusivement à l’Aïd. Le temps de la fête musulmane, ils créent chez eux un abattoir temporaire. Leurs 1 000 brebis profitent d’estives dans les Alpes de mai à octobre. Les agneaux, alors âgés de cinq mois et demi à onze mois, sont redescendus pour l’Aïd mi-août. Les plus petits sont engraissés à l’orge. Trois semaines avant l’Aïd, Luc et Olivia invitent les fidèles à choisir et payer les agneaux. « Le choix se porte surtout sur les agneaux cornus et entiers qui ont une queue longue et qui sont hauts sur pied, explique Olivia. »

Des commandes par le téléphone arabe

Luc et Olivia ne font pas de publicité mais le téléphone arabe marche bien et, en un week-end, les 850 agneaux sont vendus. « J’ai deux à trois fois plus de demandes car nous manquons d’agneaux et de places d’abattoirs dans la région » remarque Luc. Les agneaux sont facturés sur la base de 10 euros du kilo de carcasse auquel s’ajoutent 20 euros de frais d’abattage, soit 200 à 220 euros par agneau.

On ne s’improvise pas abatteur du jour au lendemain et la mise en place d’un un abattoir temporaire demande de l’organisation. Luc et Olivia embauchent une équipe de tondeurs pour la manipulation des animaux. L’éleveur a aussi investi dans un restreiner il y a trois ans ; cela lui facilite la manipulation et permet de gagner du temps. « Il y a deux ans, il était en panne, c’était vraiment la galère, surtout que la chaîne avait aussi déraillé deux fois…" Pendant la journée d’abattage, mais aussi avant et après, l’aide des amis et de la famille est aussi très importante, pour l’accueil des clients notamment. En plus des équipes d’abattage, il y a six animaliers, quatre personnes au nettoyage et sept pour l’accueil.

Un agneau sain et une attente courte

L’animal est égorgé, la tête tournée vers La Mecque par un imam formé à l’abattage. Après le sacrifice, l’abattoir temporaire est composé de deux chaînes. L’une des chaînes est formée d’une équipe de douze bouchers qui découpent la carcasse pendue sur une chaîne aérienne ; un tapis rouleau suit la carcasse et transporte les morceaux. L’autre chaîne est composée d’une équipe de quinze jeunes bouchers nord-africains qui découpent en poste fixe sur des tables. En se basant sur un rythme de 100 agneaux abattus par heure, les numéros de boucle et de commande indiquent l’heure de passage. Les clients ont donc une tranche horaire indiquée sur leur ticket, ce qui leur évite une trop longue attente.

Luc et Olivia soignent d’ailleurs particulièrement l’accueil des fidèles qui peuvent assister au sacrifice et au découpage de la carcasse derrière des barrières grillagées. Venant souvent en famille, les fidèles sont reçus avec un verre de thé ou de café et les plus petits peuvent faire un petit tour de poney. Les familles récupèrent trois sacs, l’un avec la viande, l’autre avec les abats et le troisième, sur demande, avec les pattes et la tête. « Les gens sont contents du service, observe Ibrahim(1) qui aide à l’abattage. Ils repartent avec un agneau sain sans avoir à attendre. La nouvelle génération de musulmans reste attachée à la tradition du sacrifice mais elle veut respecter la réglementation sur l’abattage et ne pas passer sa journée à faire la queue à l’abattoir ».

De lourdes contraintes réglementaires, sanitaires et environnementales

L’abattoir temporaire a les mêmes exigences que pour les autres abattoirs en termes d’hygiène, d’environnement ou de respect du bien-être animal. Au moins trois vétérinaires de la DDPP sont présents pour apposer l’estampille sur la carcasse après inspection. Le respect de l’hygiène est très présent il y a des lave-mains et des affiches partout. Les fluides vont dans une cuve de 27 m3 traité par la suite. « Le traitement de l’eau et de l’équarrissage revient à 12 euros par agneau » calcule Luc au moment de faire le chèque lors de l’enlèvement de la benne d’équarrissage.

Dernière contrainte en date, la réalisation d’un dossier ICPE (Installations classées pour la protection de l'environnement) obligatoire dès que le volume d’abattage dépasse 5 tonnes par jour. Même s’il ne fait que 16 tonnes à l’année mais en une journée, il est obligé de financer 11 000 euros pour étudier l’impact sur le bruit ou la circulation. « Cela nous a permis de bien nous mettre aux normes pour le passage des pompiers, la certification électrique ou la réalisation d’un plan de secours », reconnaît cependant Luc. Tous les ans, L’éleveur demande une autorisation pour ouvrir un abattoir temporaire. L’administration vérifie notamment la formation des agents sacrificateurs.

Repousser les médias ou les associations de protection animale

Luc et Olivia ne pensent pas que ce modèle soit facilement reproductible pour d’autres éleveurs. « Je pense que ce n’est plus possible maintenant, explique Lionel. Les DDPP sont devenues très exigeantes dès le départ. » Ici, les 100 000 euros de matériels d’occasion ont été achetés progressivement depuis une dizaine d'années. « Il y a une partie administrative importante et il faut savoir gérer les rapports avec l’administration ou la clientèle », note Luc. Il faut aussi parfois savoir repousser les médias ou les associations de protection animale. « L’une d’elle était venue en se faisant passer pour des éleveurs et avait pris la photo d’un agneau renversé sur un chevalet d’abattage, se souvient Luc qui avait ensuite vu cette photo dans la presse. C’est un procédé malhonnête, on peut laver 600 verres et en casser un, ce n’est pas pour ça qu’on est un sauvage…»

En commercialisant eux-mêmes leurs animaux, les deux éleveurs arrivent à bien vivre. Ils ont pu salarier une personne à plein temps ainsi qu’un saisonnier l’été et un apprenti. Plus esclaves du travail, ils se gardent cinq semaines de congé par an et un week-end sur deux de libres.

(1) Les éleveurs souhaitent rester anonymes et les prénoms ont été changés

Un guide et des affichettes à destination des abattoirs

Une quarantaine d’abattoirs temporaires sont agréés chaque année. Afin de « concilier le profond attachement des musulmans à l’accomplissement de ce rite avec les dispositions législatives et réglementaires en matière de santé publiques », le ministère de l’Agriculture édite un guide et des affichettes de recommandations sur l’hygiène et la protection animale. Les affichettes et le guide rédigé avec les écoles vétérinaires et l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs sont à télécharger sur http://agriculture.gouv.fr/abattage-rituel.

Dico

Aïd-el-Kébir

L'Aïd-el-Kébir ou fête du sacrifice est la plus importante des fêtes de l'Islam. Cette fête commémore la soumission d'Abraham qui accepte d’égorger son fils unique, substitué au dernier moment par un agneau. Les familles musulmanes sont invitées à sacrifier un animal, de préférence un agneau âgé de 6 à 12 mois, en souvenir de ce geste.

Mise en garde

L’Aïd va tomber en été

Le calendrier musulman compte 354 ou 355 jours. Chaque année, il se décale d’environ 11 jours par rapport à l’année solaire. Les prochaines fêtes de l’Aïd devraient donc avoir lieu autour du 1er septembre 2017 puis du 21 août 2018. Pendant l’été, une partie des pratiquants pourrait préférer rester dans leur village d’origine (« au bled ») pour la fête. Ce décalage pourrait donc avoir des conséquences sur la demande en agneau en France.

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