« Ma troupe ovine s’installe sur une ferme céréalière »
Berger sans terre, Bastien Devriendt s’installe sur une ferme céréalière bio d’Île-de-France. D’octobre à avril, la troupe ovine pâture les couverts végétaux des plaines.
Berger sans terre, Bastien Devriendt s’installe sur une ferme céréalière bio d’Île-de-France. D’octobre à avril, la troupe ovine pâture les couverts végétaux des plaines.
Céréaliers bio en Île-de-France, Anne-Charlotte et Sylvain Beaugrand ont déroulé le tapis vert pour accueillir l’élevage ovin de Bastien Devriendt. Les 147 hectares de la ferme familiale sont cultivés en agriculture biologique depuis 2020. « Notre objectif est d’avoir une ferme agroécologique qui limite le travail du sol et encourage une végétation diversifiée », explique Anne-Charlotte Beaugrand qui a repris l’exploitation familiale de Seine-et-Marne en 2017.
La troupe est un outil agronomique au service des cultures
Très vite, la ferme de la Tessonnerie a appliqué les techniques culturales simplifiées pour une agriculture de conservation. Entre les cultures de luzerne, blé, orge de printemps, sarrasin, seigle et soja qui s’enchaînent sur une rotation de huit ans, des intercultures sont implantées chaque année pour couvrir et protéger le sol. Pour détruire ces couverts végétaux, la ferme a fait un appel à projets pour accueillir une troupe ovine. « J’ai envie d’avoir quelqu’un avec qui échanger et nous sommes dans une logique d’installer d’autres agriculteurs », explique Anne-Charlotte Beaugrand qui cherche à accueillir d’autres porteurs de projets comme des apiculteurs, des maraîchers ou des meuniers.
Des couverts végétaux à adapter aux besoins de la troupe
Bastien Devriendt a répondu à cet appel. Cet ex-pompier reconverti dans l’élevage ovin en suivant sa passion des chiens de troupeau s’est formé au métier de berger à l’école du Merle, dans les Bouches-du-Rhône. Depuis janvier, il s’est installé comme berger sans terre sur la ferme de la Tessonnerie et avec des accords sur quatre fermes bio voisines. Avec actuellement 100 brebis de race Hampshire et un objectif de 300 têtes, l’idée est d’avoir un élevage facile à gérer. L’éleveur apprécie la race Hampshire, une race solide, rustique qui supporte bien l’humidité au niveau du pied, sans corne, bonne marcheuse et qui valorise bien l’herbe en gigot sans avoir besoin de complément alimentaire. Un point important pour cet élevage en plein air intégral et aux charges très réduites. À part la troupe ovine, les seuls biens de l’exploitation sont les chiens de troupeau et de protection, un âne, les filets, un parc de contention et une Laguna déjà bien amortie. « Quand j’ai besoin de matériel plus gros comme un télescopique pour manipuler le parc de contention, je note mes heures sur une feuille Excel et on fait les comptes à la fin avec ma consommation d’eau et d’électricité », explique l’éleveur à la casquette et à la veste de camouflage.
D’octobre à avril, les brebis pâturent les couverts végétaux en restant une journée à 100 brebis dans un rectangle de 2 500 m². « Je déplace mes filets tous les jours pour qu’elles aient de la nouvelle ressource quotidiennement, décrit le berger de 32 ans. Mais la densité de brebis dépend de la ressource disponible. Par exemple, je leur laisse davantage d’espace si la troupe pâture du trèfle en pur que si elles sont dans un couvert multi-espèces Biomax. » Pour l’instant, la nature du couvert n’a pas été réfléchie entre l’éleveur et les céréaliers mais, à l’avenir, des échanges vont permettre d’optimiser la composition des couverts en fonction des besoins du troupeau. « Cela serait intéressant d’avoir des couverts plus riches pour le flushing ou pour la lactation », suggère par exemple Bastien Devriendt. Des contrats de pâturage entre l’éleveur et les céréaliers sécurisent les protections juridiques et assurantielles de l’échange gratuit.
De la place pour d’autres élevages en Île-de-France
Les brebis passent six mois en plaine d’octobre à avril. Bastien Devriendt, lui, s’installe dans sa caravane et passe voir le troupeau plusieurs fois par jour, surtout après les agnelages de printemps. Il a aussi du temps pour travailler à côté et faire de l’entraide avec des agriculteurs voisins. Fin avril, les brebis quittent la plaine pour commencer à « s’amontagner » dans des collines d’Île-de-France, un espace naturel en pente mis à disposition du troupeau qui nettoie ainsi la parcelle. Fin mai, avec l’aide d’un transporteur, Bastien Devriendt emmène ses brebis en estive dans une montagne près de Gap dans les Hautes-Alpes où il garde aussi un autre troupeau. « L’alpage, ce sont mes vacances », avoue ce berger de cœur.
Les brebis y resteront jusqu’au 15 octobre puis elles seront mises à la lutte. Les agneaux, eux, sont abattus à Jossigny, en Seine-et-Marne, puis vendus en direct à la caissette en agneau entier ou en demi-agneau. « Je vends mes agneaux à 25 euros du kilo et j’estime que c’est un prix raisonnable pour des agneaux bio de plein air qui descendent juste de la montagne. Avec 300 brebis, cela me fera environ 450 agneaux », calcule le berger. Chaque agneau lui rapporte environ 250 euros pour un coût de production estimé à 155 euros. Les brebis de réforme seront, elles, transformées en pâté et saucisses à Charolles (Saône-et-Loire).
De nombreux céréaliers sont demandeurs des services agronomiques de troupeau ovin. « Il y a largement de la place pour d’autres bergers sans terre, conclut Bastien Devriendt. On a perdu cette relation donnant-donnant entre éleveur et céréalier. À nous de la remettre en route ! »
Un partenariat gagnant-gagnant
Des bergers itinérants en recherche de fourrage peuvent s’entendre avec des céréaliers proposant des surfaces et de la biomasse. Pour cela, l’échange est non monétaire et peut être formalisé par un contrat papier. L’éleveur est seul responsable de ses animaux. C’est lui qui assure la clôture, la surveillance et l’abreuvement. Le choix du couvert peut se faire en concertation. « Généralement, la première année, le berger s’adapte à ce qu’il y a, explique Valentin Verret d’Agrof’île, association qui œuvre pour la pleine intégration des arbres au sein des systèmes de productions agricoles franciliens. Ensuite, se met en place une discussion pour améliorer petit à petit le couvert sans forcément créer de surcoût sur les espèces à semer. » En Île-de-France, la densité de brebis observée varie de 2 à 1 600 brebis par hectare et par jour. Même si les forts chargements sur des temps courts permettent de mieux valoriser le couvert avec moins de piétinements, il s’agit surtout d’un compromis variable selon la disponibilité de l’éleveur, de la qualité fourragère de la quantité de biomasse. Les couverts pâturés sont aussi très divers : repousse de culture, couverts de trèfles, mélanges avoine-pois-radis fourrager, facile à implanter et peu coûteux, ou des mélanges plus complexes. La seule limite pourrait concerner les moutardes pures qui sont riches en glucosinolates ou les légumineuses pures qui peuvent entraîner météorisation ou acidose. Les ovins profitent globalement de ces couverts. Sur 16 éleveurs interrogés, 13 observaient une hausse de l’état corporel et 9 voient la prolificité augmenter. « En Île-de-France, j’ai tous les mois des céréaliers qui m’appellent pour que des troupeaux viennent chez eux », explique Valentin Verret. Les bergers ont donc le choix d’aller où ils sont bien accueillis.
Coté web
Le site Berger de plaine (bergerdeplaine.agrofile.fr) présente le métier de berger de plaine, centralise les ressources documentaires existantes et présente l’outil Ovi-Plaine pour aider aux partenariats de pâturage entre céréaliers et éleveurs.