« Face au Brexit, je mise davantage sur l’environnement pour ma troupe ovine »
Éleveur ovin et bovin dans le centre de l’Angleterre, Richard Thomas montre quels changements il a opéré sur sa ferme, tant par conviction personnelle que pour s’adapter aux nouvelles subventions environnementales mises en place après le Brexit.
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Quand, il y a vingt-cinq ans, Richard Thomas a rejoint la ferme familiale de Risbury Court, au sud-ouest de Birmingham, il s’y voyait déjà opérer de grands changements. Bien avant que la question d’un éventuel Brexit soit envisagée, l’agriculteur britannique de 45 ans s’est penché sur les enjeux environnementaux et plus particulièrement sur la régénération du sol. « Là où le sol est en bonne santé, tout fonctionne », constate-t-il.
Il faut dire que cette année a été particulièrement dure avec le sol dans le Herefordshire, comme sur tout le territoire anglais. Près de 1 300 millimètres de pluie sont tombés sur le Royaume-Uni en 2023, qui devient la onzième année la plus humide pour le pays depuis 1836.
Les 250 brebis Romney pâturent toute l’année sur 120 hectares de prairies, en rotation avec 50 vaches Hereford. Si les Romney ont de bonnes pattes et souffrent peu du piétin, des prairies humides pendant des mois freinent grandement la croissance des agneaux.
Miser sur l’adaptabilité
Comme pour beaucoup d’élevages ovins britanniques, les brebis pâturent toute l’année. La race Romney est rustique, caractérisée notamment par une bonne résistance aux parasites et aux infections, même par temps très humide.
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Une race adaptée à la conduite en plein air
Diplômé de la prestigieuse université Harper Adams en agriculture, Richard mise sur l’épigénétique (influence de l’environnement sur l’expression des gènes). pour la bonne santé de son troupeau. « Une race locale sera toujours mieux adaptée à son environnement. Parfois au travers de mécanismes encore peu connus, mais les résultats sont là. »
Selon lui, l’adaptabilité de la race à son environnement est le critère le plus important pour l’achat de ses brebis. « Lorsque j’étudiais la génétique, j’étais à la recherche de la race ou du mouton idéal. Or il n’existe pas, on ne peut qu’espérer et travailler à avoir des brebis qui s’adapteront le mieux aux changements d’environnement, qu’ils soient d’ordre climatique, alimentaire, parasitaire, etc. »
Des mises bas 100 % autonomes
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Les 14 % de pertes à l’agnelage sont donc à relativiser avec une production importante d’agneaux, environ 350 par an. Les agneaux sont vendus entre 18 et 25 kilos de poids carcasse à un transformateur européen « ABP Food Group », qui redispatche la viande dans les supermarchés anglais. « Le prix de l’agneau au Royaume-Uni est bon en ce moment, autour de 6,70 livres par kilo, soit 7,86 euros. »
Des prairies de qualité
Après être restés trois mois sous les mères, les agneaux pâturent sur des prairies nouvelles composées d’un mélange de chicorée, de trèfle, de plantain, de fétuque rouge et de lotier corniculé. Les prairies de qualité permettent une bonne croissance des agneaux, présentant un gain moyen quotidien de 200 à 250 grammes par jour.
« Certaines plantes limitent physiquement le contact des brebis avec la terre, donc avec les vers, explique l’éleveur en montrant du doigt les différentes espèces. D’autres contiennent des tanins qui rendent leur estomac plus visqueux, ce qui limite le développement des parasites. »
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Les brebis et les vaches profitent également des dix hectares de pommiers pour pâturer à différentes périodes de l’année.
« Trouver un équilibre »
Si ce système de rotation permet de casser les cycles de développement parasitaires, l’éleveur doit tout de même traiter ses agneaux contre le clostridium à quatre puis à huit semaines et une fois en hiver. « Je fais en sorte de limiter au maximum l’utilisation d’antibiotiques, mais quand une brebis est touchée, je n’hésite pas à intervenir. »
Dans cette logique de raisonner l’utilisation d’intrants, Richard Thomas n’ajoute plus d’engrais chimique sur ses prairies. Il a planté un kilomètre de haies qu’il ne taille plus, afin de recréer l’habitat naturel des oiseaux locaux comme le bruant jaune. « J’essaie de faire marcher mon business en prenant en compte le changement climatique, sans aller jusqu’à être contre tous les produits chimiques. »
« Je suis plutôt agriculteur du sol qu’éleveur »
Lui qui se dit « plutôt agriculteur du sol qu’éleveur », se passionne pour les interactions complexes entre les micro-organismes du sol et ses animaux. « Je cherche à trouver un équilibre entre bactéries et champignons, dans une terre à dominante bactérienne. Les animaux enfoncent la matière organique dans le sol et participent à la régénération de celui-ci. »
Soucieux de faire preuve d’une certaine cohérence auprès des consommateurs, il ne coupe plus la queue des agneaux, qu’on peut voir se balancer de droite à gauche. « Je ne saurais pas justifier cette pratique si l’on me le demandait, donc j’ai arrêté. »
Il tond trois fois en deux ans, en février, en octobre avant la reproduction et en juillet au sevrage. « La valeur de la laine couvre généralement le coût de la tonte, le dépasse parfois. » Il vend sa laine à une coopérative, « British Wool », qui la revend aux industriels du textile pour fabriquer des revêtements de sol, des meubles et des vêtements.
Une transition post-PAC en douceur
Trois ans après la sortie officielle du Royaume-Uni de l’Union européenne, Richard Thomas s’en sort bien. Si les aides directes de la PAC [politique agricole commune] représentaient en moyenne 55 % des revenus des agriculteurs anglais, elles diminuent progressivement de 15 % par an jusqu’à disparaître complètement en 2028.
Une compensation très verte
Le gouvernement britannique a prévu de les compenser avec un système de subventions qui rémunère les agriculteurs qui adoptent des pratiques respectueuses de l’environnement. Il s’agit notamment de planter des haies et des arbres, de restaurer des tourbières ou de contribuer à la purification de l’air ou de l’eau. « Je m’en sors bien car je me suis adapté aux nouvelles aides nationales, qui sont fortement axées sur l’environnement. Sans ces changements, ce serait une autre histoire », souligne Richard Thomas, pour qui les aides PAC représentaient 20 à 30 % du revenu.
Chiffres-clés
250 brebis Romney
1,75 agneau par brebis
350 agneaux commercialisés par an
50 vaches allaitantes Herford
120 ha de prairies
100 % plein air