Espoirs et doutes de l’insémination
Les atouts de l’insémination sont nombreux, de l’amélioration des races à la possibilité de produire de l’agneau en décalé. Pourtant l’insémination artificielle perd encore du terrain chez les éleveurs allaitants. La recherche s’active ainsi que les professionnels de l’insémination.
Les atouts de l’insémination sont nombreux, de l’amélioration des races à la possibilité de produire de l’agneau en décalé. Pourtant l’insémination artificielle perd encore du terrain chez les éleveurs allaitants. La recherche s’active ainsi que les professionnels de l’insémination.
Alors qu’elle est répandue chez plus de 40 % des éleveurs de brebis laitières, l’insémination artificielle n’a pénétré que 3,6 % des élevages ovins allaitants sur l’année 2018. Chaque année depuis 15 ans, le bilan des centres d’insémination est compliqué et, quand il n’est pas en baisse, il est en berne. Les raisons de cette démotivation de la part des éleveurs pour l’insémination artificielle peuvent être expliquées par plusieurs facteurs et les freins majeurs à cette pratique sont bel et bien identifiés. La complexité d’utilisation du sperme de bélier congelé en fait partie. Cela force les éleveurs et les centres qui utilisent de la semence fraîche à être extrêmement bien organisés et réactifs. Entre la collecte du sperme et l’insémination de la brebis ne doit pas s’écouler plus de 10 heures. De même, les brebis doivent être en chaleur et nécessitent donc des hormones pour augmenter les chances de fécondation. La synchronisation de l’administration des hormones avec l’arrivée des paillettes mâles demande beaucoup d’organisation et ne permet aucune souplesse.
Gain génétique et garantie sanitaire
Dans son compte-rendu annuel sur l’insémination artificielle ovine, l’Institut de l’élevage tire la sonnette d’alarme et pointe une baisse du nombre d’IA toutes productions ovines confondues de 3 % en deux ans. En effet, 2018 enregistre un peu plus de 793 000 inséminations artificielles alors que le total de celles-ci n’était pas passé sous la barre des 800 000 depuis 1995. Les deux productions (lait et viande) ne sont cependant pas logées à la même enseigne, puisque l’IA en allaitant perd près de 10 % de son effectif alors que la baisse n’est que de l’ordre de 0,3 % en élevage laitier. Cette baisse du nombre d’IA se répercute évidemment en premier lieu sur les centres d’insémination artificielle, au nombre de neuf en France. Tous, excepté Corsia (spécialisé dans la brebis corse), enregistrent des baisses d’activité, plus ou moins importantes. L’OS ROM et le CIA Verdilly – Oson sont les plus touchés avec plus de 15 % de baisse, suivis de Insem-Ovin avec une chute d’activité entre 2017 et 2018 de plus de 12 %. La très grande majorité des doses de semence produites par les centres sont utilisées par les éleveurs sélectionneurs, comme en témoigne Lionel Boyer, de l’unité de sélection des races ovines des massifs (OS ROM) : « 90 % de nos doses partent en sélection. La diffusion, c’est-à-dire l’insémination pour produire des agneaux hors saison, n’intéresse que peu les éleveurs. »
Sélection ou diffusion, l’intérêt est réel pour les deux
Dans les années 70, lorsque l’insémination artificielle se répand dans les élevages, deux objectifs sont identifiés : utiliser le schéma de sélection pour améliorer les races en cherchant l’amélioration des reproducteurs. D’autre part, l’insémination artificielle permet de produire de l’agneau à contre-saison, par l’induction hormonale des chaleurs chez les brebis. La mise en place des conditions idéales pour l’insémination artificielle étant très exigeante, autant au niveau des pratiques d’élevage que des conditions climatiques, les éleveurs peuvent avoir tendance à s’en détourner ou à ne pas mettre toutes les chances de leur côté. Dès lors, la fertilité est moins bonne. « En théorie la fertilité en IA peut atteindre 75 %, explique Gilles Lagriffoul, de l’Institut de l’élevage. Cependant, in situ elle ne gravite qu’autour de 50 à 60 %. Et encore, cela dépend fortement de la race, certaines sont plus stables que d’autres. » Dès lors que la variabilité des résultats est trop grande, les éleveurs ne s’y retrouvent pas financièrement. Pour une insémination artificielle, il faut compter une douzaine d’euros, le prix incluant la pose de l’éponge, son retrait et le suivi de la brebis par le technicien. « Pour l’éleveur cela représente, en plus du coût, beaucoup de manipulations, donc une augmentation du temps de travail et potentiellement un peu de stress », reconnaît Lionel Boyer.
Améliorer les qualités maternelles ou bouchères
L’insémination artificielle est néanmoins un atout pour l’élevage ovin et les centres d’IA tentent d’expliquer aux éleveurs l’intérêt de se lancer dans la pratique. À grand renfort de communication, de supports pédagogiques et de présence sur les salons et les foires agricoles, les professionnels de l’insémination ne baissent pas les bras. « Avoir recours à l’insémination artificielle, c’est veiller d’une part à la qualité sanitaire de son troupeau, en évitant de faire trop fréquemment entrer des béliers achetés à l’extérieur qui peuvent être porteurs de maladies et d’autre part à l’amélioration génétique grâce à des béliers sélectionnés haut de gamme », explique Jean-Pierre Josselin, président de l’association nationale insémination ovine (Anio) et éleveur ovin dans l’Oise. Un autre aspect intéressant, le groupement des agnelages. « Dans les grands troupeaux notamment, cela peut s’avérer un atout d’avoir des pas de temps d’agnelage très serrés pour chaque lot », développe Jean-Pierre Josselin. Les répercussions positives sur la production en ovin allaitant sont nombreuses. « L’éleveur peut jouer sur les qualités maternelles, sur la prolificité, sur les qualités laitières, etc. mais aussi sur les qualités bouchères de ses agneaux », rappelle Jean-Pierre Josselin. De nombreux critères sont mesurés et évalués en centre de sélection pour fournir le plus de détails possible aux éleveurs.
Un investissement au long terme
Selon Lionel Boyer, le retour sur investissement avec l’IA n’est pas immédiat, « il faut voir cela comme un travail au long terme ». Cela peut prendre plusieurs générations avant d’avoir un réel progrès génétique. « Les sélectionneurs l’ont bien compris et même si, eux aussi, peuvent être parfois déçus des résultats de fertilité, ils sont très satisfaits de la qualité génétique qu’ils parviennent à atteindre avec leurs troupeaux. » Et les centres d’IA ainsi que la recherche sont très actifs pour tenter d’améliorer cette fertilité. « Beaucoup de travaux sont conduits sur la voie mâle, mais petit à petit, on commence à se pencher sur la voie femelle », détaille Lionel Boyer. L’éleveur a donc aussi une carte à jouer car lui seul peut maîtriser les conditions d’élevage (alimentation, hygiène du troupeau, ambiance du bâtiment, etc.). « Le progrès génétique des races ne se fait quasiment que grâce à l’insémination artificielle et celle-ci reste le moyen le plus rapide pour la diffusion génétique », affirme Jean-Pierre Josselin. Et il met en garde contre le cercle vicieux qui semble gagner du terrain : « nombre d’éleveurs évitent l’insémination artificielle et veulent un procédé plus naturel. Ils achètent donc des bons béliers, issus de schéma de sélection… Mais sans l’IA, ces béliers n’existeraient pas. »