D’une ferme à l’autre, elles donnent un nouveau souffle au greuil
Pour ne plus jeter le petit-lait, Marie et Aurélie se sont lancées dans l’aventure de Grulh’co, leur entreprise qui valorise cette matière première en greuil.
Après une petite heure de chauffe, lorsque la chaudronnée atteint les 80 °C, c’est le moment de laisser reposer le petit-lait. Les grumeaux se forment progressivement et viennent s’agglomérer à la surface pour former une croûte vivante, plus ou moins moussue, se craquelant. Chaque fabrication est différente. « Il faut s’adapter, chaque petit-lait est différent, avec une acidité plus ou moins marquée, et bien sûr dépendant de la qualité du lait, de la saison, de l’alimentation des brebis. La réaction n’est pas la même selon le niveau de remplissage du chaudron », indique Marie Barbé en ramassant un premier « chinois ». Le caillé de greuil est fragile, il faut le ramasser avec douceur, et le filtrer progressivement dans les tissus pour ne pas le déstructurer.
Grulh’co est enfin devenu une réalité cet hiver, l’aboutissement d’une aventure commencée il y a bientôt 13 ans. Marie Barbé, passée par la formation de berger vacher du lycée de Soeix (Pyrénées-Atlantiques) en 2007, est devenue bergère, a exercé sur différentes estives de la vallée d’Ossau, et plus récemment en Aspe à Lescun. L’hiver, elle fabriquait du fromage pour les producteurs fermiers. Le lait, cette matière vivante n’a pas de secrets pour elle. « L’idée de produire du greuil me trottait dans la tête depuis plusieurs années ; J’étais malheureuse de voir se perdre tout ce petit-lait, de le voir partir dans les prairies, parfois même dans le fossé. J’hésitais, jusqu’à cette réunion avec les organisations professionnelles et le conseil départemental. J’ai alors pris conscience qu’il pouvait y avoir une vraie demande en restauration collective. Aurélie Holley a adhéré à ce projet, on s’est lancé. »
L’idée de base, c’est de valoriser directement le petit-lait en sortie de cuve chez le producteur fermier. Ce matin, la fromagerie mobile est garée devant la fromagerie du Gaec Gay à Lys, et grâce à une pompe, le petit-lait arrive directement dans le grand chaudron en cuivre. Un chaudron de 600 litres, qui permet de produire plus de 40 kg de greuil par chaudronnée. La fromagerie mobile est un prototype original, créé et fabriqué avec l’aide des proches. « Mais il faut aussi limiter les déplacements, et nous avons recherché des producteurs dans un rayon de 20 kilomètres autour de Buzy. »
Une nouvelle forme d’engagements réciproques et de proximité avec des producteurs, pas si évidente que ça, autour d’une même matière première qui doit répondre à toutes les exigences de qualité bactériologiques, avec des autocontrôles réguliers. « Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux producteurs », insistent Marie et Aurélie. « Avec aussi des exigences éthiques tant sur la qualité de la matière première que sur la façon de produire du lait, avec des races locales, une alimentation à base d’herbe et de foin, une attention au bien-être animal » énumère Marie. Le Gaec Gay a tout de suite répondu oui. Transhumance, séchage du foin en grange, le soja est d’origine locale (7 ha sur la ferme), il coche toutes les cases. Jean Esturonne est enthousiaste. Il a participé à la création de l’appellation Ossau Iraty en 1980, et il est aussi convaincu de l’avenir de ce produit. Il se souvient d’une autre époque : « c’était la base de l’alimentation des bergers avant l’arrivée des routes. Ce greuil avait de la valeur, il descendait de l’estive à dos d’âne, jusque dans les années soixante ». Pour Yves et Didier Esturonne, les deux associés du Gaec, la question centrale est aussi celle de la gestion de ce petit-lait et des eaux blanches, difficiles à recycler. Ils s’intéressent à deux principes opérationnels. « Il y a eu plusieurs installations de filtres à compost proposés par David Chétrit, mais on regarde de près la méthanisation à la ferme sur le modèle du prototype de Pierre Lebbe, un chevrier brasseur à Maubourguet », indique Yves Esturonne en faisant défiler ses recherches ‘Pierre Lebbe’sur son smartphone.
Sitôt mis en pot de verre, le greuil est réfrigéré et prêt à partir chez les commerçants qui ont suivi la démarche, de petits commerçants principalement, des bouchers en particulier qui cherchent à diversifier leurs gammes de produit. Quelques supermarchés aussi, d’Oloron à Pau, Arudy ou Nay, et ça marche ! « Notre projet est tourné vers la restauration collective, scolaires, maisons de retraite, comités d’entreprise. » Une contractualisation pas facile à faire aboutir, tant il est difficile de faire reconnaître la valeur d’un produit. Mais les choses avancent, avec les comités d’entreprise par exemple, ou une société de restauration collective comme la chaîne compass group. Aurélie met au point des recettes à base de greuil. « Des samoussas et gnocchis aux épinards, un cheese cake au citron, bientôt des glaces au greuil. Le potentiel de création de plats est énorme, sans oublier aussi le petit-lait, une boisson oubliée. » Marie et Aurélie se veulent aussi les ambassadrices de ces nouveaux produits, et imaginent d’être présentes sur les fêtes locales, les carnavals, les marchés de producteurs dès qu’ils pourront reprendre normalement. « L’exemple du Brocciu corse, devenu emblématique, montre bien ce que l’on peut construire autour de notre grulh », confie Marie, avant de mettre au frais le précieux fromage. Alors, à quand une démarche collective pour faire reconnaître ce fromage ?
Les bienfaits du petit-lait
Les producteurs de produits laitiers fermiers sont de plus en plus souvent interrogés sur les qualités nutritionnelles des produits et la valeur santé de ces derniers. Longtemps considéré comme un résidu polluant ou un sous-produit, le petit-lait est aujourd’hui réhabilité, dans des produits locaux comme le greuil (ou breuil), mais surtout pour ses « whey », protéines solubles déshydratées vendues à prix d’or pour les sportifs, les seniors ou incorporées dans les laits infantiles. Au-delà de ses aptitudes à renforcer les défenses immunitaires, il permettrait de lutter contre les maladies cardiovasculaires, d’atténuer l’hypertension artérielle, de diminuer la fonte musculaire chez les personnes âgées et participerait à augmenter les performances physiques. Il est aussi considéré comme un probiotique naturel, favorisant la reconstitution de la flore intestinale. Le lactosérum est composé à 93,6 % d’eau et contient du lactose, des protéines solubles, des minéraux et vitamines. Sa teneur en matières grasses est faible, à hauteur de 1 %. Le lactosérum de brebis, à l’instar du lait de brebis, est le plus riche en protéines solubles.