Des élevages de petits ruminants durables
Le programme européen Isage a permis de dresser un tableau des élevages de petits ruminants de sept pays européens et d’étudier leur durabilité.
Après quatre ans de travaux à travers sept pays (France, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Grèce, Finlande et Turquie), en collaboration avec 34 partenaires, le programme européen Isage s’est clôturé début février à Paris, pour la partie française. Le programme avait pour vocation d’analyser la durabilité des systèmes d’élevage de petits ruminants (ovins allaitants, ovins laitiers et caprins) à travers l’Europe. Bien que les petits ruminants en Europe ne représentent que 6 % de la production de viande et 3 % de la production de lait, les élevages ovins sont au nombre de 850 000, ce qui représente tout de même 14 % du total des élevages européens. L’avenir de ses élevages ovins attire de ce fait l’attention, puisqu’ils sont souvent situés dans des zones rurales difficiles (montagne, garrigue, etc.) et sont moteurs dans les dynamiques territoriales et dans la création d’emplois en milieu rural.
Des élevages français plus résilients
L’analyse de la durabilité de la production ovine et caprine s’est articulée en six groupes de travail, suivant différentes thématiques telles que les systèmes d’élevage, les tendances de consommation des produits ovins et caprins, l’impact du changement climatique, l’innovation, la génétique et la communication des résultats. 263 éleveurs ont fait l'objet d'une enquête pour essayer de définir la durabilité de leurs exploitations, dont 68 en ovins allaitants et 37 en ovins laitiers. Le questionnaire qui a servi de base à la collecte des résultats a été défini selon quatre axes fondateurs de la durabilité : respect de l’environnement, résilience économique, bien-être social et bonne gouvernance. Les élevages laitiers (caprins ou ovins) français montrent une résilience économique supérieure à la moyenne européenne, avec plus de facilité à investir et à mettre en place de nouveaux projets. De même, les éleveurs français sont mieux accompagnés au quotidien grâce à une filière bien structurée. Néanmoins, si les enquêtes ont révélé une diversité culturale correcte en France, la diversité animale est bien en dessous de la moyenne Isage. En cause notamment, la spécialisation des élevages interrogés et leur faible nombre. Emmanuel Morin, de l’Institut de l’Élevage, explique : « l’idée n’est pas de comparer les systèmes, ni entre les pays ni entre les filières, mais de pointer les forces et faiblesses de chacun. » Le questionnaire a été réalisé par l’organisme anglais du bio (ORC), il a été mis en ligne dans une version simplifiée afin que chacun puisse tester la durabilité de son exploitation. « C’est toutefois dommage, remarque Luc Estienne, éleveur de brebis laitières retraité qui a participé aux travaux, que la dimension travail et confort de l’éleveur n’ai quasiment pas été prise en compte. »
L’origine de la viande plus importante que le reste
Raffaele Zanoli, de l’université des Marches à Ancône (Italie) a présenté les résultats de l’étude de marché sur les préférences de consommation des citoyens des sept pays membres d’Isage. Les perspectives du marché ont été étudiées pour la viande (ovine et caprine) et pour le fromage (ovin et caprin également). Les atouts identifiés de la viande ovine sont son goût unique, son image d’élevage plus naturel, plus sincère, plus authentique. Les causes de son rejet son aussi son goût jugé trop fort, le gras, la difficulté à cuisiner l’agneau et le manque de disponibilité et de diversité en magasin. Le groupe de travail a entrepris de faire une expérimentation sur le choix de la viande en proposant une douzaine de produits suivant plusieurs critères : label (halal, bio, IGP/AOP, empreinte carbone), teneur en gras, type de conditionnement, facilité à cuisiner, provenance, prix. Les consommateurs français semblent prêts à payer une viande plus chère, pourvu qu’elle vienne de France. « Ces résultats montrent que les consommateurs attachent très peu d’importance aux signes de qualité tant que la viande est française, s’étonne Michèle Boudoin, la présidente de la Fédération nationale ovine (FNO). Peut-être serait-il temps de revoir nos priorités et de faire prendre à l’aval la mesure du renouvellement des générations de consommateurs qui ne veulent plus des formes de découpes actuelles. » Les Français consentiraient également plus à mettre du prix pour avoir du bio, par contre la viande halal n’est pas considérée comme étant qualitative. Les recommandations de l’étude pour la filière viande seraient de mettre sur le marché une marque nationale forte qui identifie vraiment la viande d’agneau et de retravailler les emballages afin de les rendre un peu plus chics.
Ensemble face au changement climatique
La durabilité des systèmes face au changement climatique est un sujet actuel. En 116 ans (1901-2017), la température moyenne française a augmenté de 1,5 degré (contre + 0,9 °C dans le monde). La chaleur est source de stress à la fois pour les végétaux et pour les animaux. Les évolutions à moyens et longs termes ont été étudiées par grandes zones européennes. « La zone atlantique devrait potentiellement voir la productivité de ses prairies augmenter, avec une période de végétation plus étendue, développe Aurélie Madrid, de l’Institut de l’Élevage. Néanmoins, les fortes chaleurs et l’humidité très présente risquent d’impacter négativement les performances des animaux ». En zone de montagne, même constat. Un réchauffement global pourrait permettre des récoltes fourragères en hausse, les aléas climatiques et les fortes chaleurs risquent d’incommoder les animaux, plutôt habitués au froid. La diversité des animaux et des cultures est donc le mot d’ordre pour s’adapter au changement climatique, avec une meilleure gestion de la fertilisation des sols pour augmenter la résilience de la végétation. « Face au changement climatique, ce travail à l’échelle européenne acquiert toute son importance. Les besoins de chacun sont identifiés, il est plus que nécessaire que nous allions ensemble dans la même direction. Nous devons être dans l’anticipation et savoir où nous voulons aller », insiste Patrick Soury, président d’Inn’ovin. « C’est important de savoir ce qui se fait ailleurs en Europe. Nous avons vu par exemple que les prairies fragiles étaient pour la plupart dans les zones de présence du loup, cela devrait sonner l’alerte sur le maintien de la biodiversité », renchérit Michèle Boudoin.