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Des aides surfaciques pour préserver les terres pastorales

Éleveurs et élus des zones pastorales veulent préserver les soutiens financiers de la future politique agricole commune. Un séminaire dans l’Ariège exposait les arguments.

La route pour se rendre chez les Moreno est sinueuse. Au loin, derrière la brume, on peut apercevoir les montagnes ariégeoises qui revêtent un mince manteau enneigé. Entre plaines et montagnes, le paysage est mystérieux, teinté des couleurs d’automne qui parsèment déjà les hauteurs de Brenac. C’est au cœur de la Haute-Vallée de l’Aude que se trouve le Gaec de Roc Brenac. Depuis des générations, les traditions paysannes se perpétuent et évoluent sans cesse. « J’aime le travail des anciens. Dès que je vois un terrain plat avec une terrasse, il faut que je le revalorise », avoue Olivier Moreno. La pente, rude et boisée, laisse deviner la présence du troupeau rustique, au milieu des chênes et pins sylvestres. Éleveur de 550 brebis allaitantes Lacaune et Blanche du Massif central, auxquelles s’ajoutent vaches et chevaux, il s’est lancé récemment dans la vigne. Mais Olivier Moreno sera-t-il encore là demain s’il perd les aides de la PAC ? Une question partagée tout au long du séminaire sur les surfaces pastorales qui s’est tenu les 1er et 2 octobre à Ax-les-Thermes, en Ariège, en regroupant les acteurs du pastoralisme montagnard et méditerranéen. Sur le terrain ou lors de séances plénières, ils n’ont cessé de réaffirmer les enjeux des surfaces pastorales, déterminés à les sécuriser dans la nouvelle Politiques agricole commune.

Aides couplées et prorata au cœur des débats

En ligne de mire, la réforme de la PAC dont les derniers jeux se jouent dans les semaines à venir. Dans la PAC actuelle, on retrouve le pastoralisme de manière transversale au sein des premier et deuxième piliers, notamment à travers les droits à paiements de base (DPB) et l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN). L’enjeu est de maintenir et renforcer ces aides. « L’ICHN a un lien direct avec l’élevage, cela ne sert à rien de l’ouvrir au végétal. Diminuer l’enveloppe reviendrait à perdre l’effet structurant de cette aide nécessaire pour compenser le handicap », martèle Samuel Vandaele, président des Jeunes agriculteurs. Pour tenir compte de la diversité des systèmes pastoraux, un système de prorata a été mis en place depuis 2015. Cette méthode consiste à estimer la part de surfaces comestibles par les animaux, à partir du taux de recouvrement, allant de 0 à 100 %, d’autres éléments non admissibles, comme les roches, les éboulis et les buissons. « Conserver les prorata sur les zones pastorales est le moyen le plus sûr pour éviter les déséquilibres », affirme Pierre-Henri Pagnier, président de l’association régionale de développement agricole du massif du Jura. Ce système complexe mais équitable doit perdurer pour maintenir le pastoralisme méditerranéen. Littoral, garrigues, taillis… Brigitte Singla, élue montagne à la chambre d’Occitanie et secrétaire générale de la FNO, souligne la riche diversité du pourtour méditerranéen « où l’on pense souvent qu’il n’y a rien à manger pour les troupeaux alors que c’est faux ». En 2018, le règlement Omnibus a notamment permis d’étendre l’admissibilité des surfaces et d’inclure ainsi les ligneux. « Une grande avancée, qu’il ne faut pas oublier », selon Philippe Lacube, président de l’association des chambres d’agriculture des Pyrénées qui organisait le séminaire.

Les Echoschemes, aides du premier pilier qui reconnaît les pratiques vertueuses à l’environnement, constituent également une opportunité dans la reconnaissance des surfaces pastorales. « Ils doivent faire appel à l’incitation aux bonnes pratiques plutôt qu’aux sanctions », alerte cependant Dominique Fayel, membre d’Euromontana, association européenne des régions montagneuses. « Il y a une tendance à vouloir faire plus vert que vert. Je ressens des décideurs cette vision quasi unilatérale d’entrée environnementale. Mais non, ce sont avant tout des hommes et des animaux dont il est question », renchérit Éric Andrieu, député européen de l’Alliance progressiste des socialistes & démocrates. Générateur de plus de 250 000 emplois, le pastoralisme est affirmé comme une activité productive et créatrice de valeurs.

Le pastoralisme coche toutes les cases

Stratégie biodiversité, Green deal, Farm to fork… « Sur le plan environnemental, le pastoralisme coche toutes les cases », affirme Éric Andrieu. Cependant, les accords de libre-échange exercent une pression concurrentielle sur l’agriculture française. « Il n’y aurait plus d’élevages dans nos massifs si on laisse faire l’approche libre de l’économie », ajoute-t-il. Sur ce point, les élus bataillent pour plus de cohérence à Bruxelles. « Au niveau du couplage, les propositions vont dans le sens d’une productivité moindre, d’une diminution de la quantité de viande consommée, des surfaces plus petites, pendant qu’on nous demande l’autonomie protéique et qu’on signe des accords commerciaux. Il faut être cohérent », insiste Anne Sander, eurodéputée au Parti populaire européen. À travers un message vidéo, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie a aussi fait part de son engagement auprès du pastoralisme : « le principe de l’éligibilité des surfaces pastorales doit être préservé dans la future PAC en cours de discussion ». Un message qui a laissé les éleveurs dubitatifs qui dénoncent des surcontrôles par rapport au reste du territoire. « Je préfère sous-déclarer les surfaces éligibles plutôt que de risquer un contrôle et des sanctions », affirme ainsi Olivier Moreno. Le ministre invite aussi à continuer le débat sur impactons.debatpublic.fr où chaque citoyen est invité à se prononcer sur les divers enjeux de la future PAC.

La prédation, toile de fond passée sous silence

La problématique de la prédation s’est faite discrète mais présente. C’est Christine Téqui, présidente du Conseil départemental de l’Ariège, qui s’est prononcée à ce sujet. « L’ours et le loup, voilà le danger mortel du pastoralisme, s’est-elle exclamée en début de séminaire. Les ours slovènes amenés dans nos territoires réussiront-ils à faire ce que leurs lointains prédécesseurs n’ont pu réaliser, c’est-à-dire chasser l’Homme ? Je le crains vu comment le balancier idéologique penche en leur faveur. » Cette remarque fait écho à la nécessité de conquérir l’opinion publique. « Il faut aller gagner la bataille de l’opinion », martèle Éric Lions, président de la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. De plus, le multi-usage de la montagne implique un travail sur la communication et une sensibilisation du grand public. Un public qui, depuis la crise sanitaire du Covid-19, a changé son regard sur la ruralité et la montagne.

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